Une cloche design où ranger son smartphone et diminuer notre dépendance aux écrans, voilà l’idée de Stolp. Le Belge Julien Yee, son fondateur, embarque même Marie Kondo dans cette aventure.
Il est manifeste que Marie Kondo n’a pas encore visité les bureaux du fondateur de Stolp, Julien Yee. Situé dans l’espace de coworking techno Dunden à Anvers, l’espace est un fatras de dessins, prototypes et emballages de toute nature. Le jeune entrepreneur nous conduit dans une salle de réunion pour nous parler de la genèse de son business, spécialisé dans les boîtes anti-rayonnements qui rendent les smartphones silencieux, Stolp.
Le mode d’emploi est simple: il suffit de placer l’appareil dans la boîte et de la refermer. "Chaque Stolp contient du cuivre et de l’aluminium, des matériaux qui bloquent toutes les formes de rayonnement (WiFi, 3G, 4G et 5G). Et si l’on reçoit un appel, il est automatiquement dérivé sur la messagerie vocale."
L’entrepreneur propose aussi des chargeurs sans fil adaptés. "Le powerbank est compatible avec toutes les marques de smartphones et peut également être utilisé séparément. Recharger son portable n’est pas l’essence de notre produit, mais c’est un petit avantage bien agréable."
Stolp est un produit lifestyle. "Notre principal objectif est d’offrir ‘a different way to phone’. Je ne veux pas diaboliser la technologie, étant moi-même un ‘tech enthusiast’, mais je pense qu’elle présente des désavantages. Plus je travaille sur ce sujet, plus je remarque que les temps changent. Par exemple, les smartphones ne sont plus autorisés dans les écoles. Aux États-Unis, on essaie de réglementer les réseaux sociaux et les jeunes reviennent aux téléphones Nokia des années 90. Il est temps de rompre avec cette disponibilité permanente."
Mais alors, quelle est l’utilité de Stolp, s’il suffit d’éteindre son smartphone? Selon Yee, c’est l’acte qui fait la différence. "Il y a une action et un rituel, ce qui est crucial pour modifier durablement nos comportements. Quand on met son smartphone sous cloche, on affiche une conviction. Stolp nous encourage à repenser notre gestion du temps, nos relations sociales et notre rapport au smartphone. Il est à la fois encourageant, excitant et nouveau, sans être restrictif ni punitif. C’est pourquoi Stolp (dont Yee a déjà vendu 20.000 exemplaires) peut être ouvert à tout moment et n’a pas de verrou. Cette liberté est essentielle."
Avec Marie Kondo
Le Stolp nous encourage à envisager autrement nos relations sociales et notre dépendance aux smartphones.
Cette philosophie de la déconnexion a mené Yee vers Marie Kondo, la célèbre gourou du rangement. "En fait, c’est après avoir lu une interview dans Sabato!", s’exclame Yee en riant. "Je pense que pour changer un comportement, il faut agir. Marie Kondo partage cette philosophie. Plusieurs fois par jour, elle met son smartphone de côté pour se concentrer pleinement sur une tâche."
Comment une start-up belge a-t-elle fait pour atteindre la gourou japonaise de renommée mondiale, et qui, en plus, répond rarement au téléphone? Yee a fait fabriquer quelques "design samples" avec le logo de KonMari, en référence à la méthode de rangement Konmari, ainsi qu’au nom de la société de conseil et de la boutique en ligne de Marie Kondo. Et il les a envoyés à Los Angeles, où se trouve le siège principal de l’entreprise. Quelques mois plus tard, il apprenait que Marie Kondo souhaitait travailler avec Stolp. "Marie utilise son Stolp tous les jours", déclare Yee avec fierté.
"Je me suis rendu à Tokyo en janvier pour réaliser la campagne publicitaire", poursuit-il en montrant une photo de lui et de la Japonaise. "À côté d’elle, on dirait que je suis un géant." Il présente également un Stolp exclusif, avec son logo imprimé à l’intérieur, décliné dans les couleurs beige et sable, et accompagné d’un mot de remerciement écrit à la main par Marie. "Comme c’est un objet design, nous évitons les logos trop voyants."
Le Stolp Marie Kondo sera lancé au mois de mai. "Nous commencerons avec 4.000 pièces pour explorer le marché. Notre cible sont les ‘soccer moms’ et les ‘LinkedIn dads’. On peut déjà passer commande sur le site de Stolp et la boutique en ligne KonMari de Marie Kondo suivra dès le lancement, le 20 mai. Ce partenariat offre une porte d’entrée sur les marchés américain et asiatique. Nous travaillons avec deux grands distributeurs et nous sommes en négociations avec le grand magasin Saks Fifth Avenue et The Container Store."
Nomophobie
Le chemin vers le produit final n’a pas été facile. Fin 2018, l’ingénieur commercial abandonne sa prestigieuse fonction de "mergers and acquisitions analist" chez ING. "Mes parents sont avocats: ils ont toujours travaillé dans le capital-investissement. J’ai suivi leur exemple et j’ai commencé ma carrière dans la finance. Je souhaitais investir dans de jeunes entreprises en tant que financier. Je passais de longues journées au bureau: j’étais un yuppie classique avec une vie sociale bien remplie, toujours soucieux d’être joignable. Je passais cinq heures par jour devant un écran."
Lors d’une soirée à Gand, les smartphones de Yee et de son ami Matthias Vanhoutteghem, cofondateur de Stolp, sont tombés à plat. "Pour le nomophobe (quelqu’un qui a peur de ne pas être joignable, NDLR) que je suis, c’était terrible. Je me trouvais dans une ville que je connaissais mal et je ne pouvais pas compter sur mon fidèle smartphone. Comme je ne voulais pas que qui que ce soit vive ce stress, nous avons réfléchi et imaginé un point de collecte pour recharger les smartphones." Mais cette idée n’était pas assez innovante. "Le lendemain, nous sommes arrivés à la conclusion que nous avions mis au point une sorte de ‘distributeur automatique de cigarettes’ pour alimenter notre dépendance, alors que nous devions plutôt ‘recharger’ nos relations sociales. Raviver les conversations est bien plus important que recharger nos smartphones", explique Yee.
Les deux entrepreneurs repensent leur concept: ils développent un point de collecte pour smartphones dans les salles de réunion. "Combien de fois perdons-nous notre concentration lors d’une réunion qui s’éternise ou nous laissons-nous distraire par notre smartphone? Les réunions sans concentration sont des réunions inefficaces. Nous voulions y mettre fin. C’est ainsi qu’est née la ‘Juce Arena’, une station de recharge intelligente pour salles de réunion qui bloque les signaux GSM. Le rituel selon lequel chaque collègue range son smartphone avant la réunion est également important. Tout le monde se concentre sur la même chose, ce qui permet de travailler plus rapidement."
Nuits blanches
Aussi simple que l’idée puisse paraître, sa mise en œuvre a été compliquée. "Travailler sur du hardware, c’est extrêmement difficile", confirme Yee. "Tout est très complexe: le développement du produit, l’aspect technique, mais aussi l’installation. Nous avons dû repousser notre lancement de six mois, car les délais n’étaient pas tenables. Fin 2019, mon cofondateur a aussi décidé de faire une pause. Un an plus tôt, il avait, lui aussi, fait le choix de quitter son emploi d’architecte pour se consacrer entièrement à la start-up."
Ce changement de carrière n’est pas évident. "Matthias a pris les retards de lancement très à cœur. De plus, notre capital s’épuisait, ce qui lui a valu des nuits blanches. J’ai continué seul. En janvier et février 2020, j’ai personnellement assemblé et installé 120 appareils dans des entreprises. Mais le 18 mars 2020, le premier confinement décidé par les autorités a été mis en place, ce qui a eu pour conséquence de fermer les bureaux et les salles de réunions de tout le pays. Mon travail semblait avoir été vain: il y avait de quoi être découragé!"
Quel avenir pour la "Juce Arena"? Yee ne baisse pas les bras. "Il y a en moi une sorte de ténacité obstinée. Je suis alors revenu à notre objectif initial: ‘Out of sight is out of mind’ et je l’ai adapté à un contexte familial. La boîte devait donc être plus compacte, mais aussi plus esthétique, un peu comme un objet d’art. Je la vois comme une cloche en verre sous laquelle seraient rangés tous les smartphones pour confronter les gens à leur dépendance, qui n’a fait que croître pendant les confinements."
"La start-up Stolp est née au mois de mai 2020. Pendant l’été, nous avons élaboré le design et cherché un fabricant en Chine. Le 1ᵉʳ octobre, nous avons vendu 2.000 exemplaires en prévente via la plateforme de crowdfunding Kickstarter. Nous avons promis à nos clients de leur livrer leur Stolp avant Noël. Comme bpost ne pouvait pas garantir la date de livraison, je l’ai organisée avec dix de mes amis: en quatre jours, tous nos clients avaient reçu leur commande."
L’heure du test ultime est venue. "Dimanche soir, j’invite quelques amis à dîner. À l’apéritif, je leur présente mon Stolp vert sauge et leur explique l’expérience de la soirée. Enthousiasme général. Après un dernier regard pour vérifier qu’aucun message important n’est arrivé, on range nos smartphones sous le Stolp. Les conversations et le vin coulent à flots. Chacun est attentif aux autres plutôt qu’à son smartphone. À la fin de la soirée, on rouvre notre ‘boîte de Pandore’. Le constat? Ce n’est pas la fin du monde. Juste un message WhatsApp de ma mère qui me demande comment s’était passé mon week-end!"