De la Brafa à Bruxelles à la Design Week à Milan, en passant par le Surface Design Show à Londres, tout le monde parle de Mathilde Wittock, designeuse belge de 26 ans.
Les joueurs de tennis le savent bien: les balles de tennis flambant neuves sont inutilisables après quelques sets. Résultat? Elles finissent à la poubelle. Chaque année, près de 330 millions de balles de tennis sont produites dans le monde, dont la plupart sont jetées, nécessitant plus de 400 ans pour se décomposer.
En Belgique, environ 3 millions de balles usées sont incinérées chaque année. La question qui se pose est la suivante: les balles de tennis sont-elles un fléau écologique? "Le padel a gagné en popularité, aggravant ce problème", déplore Mathilde Wittock. Nous avons rencontré l’écodesigner dans son atelier à Zaventem. "Produire une balle de tennis nécessite 24 étapes étalées sur cinq jours. Composée de caoutchouc, de feutre, de laine et de nylon, elle est difficile à recycler. Comme je joue au tennis, je connais l’ampleur des déchets générés par ce sport."
Y a-t-il une solution? La jeune femme en est certaine. Elle a trouvé une nouvelle vie pour ces balles en créant des meubles sur mesure, comme des chaises longues, des bancs et des tabourets à partir de balles de tennis usées. Plutôt que des coussins, les assises sont faites de ces balles et c’est étonnamment confortable. "Mes créations stimulent tous les sens", explique-t-elle.
"C’est un artisanat, un mélange d’art et de design, motivé par l’émotion. Aujourd’hui, de nombreux designs sont inodores, incolores, stériles et en plastique: c’est à l’opposé de ce que je veux représenter."
Le travail de Mathilde Wittock est à découvrir du 14/02 au 29/03 à la galerie de design Augusta, rue Coppens 5 à Bruxelles.
Elle sera présente lors de la Design Week à Milan, avec "Belgium is Design".
Hypersensible au bruit
Si les bancs et chaises longues de Mathilde Wittock attirent l’attention, son best-seller est bien plus pratique: des panneaux muraux acoustiques. "Les balles de tennis, recouvertes de feutre, absorbent bien le son", précise-t-elle. Ces panneaux ont été le point de départ de sa collection, conçue il y a trois ans à l’école d’art Central Saint Martins à Londres. "Je suis très sensible au bruit: les bruits ambiants m’irritent très rapidement. Pendant mes études de design, on m’a demandé de créer un produit pour un open space. Travailler dans cet environnement serait un défi pour moi à cause du bruit de fond permanent, alors j’ai étudié la question de la pollution sonore et son impact sur la santé. Ce type de bureaux exige des solutions qui réduisent au maximum le bruit. La plupart des designers créent pour l’œil, pas pour l’oreille."
"Donnez-moi un sac de balles de tennis usées et je les utiliserai toutes, jusqu’à la dernière."Mathilde Wittock
Trouver une solution durable représentait aussi une réflexion essentielle à ses yeux. "La plupart des murs acoustiques sont faits de matériaux polluants comme les dérivés de pétrole. Je voulais utiliser un matériau disponible partout et produit localement." Sa recherche et son expérience l’ont menée aux balles de tennis usées. Un choix logique pour une passionnée de tennis, même si elle n’a plus le temps de jouer. Pour fabriquer un banc, il faut entre 300 et 500 balles, ce représente cinq jours de travail manuel. "Couper les balles prend deux à trois jours. J’utilise la balle entière."
Bienfaiteur mystérieux
Ensuite, les balles sont colorées. "Je travaille avec les couleurs primaires – rouge, jaune et bleu – que j’applique directement sur les balles jaunes, sans utiliser d’eau de javel. Je ne sais jamais à l’avance ce que ça va donner", poursuit Wittock. "Chaque marque a une composition différente, et la balle absorbe donc la teinture différemment. Je joue aussi avec la durée de la teinture." Cela donne aux panneaux et aux meubles un effet dégradé. Où teint-elle ses balles? "Dans la cuisine ou la baignoire de mon atelier", confie-t-elle en riant.
Des milliers de balles de tennis sont stockées dans son atelier. La plupart proviennent de dons de clubs de tennis, mais elle collabore aussi avec la fédération de tennis wallonne, qui lui a offert plus de 100.000 balles. "Je ne sais pas combien de temps ce stock fera l’affaire, espérons six mois."
Ses amis et connaissances la fournissent également. "Récemment, quelqu’un a laissé un sac de 100 balles sur le toit de ma voiture. Je ne sais pas qui est ce donateur mystérieux: donnez-moi un sac de balles usées et je les utiliserai toutes, jusqu’à la dernière."
Instafamous
Les balles sont fixées sans colle sur des panneaux de bois, imbriquées les unes avec les autres, et grâce à cette technique, les logos des balles restent invisibles. "Récemment, des vidéos de mes créations ont fait le buzz sur Instagram. Depuis lors, je reçois des messages demandant comment je fais. Oui, il y a des imitateurs, mais ils ne coupent pas les balles de la même manière que moi. Heureusement, j’ai un brevet pour protéger mon design."
Le rêve de Wittock serait de conquérir le monde avec son design. "Comme on peut produire ces surfaces en balles de tennis localement, des designers ou des artistes peuvent le réaliser où qu’ils se trouvent. Il y a une demande en Espagne, au Portugal, aux États-Unis et même en Australie pour produire mes meubles. Je découvre peu à peu comment cette ‘mondialisation’ fonctionne. Ce serait formidable que je puisse internationaliser ce système le plus vite possible."
Le succès de Mathilde Wittock se traduit dans les commandes qu’elle reçoit: des bureaux aux restaurants en passant par des musiciens, tout le monde veut un ‘Soundbounce’, nom officiel de son panneau acoustique. La communauté du tennis est fan de ses bancs. "J’en ai fait pour les salons VIP des tournois ATP à Londres, l’European et l’US Open. Quelques joueurs m’en ont aussi commandé." Rafael Nadal? "Je n’ai pas encore reçu de commande de sa part, mais je l’espère!"