Ben Storms enchaîne les projets: PAD Paris, Design Week de Milan, Bellerose, Cartier, Delvaux, publication d'un livre... Et maintenant une exposition solo à la Design Miami.Basel.
Lorsque vous lirez ces lignes, Ben Storms sera assis dans sa camionnette, en route pour Bâle. En effet, il fera ses débuts à Design Miami.Basel, la plus prestigieuse foire de design au monde, dans le sillage de la foire d’art contemporain Art Basel. Toute la semaine, les collectionneurs se bousculeront, surtout lundi, lors de l’avant-première exclusive à laquelle on ne peut accéder que sur invitation. En bref, une étape importante pour le Belge, d’autant plus qu’il y présente une exposition solo. Un fait exceptionnel, car la plupart des galeries proposent des présentations collectives, afin qu’il y en ait pour tous les goûts.
À l’arrière de sa camionnette se trouve une cargaison d’œuvres, dont quelques pièces inédites en onyx vert, un matériau nouveau pour lui. Il exposera ces objets aux côtés de ses célèbres "coussins", dans une mise en scène de socles et de podiums vert foncé. Il y aura également une pile de son livre qui sortira cet automne.
"Nous avons choisi une présentation muséale, un choix délibéré, car les visiteurs viennent à Bâle pour l’art", explique Robbe Vandewyngaerde, cofondateur de la galerie Objects With Narratives, qui représente Ben Storms. "C’est également la raison pour laquelle nous présentons Ben Storms seul. Son travail se situe à la croisée de l’art visuel et de l’art fonctionnel. Nous n’aimons pas le terme design: la fonction n’est pas au cœur de ses créations." "Pour moi, la fonctionnalité est une excuse pour créer une sculpture», déclare Storms. "Je ne me sens pas non plus comme un artiste à part entière. J’aime ce mélange de liberté artistique et de bagage technique."
Sa nouvelle collaboration avec Objects With Narratives lui a donné un coup de fouet. La galerie a présenté son travail au PAD, à Paris, et lui offre une résidence permanente dans son nouvel espace de 200 m2 au Grand Sablon à Bruxelles. "Le dernier étage est à ma disposition. J’en ai fait mon dépôt, mes archives et mon showroom où je peux présenter de nouvelles pièces. Jusqu’à présent, je ne montrais mon travail qu’à l’occasion d’expositions ou de foires. C’est agréable de disposer d’un showroom permanent où les visiteurs peuvent découvrir mes créations", déclare-t-il. "Au cours de l’année écoulée, mon œuvre a pratiquement doublé."
Univers de la mode
"J’induis le spectateur en erreur. En le déroutant, il regarde d’un œil neuf des éléments qu’il connaît déjà."Ben Storms
Cela s’est également manifesté lors de la Design Week de Milan à la mi-avril, où il a fait une importante présentation aux Baranzate Ateliers, une initiative belge du designer/architecte d’intérieur bruxellois Lionel Jadot.
Comme si cela ne suffisait pas, Storms a aussi collaboré à la décoration de trois nouvelles boutiques Bellerose à Paris. Il y a réalisé des présentoirs et des comptoirs pour lesquels il a développé une nouvelle technique: un gros bloc de pierre vient écraser et déformer un socle en métal brillant. "Comme pour mes coussins, j’ai d’abord soudé des plaques d’inox, mais dans ce cas, six au lieu de deux."
Le travail de Storms est très apprécié dans l’univers de la mode. L’atelier de maroquinerie Delvaux est un client de la première heure. Dans la boutique Delvaux de Bruxelles, on peut admirer sa table "In Vein" ainsi que sa table basse "In Hale". Pour la vitrine de la boutique de Knokke, il a conçu un présentoir style paravent composé de lamelles de marbre mobiles. À la fin de l’année dernière, il a créé des versions indépendantes des coussins de mur "In Hale" pour la vitrine de Noël de Delvaux.
Le créateur de mode Alexander Wang est aussi un client fidèle: dans son bureau à New York, il a accroché une double pièce "In Hale" en cuir noir et acier Corten. Dans le flagship store de Londres, conçu par Vincent Van Duysen, se trouve une grande table basse noire "In Hale". Et pour le flagship store de Pékin, Storms a réalisé trois canapés.
Il a également travaillé pour Kassl Editions, un label qui conçoit des imperméables et des sacs à main puffy. Il travaille actuellement sur un projet top secret pour Cartier, pour lequel il utilisera pour la première fois de la feuille d’or.
L’expérimentation représente un aspect important du travail de Storms. Cela semble excitant, mais c’est aussi synonyme d’échecs à répétition. Ainsi, son projet pour Bellerose a failli échouer quelques jours avant l’ouverture des boutiques. "Depuis des mois, je sculptais du polystyrène en forme de pierre, pour réaliser un moulage en aluminium. Quand j’ai réalisé que le délai était impossible à tenir, j’ai dû improviser: avec mon équipe, nous avons enchaîné lesnuits blanches pour mettre au point une nouvelle technique qui, ouf!, a fonctionné: écraser des socles en métal avec du marbre. La nuit précédant l’inauguration, nous sommes partis jusqu’à Paris pour tout installer."
Si l’on observe sa méthode de travail, on s’aperçoit que Storms est plus un faiseur qu’un créateur. Ses objets prennent vie dans l’atelier, à force d’expérimentations et non à partir de croquis ni de dessins sur ordinateur. "Je pars toujours du matériau et de la technique, jamais de la forme. D’ailleurs, je n’ai pas de contrôle sur la conception ou, du moins, pas complètement. Quand je gonfle mes coussins en métal, par exemple, je ne sais pas où les plis vont apparaître. C’est aléatoire et le résultat est à chaque fois différent", explique Storms, qui affiche une prédilection pour les matériaux robustes utilisés depuis des siècles, comme le marbre, l’acier et, plus récemment, le verre et le bronze.
Des matériaux qui ont aussi une importante empreinte écologique. "Il serait faux de prétendre que je suis préoccupé par la durabilité. Mais, fondamentalement, mes pièces sont inusables et intemporelles. On peut les transmettre de génération en génération. Je ne prétends pas que mes créations ont une valeur éternelle, mais les matériaux que j’utilise, oui. De plus, je travaille avec des chutes de pierre naturelle, des morceaux bruts que les carrières ne peuvent pas vendre parce que ce ne sont ni des dalles ni des blocs entiers."
Trompe-l’œil
"Je n’ai jamais vendu à des prix trop bas. Si je le faisais, j’aurais beaucoup de travail, mais pas beaucoup de bénéfices."Ben Storms
Ce qui rend le travail de Ben Storms si attrayant, c’est la tension entre la forme et le matériau. Ce qui semble être un coussin moelleux s’avère être une pierre massive et dure. Des coussins d’air portent un lourd bloc de marbre sans fléchir. "J’induis le spectateur en erreur. En le déconcertant pendant un moment, je le pousse à regarder des matériaux qu’il connaît déjà avec un regard neuf."
Avec ses coussins en marbre et en métal brillant, Storms a développé un langage visuel très reconnaissable. Trop, pourrait-on dire. En d’autres termes, trop de la même chose. "Je considère cela comme un atout", rétorque-t-il. "Cela rend mon œuvre cohérente. De plus, c’est inhérent à ma méthode de travail, où chaque projet découle d’un autre."
Sachant que Storms est diplômé en histoire de l’art, sa carrière peut sembler surprenante. Elle l’est moins si l’on sait que son père faisait le commerce de matériaux de construction anciens, dont beaucoup de marbre et de pierre naturelle. C’est son père qui lui a appris le métier. Après l’université, il a suivi une année de design à l’école supérieure Thomas More de Malines, où il a obtenu son diplôme avec "In Vein". Cette table à tréteaux en marbre, extrêmement fine et techniquement complexe, lui a permis de percer à l’international. Elle a même figuré dans le film "Criminal" avec Kevin Costner et Tommy Lee Jones. L’actrice influenceuse Gwyneth Paltrow et la pop star Kelly Rowland possèdent également des créations de Storms.
Aujourd’hui, plus d’une décennie plus tard, il dispose d’un atelier rempli de machines et il emploie plusieurs personnes. "Je ne suis pas un spécialiste des chiffres. Pour moi, le business se fait au feeling. Comme je suis issu d’une famille d’indépendants, j’ai un sens inné des affaires. Je sais négocier, je surveille les ventes et je sais combien d’argent il y a sur mon compte, même si c’est surtout pour voir si je peux faire de nouveaux investissements. Je n’ai jamais vendu mes réalisations à un prix trop bas. Si on le fait, on est assuré d’avoir beaucoup de travail, mais on n’en tire rien. Ce n’est pas une option pour moi", affirme-t-il.
"De plus, on n’a pas le temps de développer de nouvelles créations, alors que c’est la partie la plus passionnante de mon travail. Heureusement, je vends bien, et les pièces murales ‘In Hale’ sont mes best-sellers. Nous continuerons à les produire jusqu’à épuisement des éditions. Mon atelier tourne grâce à ces revenus. Je le fais en grande partie sans subventions ni sponsoring."
Ligue des champions
Maintenant qu’une galerie est impliquée, l’aspect commercial change. "J’ai déjà travaillé avec des galeries, mais c’est mon premier engagement à long terme. Nous voulons grandir ensemble. Nous nous renforcerons mutuellement", déclare Storms.
C’est également ainsi que Vandewyngaerde, dirigeant de Objects With Narratives, voit les choses: "Notre ambition est simple: faire partie des cinq plus grandes galeries d’art fonctionnel au monde. Nous n’y sommes pas encore, et nous n’y serons pas encore l’année prochaine, mais nous pensons que c’est possible. Nous avons dans notre portfolio quelques artistes de ce calibre, comme Ben. Il vend déjà à l’international, et nous travaillons à améliorer sa notoriété. Il a le potentiel pour devenir une référence mondiale. Son travail est puissant et accessible. De plus, il s’intègre dans une grande variété de contextes: d’un intérieur classique à une maison contemporaine ou un white cube, en passant par des espaces publics ou un jardin de sculptures. Nos clients, dont seulement 5% sont Belges, manifestent de l’intérêt. Et nous sommes en pourparlers avec plusieurs musées. Il est encore trop tôt pour citer des noms, mais vous pouvez vous attendre à une exposition solo muséale dans quelques années."
En d’autres termes, Storms est prêt à jouer dans la Ligue des Champions, et sa présence à Design Miami Bâle marque le coup d’envoi. "Mes derniers investissements sont d’un tout autre calibre qu’au début. Je travaille maintenant avec des techniques et des matériaux plus coûteux, comme le verre coulé et le bronze. Par exemple, le moulage en verre de ma table basse ronde ‘In Hale’. Pour éviter les fractures thermiques, elle passe trois mois dans un four tchèque qui chauffe et refroidit très lentement. Cela a évidemment un coût. Travailler avec une galerie qui a la clientèle adéquate pour ces pièces constituait une étape logique, car cela me permet de continuer à investir dans un nouveau travail et de nouvelles pièces. Le public devra peut-être s’y habituer, mais je crois fermement au succès de ces pièces en verre coulé. Bien que le premier exemplaire n’ait pas encore été vendu, je suis déjà en train d’en produire de nouvelles. C’est tout moi: quand je sens qu’une pièce est forte, je continue à la pousser." En d’autres termes, il la conduit à Bâle en ce moment même.
Design Miami.Basel
Du 10 au 16 juin
www.artbasel.com
www.benstorms.be
Objects With Narratives
Place du Grand Sablon, 40 à Bruxelles
www.objectswithnarratives.com
Oktober Publications
Le livre consacré à Ben Storms paraîtra cet automne chez Oktober Publications, www.oktober-publications.com