Alexandra Cousteau continue le combat de son grand-père pour la mer

Avec sa fondation Oceans 2050, Alexandra Cousteau, la petite-fille du célèbre commandant, veut reconstruire la vie marine, notamment à l'aide de forêts d'algues.

Toute ma vie, j’ai été abordée par des gens qui me confiaient combien ses films avaient compté pour eux. Ou que c’était grâce à lui qu’ils avaient appris à faire de la plongée sous-marine ou qu’ils avaient étudié la biologie marine." Alexandra Cousteau reste, à 44 ans, la petite-fille de Jacques-Yves Cousteau (1910-1997), célèbre documentariste, océanographe et explorateur français. Coiffé de son iconique bonnet rouge, à bord de la Calypso, son navire océanographique, il a parcouru les mers du monde entier, tourné plus de 140 films documentaires et publié 50 livres.

"Je me suis demandé: quand la génération de ma fille sera adulte, assistera-t-elle à la mort des océans?"
Alexandra Cousteau
Fondatrice d'Oceans 2050
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Le commandant Cousteau laisse un héritage presque aussi incommensurable que les océans et la vie luxuriante qu’ils abritent. Ses documentaires lui ont permis de  captiver des générations d’amoureux de la nature. Personne n’a eu autant d’impact sur la connaissance et l’appréciation collectives du grand bleu, un univers inconnu de beaucoup, que l’ex-officier de marine. "Il a mis en place toute l’éthique relative à la préservation des océans.

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"Il a attiré l’attention sur la beauté intrinsèque et l’importance majeure des océans pour l’ensemble de la planète et notre bien-être", nous explique Alexandra Cousteau via Zoom depuis la terrasse de sa maison dans la Loire.

"Pourtant", ajoute-t-elle, "cette influence s’est avérée insuffisante pour protéger les océans." Pire, la catastrophe environnementale imminente contre laquelle son grand-père l’avait mise en garde s’est produite. Alexandra Cousteau raconte qu’autrefois, les marins revenaient avec des histoires sur la richesse des poissons qu’ils croisaient, mais qu’aujourd’hui, ils ne voient guère plus qu’une soupe de plastique.

"Année après année, les océans se détériorent. Nous avons déjà perdu la moitié de la vie aquatique. Certaines régions de la Méditerranée ou du golfe du Mexique, qui étaient florissantes, sont aujourd’hui mortes."

Enfance sur la Calypso

Son premier souvenir de la mer? Elle ne s’en souvient pas. "C’est comme le premier souvenir de sa mère, on n’en a pas." Bébé, elle voyageait à travers le monde avec son père Philippe, le plus jeune fils de Jacques-Yves. Philippe, qui était un écologiste au sens scientifique du terme, a poursuivi l’œuvre familiale à bord de son hydravion, Flying Calypso. Hélas, en 1979, il s’écrase au Portugal, alors qu’elle n’a que trois ans.

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Alexandra Cousteau a donné pour objectif à sa fondation, Oceans 2050, de restaurer la vie aquatique dans son intégralité.
Alexandra Cousteau a donné pour objectif à sa fondation, Oceans 2050, de restaurer la vie aquatique dans son intégralité.
©Blue Legacy
©Getty Images

Durant son enfance, elle passe la plupart de son temps à bord de la Calypso. "J’adorais mon grand-père." Elle apprend à plonger à l’âge de sept ans, et c’est le Commandant Cousteau en personne qui a été son maître-nageur. "J’ai grandi en expédition en mer. C’était ma vie." Se pencher au chevet du monde aquatique était, pour elle, parfaitement naturel. "Personne n’a eu besoin de me forcer: j’ai toujours su que c’était là que je trouverais du sens."

Après avoir étudié les relations internationales à Washington, elle prête son célèbre patronyme à la réalisation et à la production de documentaires. À la naissance de sa fille, aujourd’hui âgée de neuf ans, déçue par l’emploi que l’on fait de termes tels que "durabilité", tellement employés qu’ils en sont vidés de leur sens, elle se met en quête d’un objectif concret. "Je me suis demandé: quand la génération de ma fille sera adulte, assistera-t-elle à la mort des océans?"

Reconstruire la vie marine

Elle a posé la question à son "phare scientifique", le célèbre océanographe espagnol
Carlos Duarte, professeur à l’université King Abdullah en Arabie saoudite. "Est-ce inévitable qu’en 2050, il y ait plus de plastique que de poissons dans les océans? Est-ce que ça va arriver, quoi que nous fassions? Ou bien est-il possible de restaurer la santé des océans et d’en récolter le fruit, tous ensemble? À mon grand soulagement, il m’a répondu que oui, c’était possible."

"J’adorais mon grand-père", confie Alexandra Cousteau. Elle a appris la plongée sous-marine avec le Commandant Cousteau à l’âge de sept ans.
"J’adorais mon grand-père", confie Alexandra Cousteau. Elle a appris la plongée sous-marine avec le Commandant Cousteau à l’âge de sept ans.
©Eric Brissaud / BtooB / eyevine

Duarte a rédigé à ce sujet un article paru il y a un an dans la revue scientifique Nature. Il écrit: "La reconstruction de la vie marine représente un grand défi réalisable pour l’humanité, une obligation éthique et un objectif économique intelligent pour assurer un avenir durable."

Ensemble, ils ont fondé, en 2018, Oceans 2050, une fondation visant à restaurer la vie marine dans toute sa splendeur. Le mot magique de Cousteau est "abondance": l’abondance de vie dans les océans (qui a diminué de moitié en raison de la pollution, de la surpêche et du changement climatique) peut revenir. "La mer n’est pas comme la terre. Elle a la capacité de se régénérer si elle est dans les bonnes conditions."

oceans2050.com - Rétablir l'abondance des océans d'ici 2050.

Le pouvoir magique des algues

Mais comment? Alexandra Cousteau veut commencer par augmenter la quantité d’algues. En effet, des espèces d’algues, comme le varech, se voient attribuer des pouvoirs magiques. Tout comme les plantes terrestres, les algues absorbent le carbone par photosynthèse, mais jusqu’à 50 fois plus. Elles absorbent ainsi le carbone de l’eau qu’elles transportent vers les fonds marins.

De plus, elles peuvent pousser à la vitesse folle de plus d’un demi-mètre par jour, elles ralentissent l’acidification de l’eau des océans et elles créent un habitat unique et diversifié pour la vie marine. En laissant des forêts d’algues de plusieurs dizaines de kilomètres de long prospérer à nouveau, nous pouvons réaliser des progrès sur plusieurs fronts, et simultanément.

"Il est temps que ceux qui font quelque chose de bénéfique pour la planète en tirent également un revenu."
Alexandra Cousteau
Fondatrice d'Oceans 2050

Une évidence, déclarent les scientifiques, mais pour ce faire, la culture des algues doit se développer considérablement. À la fin de l’année dernière, en collaboration avec 21 fermes d’algues établies sur cinq continents, Oceans 2050 a lancé une étude à grande échelle d’une durée de 15 mois pour cartographier les avantages de cette culture. Ces fermes mesurent et analysent le stockage du carbone dans les plantes et, grâce à ces données empiriques, comptent convaincre les autorités d’autoriser les producteurs d’algues à entrer sur le marché des quotas d’émissions de CO2.

Car, en vendant des crédits carbone, les producteurs pourront tirer un revenu important de leur activité et la culture des algues deviendra très intéressante sur le plan économique. "Nous voulons tirer parti d’une agriculture bénéfique pour les océans. C’est ainsi que nous voyons l’aquaculture: un élément régénérateur de l’économie bleue."

La nature rend heureux

On demande souvent à Alexandra Cousteau quelle est la chose la plus importante à faire pour la nature? "Ma réponse est simple: apprenez à l’aimer. Et apprenez à vos enfants à l’aimer. Observez-la. Les oiseaux, les grenouilles, les insectes... Comme nous, ce sont des habitants de la Terre. Leur survie est liée à la nôtre. Pensez à votre enfance: la nature en fleur, les animaux… Voilà ce qui nous rendait heureux. Ce serait une catastrophe si cela venait à disparaître, car un monde sans eux serait affreusement vide. La nature est partout, tout autour de nous, mais, trop souvent, nous ne la voyons pas forcément."

Écologie versus économie

Ce qui amène Alexandra Cousteau à une remarque plus générale: "Il est temps que ceux qui font quelque chose de bénéfique pour la planète en tirent également un revenu. En effet, actuellement, le paradigme est problématique: les gens sont rémunérés pour l’exploitation de la nature et non sa conservation. C’est ce qui se trame derrière le faux dilemme de l’écologie versus l’économie qui voudrait que, si l’on veut protéger la nature, il faille presque faire vœu de pauvreté, alors que c’est justement un des investissements les plus intéressants que l’on puisse faire."

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Le commandant Cousteau avec son fils Philippe, le père d'Alexandra. .
Le commandant Cousteau avec son fils Philippe, le père d'Alexandra. .
©Getty Images

La culture d’algues est un début, mais il faudra aller plus loin. Cousteau est extrêmement préoccupée par le fait que, des 17 objectifs de développement durable (proclamés par l’ONU en 2015), c’est l’objectif numéro 14, la vie aquatique, qui se voit allouer le moins d’argent.

"Les océans couvrent 70% du globe, ils sont essentiels à toute forme de vie et ils ont déjà absorbé 30% des émissions de CO2 depuis le début de la révolution industrielle. Pourtant, ils constituent pour beaucoup un univers éloigné. C’est fou, non?"

En ce mardi après-midi, on peut entendre, via Zoom, une autre forme d’abondance naturelle: des oiseaux qui chantent. Alexandra Cousteau est assise dans le jardin de sa maison de la Loire, près d’Angers. "Nous venons d’être élus troisième ville de France où il fait bon vivre, alors nous nous estimons heureux!"

Bye-bye Berlin

Jusqu’à récemment, elle vivait à Berlin, d’où est originaire son époux. Son truc, c’est la campagne française. "Je voulais un endroit où nous puissions juste ouvrir les portes et courir dans la nature. Avoir un chien, des poneys, des poules, un potager et un étang. Où l’on pourrait vivre dehors la moitié de l’année et se rabattre sur les choses simples, mais importantes."

La vie d’un Cousteau est forcément un peu nomade. Alexandra est née à Los Angeles et, enfant, elle faisait souvent l’aller-retour entre la Californie et la France. Elle passait ses étés dans le sud du pays, en alternance avec des voyages dans les endroits les plus divers, de l’île de Pâques au Kenya. Ou en Ouganda, où le dictateur de l’époque, Idi Amin Dada, avait invité personnellement son grand-père.

Alexandra Cousteau à la première édition de la Marche pour l'Ocean  à Paris en juin 2019.
Alexandra Cousteau à la première édition de la Marche pour l'Ocean à Paris en juin 2019.
©Isopix

"Je ne me sens pas ancrée dans un lieu. Je trouve facile et excitant de voyager avec ma tribu. Oh my goodness, we are all over the place! Récemment, nous avons passé six mois à Bali. J’étais une activiste en résidence à la Green School, où mes enfants suivaient également des cours."

"C’est surtout dû au fait que j’ai été élevée de cette façon. Aujourd’hui, je vois que mes enfants se plaisent et se font des amis partout où ils vont. Qui sait ce dont les enfants ont besoin pour être préparés à l’avenir? Si les miens peuvent être résilients et sentir qu’ils s’intègrent n’importe où, avoir l’esprit ouvert, être tolérants et créatifs, alors peut-être que ça ira pour eux!" (rires)

Comme le clan Kennedy

En 2018, elle a lancé, avec la marque française Luz Collections, une ligne balnéaire écologique en éconyl, un tissu fabriqué avec le plastique récupéré dans les océans. Et elle est loin d’être la seule Cousteau à poursuivre le combat écologique du grand-père Jacques-Yves, qui, outre son œuvre, a laissé derrière lui une famille engagée. Philippe Jr (le frère d’Alexandra), son oncle, son cousin et sa nièce se battent tous à leur manière pour la survie des océans. "Autant de générations d’un nom célèbre, toutes axées sur le même objectif? La seule comparaison que je puisse faire, c’est avec le clan Kennedy!"

Une façon de sauver les océans serait de planter des forêts d’algues.
Une façon de sauver les océans serait de planter des forêts d’algues.
©Getty Images

Et bien que les souvenirs s’estompent, elle reconnaît que son nom continue d’ouvrir des portes. "Mon grand-père est décédé en 1997, avant la percée d’Internet. Lorsque je dis aux jeunes que mon grand-père était aussi célèbre que Kim Kardashian, ils ont du mal à le croire. Mais moi, j’ai été exposée à ce niveau de célébrité quand j’étais enfant. J’en garde un souvenir mitigé. Je ne sais pas si je voudrais être aussi célèbre, surtout maintenant, avec toute cette haine et cette laideur. Être suffisamment célèbre pour accomplir le travail que l’on veut réaliser sans les distractions afférentes à une trop grande célébrité, c’est un fameux sweet spot!"

À lire également, le dossier de L’Echo sur "Les trésors de l’économie bleue".

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