Le téléphone de la célèbre avocate britannique Fiona Shackleton n’arrête pas de sonner en cette période de confinement. Sa spécialité? Le divorce des célébrités. Sabato l'a rencontrée.
Fiona Shackleton était l’avocate du Prince Charles pour son divorce avec Diana et de la Princesse Haya, l’ex-épouse du Cheikh Mohammed Bin Rashid Al-Maktoum, émir de Dubaï. C'est elle, également, qui a représenté Paul McCartney contre Heather Mills. Celle-ci avait même renversé une carafe d’eau sur la tête de l’impitoyable avocate en plein tribunal.
"Les femmes sont comme les biens qu’on prend en leasing: des actifs dont la valeur diminue."Fiona Shackleton
Si la pandémie est catastrophique pour l’économie, il y a au moins un secteur pour lequel elle est une bénédiction: celui des divorces des riches et célèbres. Et la baronne Fiona Shackleton vit une période faste. "En raison de la pandémie, mon téléphone surchauffe", explique, en effet, l’avocate spécialiste du divorce.
"Beaucoup de personnes se retrouvent coincées en compagnie d’une personne à laquelle elles ne peuvent échapper. Elles essaient de donner cours à leurs enfants à la maison tout en travaillant. Une combinaison particulièrement explosive", déclare l’avocate.
Couples en confinement
Ces derniers mois, de nombreux nouveaux dossiers ont été ouverts au cabinet de Shackleton. L'avocate compare la période du coronavirus aux périodes de pointe classiques, après les vacances d’été et autour de Noël.
"Lorsque vous devez respecter les règles de distanciation sanitaire, vous restez chez vous à vous marcher sur les pieds. C’est la même chose pendant les vacances d’été et la période de Noël: vous vous retrouvez dans un petit univers presque hermétique. On mange et on boit beaucoup, puis vient la bonne résolution de la nouvelle année: ‘Cette année, je largue ma femme ou mon mari’."
Dressed to Kill
En 1996, Fiona Shackleton était l’avocate du prince Charles lors de son divorce avec Diana, ce qui lui a valu une place dans le petit club exclusif des grands avocats spécialisés dans les divorces des super-riches. Des avocats qui facturent entre 800 et 1.400 euros de l’heure. Depuis lors, elle est également l’avocate personnelle des princes britanniques William et Harry, sans compter les nombreuses célébrités qu’elle a représentées au cours des trente dernières années.
Elle accorde rarement, voire jamais, d’interviews: elle préfère entretenir le mystère autour de sa personne. Lorsqu’elle enlève son imperméable écarlate, elle prévient qu’elle ne divulguera pas d’informations confidentielles. "Dressed to kill", avait un jour titré le tabloïd anglais Daily Mail, avant d’expliquer que la grande avocate utilisait ses tenues excentriques (et coûteuses) comme des armes.
Bien qu’elle soit impitoyable dans les tribunaux et ait gagné d’innombrables affaires de divorce (ou du moins, réussi à limiter la facture pour ses clients), elle reste une fervente partisane du mariage.
Elle pousse souvent ses clients à essayer de rester ensemble. "Parfois, je reçois des réactions irritées lorsque je leur demande s’ils ont déjà suivi une thérapie de couple ou s’ils ont vraiment essayé de trouver un moyen de remettre leur mariage sur les rails. Et puis je leur demande s’ils réalisent le prix de pouvoir lire tous les soirs une histoire à leur enfant avant d’aller dormir."
Valeur des hommes
Nous nous sommes donné rendez-vous au restaurant Estiatorio Milos à Londres. Situé au début de Regent Street et géré par Clio Georgiadis, l’établissement est l’un des restaurants préférés de Shackleton. Tout en lisant le menu, elle explique qu’elle y a fêté ses 60 ans ainsi que les 28 ans de sa fille aînée. "Les femmes sont comme les biens qu’on prend en leasing: des actifs dont la valeur diminue."
"Les hommes, par contre, sont comme les biens qu’on ne loue pas, mais qu’on achète, parce qu’ils ne cessent de prendre de la valeur. Pourtant, je ne pense pas qu’il soit utile de cacher son âge et de se faire lifter chaque année: cela ne fait que vous rendre ridicule à la naissance de votre premier petit-enfant." Shackleton est devenue grand-mère pour la première fois en avril.
Être une femme mûre doit bien avoir quelques avantages? "Des avantages et des inconvénients", répond Shackleton. "En fait, il n’y a pas vraiment beaucoup d’avantages, vous savez." Après notre brève insistance pour qu’elle en cite un, elle répond: "Plus vous avez d’années au compteur, mieux vous pouvez prévoir ce qui va se passer. Vous reconnaissez les schémas récurrents, vous savez quel sera le prochain coup. C’est comme le tennis."
"Notre mariage fonctionne parce que nous avons des activités chacun de notre côté."Fiona Shackleton
Nos entrées sont servies. Le propriétaire du restaurant, Georgiadis, que Shackleton a informé qu’elle serait en compagnie d’un journaliste, ne compte pas nous servir juste un lunch. Le serveur nous présente une tour composée de courgettes et d’aubergines frites, avec du fromage kefalograviera et du tzatziki. "Offert par la maison." Bon appétit!
La grande avocate est mariée. Elle a rencontré son époux, Ian, quand elle étudiait le droit à l’université d’Exeter. Onze ans plus tard, l’amitié s’est transformée en amour lorsqu’elle lui a rendu visite à Hong Kong, où il faisait son service militaire. "Pendant qu’il était sorti, la propriétaire de son appartement m’a déclaré: ‘Ne lui faites pas confiance, c’est un drôle de gars. Vous n’êtes jamais que sa troisième conquête.’"
"J’ai répondu que je connaissais les deux autres et je lui ai demandé qui, selon elle, serait la meilleure des trois. Elle m’a rétorqué: ‘Certainement pas vous, vous êtes trop négligente!’"
Lui demander de décrire son mariage, c’est recevoir une réponse chaleureuse, mais avec une approche froide et rationnelle. "Notre mariage fonctionne parce que nous avons des activités chacun de notre côté. Et surtout, Ian est une bonne personne. Bien sûr, j’avais l’avantage d’avoir exercé le droit du divorce bien avant mon mariage: j’avais donc de l’expérience et j’avais très vite compris à quel genre de type j’avais affaire. En fait, une nature agréable fait beaucoup, et peut-être même tout."
Mieux vaut un arrangement
Nous avons attaqué la première entrée, mais les plats se succèdent. Mon tartare est délicat et quand je lui demande comment elle trouve sa salade, Shackleton résume concrètement la situation: "Ces tomates sont absolument délicieuses, extrêmement fraîches, l’huile d’olive est excellente, mais je n’ai jamais vu autant de nourriture sur une seule table!"
Si les divorces sont son gagne-pain, cela n’empêche pas l’avocate de lutter contre le malheur conjugal. Elle a ainsi financé un projet de recherche universitaire visant à apprendre aux enfants à bâtir une relation solide et à choisir un bon partenaire.
Une initiative qu’elle a prise après le décès brutal de son père, suite à une attaque cérébrale. "Je me suis dit: que se passe-t-il quand un enfant de cinq ans perd son papa et s’inquiète pour sa maman? Il n’a plus d’enfance."
Lorsqu’un divorce s’avère inévitable, elle conseille à ses clients de trouver un arrangement plutôt que de se battre devant les tribunaux. "J’ai reçu un nouveau client ce matin. Une affaire fascinante! Mais j’ai expliqué à cet homme d’affaires prospère qu’il ne devait pas perdre de temps avec moi pour économiser - le pauvre - quelques millions. ‘Donnez-les à votre femme et continuez votre vie’, lui ai-je conseillé. Je préfère voir les gens quitter mon cabinet le plus vite possible."
"J’aime porter une belle tenue. C’est comme mettre son uniforme le matin pour aller sur le champ de bataille."Fiona Shackleton
Quel que soit le chemin parcouru, sa vie professionnelle n’a pas toujours été une partie de plaisir. Shackelton a obtenu son diplôme universitaire avec (une simple) satisfaction. Une conséquence de sa dyslexie. "J’étais désespérée pendant les examens", témoigne-t-elle. "Mon cerveau ne fonctionne pas comme celui des autres. Je vois des choses que les autres ne voient pas, et inversement."
Après un stage dans un cabinet d’avocats réputé de la City de Londres, elle travaille comme chef dans un restaurant pendant quelques mois avant de revenir à la profession d’avocat. C’est ainsi qu’elle se retrouve chez Farrer & Co, un cabinet auquel la famille royale faisait souvent appel, notamment pour des questions relatives aux domaines royaux. Une période peu agréable, durant laquelle elle s’est sentie comme une cible, se souvient-elle.
"Toutes les femmes étaient harcelées, et moi plus encore parce que j’étais juive. C’était difficile. Je travaillais beaucoup au bureau, mais, à 17h30 pile, je rentrais chez moi pour mettre mes deux filles au lit. J’étais tellement terrorisée par ce milieu qu’à la fin, je me suis mise à penser que je n’étais pas assez bonne." Finalement, en 2001, Shackleton rejoint le cabinet d’avocats Payne Hicks Beach, où elle se trouve toujours.
Franchise et transparence
Dans l’intervalle, nos plats principaux sont servis: les deux poissons sont tentants, mais nous n’avons plus beaucoup d’appétit. Les tribunaux anglais ont une tradition: ils poussent à ce que la répartition des biens acquis pendant le mariage soit d’une précision quasi chirurgicale. Ce n’est que dans des cas exceptionnels qu’une "contribution spéciale" peut être envisagée, si l’un des deux partenaires est beaucoup plus fortuné que l’autre.
"Le divorce peut être rapide ou lent, mais ça reste une torture."Fiona Shackleton
Cela peut être tentant si l’épouse d’un oligarque a la citoyenneté britannique et peut donc demander le divorce en Grande-Bretagne. Forte de ce principe, Shackleton a représenté Tatiana Akhmedova en 2016, pour son divorce avec le milliardaire russe Farkhad Akhmedov: l’ex-épouse a obtenu - au cours actuel - un peu plus d’un demi-milliard d’euros sonnants et trébuchants.
Cette année, l’avocate a également défendu la princesse Haya, devenue entretemps ex-épouse du cheikh Mohammed bin Rashid Al-Maktoum, émir de Dubaï, que le juge a jugé responsable de l’enlèvement de ses deux filles. "Si vous essayez de déplacer les enfants sans le consentement du conjoint ou du juge, vous pouvez être condamné pour enlèvement. Oui, j’ai eu affaire à beaucoup d’enlèvements."
Ses clients ne sont pas toujours habitués à s’entendre dire ce qu’ils doivent faire. Est-il possible de faire la leçon à ces personnes richissimes? "Oui, bien sûr, c’est facile", répond Shackleton.
"En effet, ces gens ont le luxe de pouvoir vous envoyer balader, même si, bien sûr, vous avez aussi affaire à des personnes qui sont habituées à ce que les autres les caressent dans le sens du poil, mais alors, vous pouvez leur dire: ‘Je suis désolée, mais c’est comme ça’. Si moi, je peux me le permettre, c’est parce que cela fait longtemps que mes clients ne remboursent plus mon prêt hypothécaire (rires)."
"S’ils me virent, quelqu’un d’autre prendra leur place. D’ailleurs, si vous travaillez pour les riches ou les célèbres, ils doivent rapidement être transparents quant à leurs finances pour me permettre de passer à l’étape suivante: trouver un accord. Je leur dis alors: ‘Le divorce peut être rapide ou lent, mais ça reste une torture.’"
Il y a aussi la question au sujet de sa clientèle royale. "Il ne faut pas oublier que ces personnes n’ont pas la vie facile non plus. La plupart des clients que je reçois n’ont pas de gardes du corps 24 heures sur 24. Tout le monde n’est pas obligé de vivre avec l’idée que le monde entier sera au courant dès que vous ferez un pas de travers."
"En même temps, bien sûr, ces personnes peuvent tout de suite faire appel à un autre avocat si elles ne sont pas satisfaites de vos services. Donc, si vous êtes honnête et que vous leur dites ce qu’il en est, vous pouvez leur donner de très bons conseils."
Jouer avec ses enfants
Le serveur revient chercher nos assiettes à peine entamées. Nous essayons de refuser un pudding, mais il ne veut rien entendre. "C’est compris dans le menu", déclare-t-il avec conviction. "Ou dois-je préparer quelque chose de spécial pour vous?" demande-t-il à Shackleton. "Je vous fais confiance, mais je voudrais des petites portions", répond-elle. Le serveur revient avec un grand bol de karidopita (gâteau aux noix) et de baklava.
Notre temps est presque écoulé. Reste cependant une petite question: Shackleton accorde-t-elle vraiment autant d’importance à ses vêtements que les tabloïds le prétendent? "J’aime les beaux vêtements", répond-elle. "Pendant une grande partie de ma jeunesse, j’ai dû lutter contre l’excès de poids: rien ne m’allait. J’aime porter une belle tenue. C’est comme mettre son uniforme le matin pour aller sur le champ de bataille."
"En parlant de bataille, je demande toujours à mes clients s’ils ne détestent pas plus leur conjoint qu’ils n’aiment leurs enfants. En effet, les enfants ne restent des enfants que très peu de temps. Jouez avec vos enfants, soyez accommodant, aimez-les. Alors, tout ira bien."