Le musée du cinéma de Los Angeles était une légende avant même d'ouvrir ses portes. Il aura fallu près d'un siècle et un sérieux dépassement de budget pour qu'il voie le jour.
Les auteurs du Guinness des records ne sont sans doute pas au courant, sinon ils auraient répertorié le musée de l’Ampas, ou Academy of motion picture arts and sciences. En effet, il a fallu près d’un siècle (vous avez bien lu!) pour que le musée de la célèbre organisation professionnelle vouée au cinéma voie enfin le jour, ce qui lui a coûté plus de 482 millions de dollars. Voici un thriller muséal ou comment la réalité dépasse la fiction.
Le nouveau rendez-vous des amateurs du septième art (et d’architecture) présente, sur un espace d’exposition de près de 30.000 mètres carrés, plus d’un siècle d’histoire du cinéma dans le cadre d’une exposition permanente. L’Academy possède la plus grande collection de films du monde (treize millions!) et expose ce que les amateurs attendent: extraits de films, vidéos, affiches, accessoires, décors, costumes et artéfacts.
La galerie "Significant Movies & Movies Makers" est dédiée aux films qui ont tordu le cou aux stéréotypes qui collaient aux basques des femmes et des minorités.
De nombreux objets emblématiques
On peut y admirer l’effrayant requin des "Dents de la mer" et le traîneau Rosebud de "Citizen Kane" offert par Steven Spielberg, qui avait acheté ce "prop" iconique aux enchères dans les années 80. On peut aussi y voir une partie de la collection d’affiches vintage offertes par Leonardo DiCaprio et la machine à écrire originale qui permit à Joseph Stefano d’écrire le scénario de "Psychose", chef d’œuvre d’Alfred Hitchcock.
Les curateurs ne se sont pas limités à la glorification un peu trop évidente de l’histoire du cinéma. En effet, le musée montre également les côtés moins reluisants de l’industrie du rêve.
Par exemple, il présente le maquillage qui était utilisé pour maquiller les acteurs blancs en personnages de couleur il y a 80 ans. Et au deuxième étage, la galerie "Significant Movies & Movie Makers" est dédiée aux films qui ont tordu le cou aux stéréotypes qui collaient aux basques des femmes et des minorités.
Au troisième étage, l’exposition "Stories of Cinema" de la Rolex Gallery met en lumière les différents aspects de la production cinématographique, comme les professions impliquées, et son impact social.
Ce partenariat avec Rolex n'a rien d'étonnant, car la marque horlogère suisse entretient un lien avec Hollywood depuis plusieurs décennies déjà. Marlon Brando portait une Rolex dans "Apocalypse Now", comme Bill Paxton dans "Titanic" et Paul Newman dans "La couleur de l’argent". On peut également y admirer la légendaire Cosmograph Daytona de Paul Newman (passé sous le marteau pour 15,3 millions d’euros en 2017) et gracieusement prêtée par l’acquéreur.
À noter que Rolex est partenaire de la cérémonie annuelle des Oscars, où l'horloger assure notamment la décoration intérieure de la Greenroom, la salle où se retrouvent les présentateurs et invités spéciaux avant la remise des prix.
Cependant, le musée ne se contente pas d’offrir une scène aux stars d’Hollywood: une première exposition temporaire braque les projecteurs sur le travail du génial Hayao Miyazaki, créateur de films d’animation au-delà du merveilleux et fondateur du Studio Ghibli, une référence au Japon à qui l’on doit "Le voyage de Chihiro" et "Princesse Mononoké".
Une très longue saga
Dès 1927, année de la fondation de l’Academy, il a été question de construire un musée du cinéma. En raison du krach boursier survenu deux ans plus tard, le projet est mis en veilleuse jusqu’aux années 40. À l’époque, il devait être installé dans l’ancien Trocadero Club sur Sunset Boulevard, avec pour attractions les chaussures de Charlie Chaplin et les boucles de Mary Pickford, mais la guerre balaya ce projet.
Il n’est pas prévu que les grands nom de l’industrie cinématographique qui sont invités à la cérémonie des Oscars fassent honneur à la salle de cinéma de l’Ampas.
Arrivent les golden sixties: l’architecte William Pereira est pressenti pour construire le musée auquel sera alloué un budget de 16 millions de dollars, soit plus de 140 millions actuels. Une fois de plus, les choses tournent mal, cette fois-ci en raison d’expropriations.
Il faut attendre 2006 pour que le projet reprenne des couleurs. Cette année-là, l’Academy achète un terrain à Hollywood pour 50 millions de dollars. Plusieurs grands architectes se manifestent, dont Sir Norman Foster et le Français Christian de Portzamparc, lauréat du prix Pritzker. Ce dernier s’impose en tant que favori et, deux ans plus tard, dévoile ses plans pour un musée grandiose. Budget: 400 millions de dollars. Vous l’aviez senti venir: au moment même où Portzamparc fait sa présentation, en 2008, la bourse américaine connaît une chute historique. Fin de l’histoire, pour la énième fois.
Quatre ans plus tard, l’Academy suggère de rénover un bâtiment moderniste sur Museum Row et d’y consacrer un budget plus modeste pour (enfin) y installer le musée. Curieusement, il attire l’Italien Renzo Piano, lauréat du prix Pritzker, lui aussi, à qui l’on doit le Shard à Londres et le Centre Pompidou à Paris.
C’est un architecte qui n’est pas vraiment connu pour la modestie de ses projets de rénovation. En 2015, il montre ses plans: à côté du bâtiment de 1946 à rénover, il compte ériger une construction en forme de dôme, une pièce d’architecture futuriste qui serait parfaitement à sa place dans un film de la franchise "Star Wars" et qu’il décrit d’ailleurs comme un vaisseau spatial. Le comité de direction s’étrangle, mais accepte néanmoins les plans grandioses de Piano.
Pour les amateurs d’architecture comme pour les cinéphiles, c’est un carton plein.
Le projet vire au cauchemar financier. Initialement estimé à 250 millions de dollars, le coût total s’élève finalement à 482 millions de dollars. Aucune dépense n’est épargnée pour rénover le musée jusque dans les moindres détails.
Par exemple, un architecte est engagé spécialement pour la rénovation de la façade du bâtiment existant. L’architecte britannique John Fidler, autrefois chargé de la conservation de Stonehenge, fait ainsi remplacer environ la moitié des 365.000 dalles de verre de la façade par de nouvelles, produites par le fabricant italien d’origine. Autant de petites folies qui font grimper le budget à un niveau interstellaire.
Il n'y a pas que le tapis qui soit rouge
Pour les amateurs d’architecture comme pour les cinéphiles, c’est un carton plein. La combinaison du style paquebot de l’ancien bâtiment avec l’annexe sphérique conçue par Renzo Piano fonctionne à merveille. Le dôme de verre, d’acier et de béton abrite une salle de cinéma équipée de plus de mille sièges en velours carmin, le meilleur cinéma du monde selon l’architecte.
"Le musée est constitué d’un premier bâtiment qui appartient à l’histoire de la ville et d’un second qui relève de l’avenir", a déclaré l’architecte au Wall Street Journal. L’intérieur du bâtiment existant a été entièrement dépouillé avant d’être équipé de murs de verre et d’ascenseurs transparents. "Ainsi, on voit la lumière se déplacer à travers les ascenseurs et les gens monter et descendre comme dans un flipper", explique Piano.
En 2019, la construction était en grande partie terminée. Tom Hanks, star et membre du conseil d’administration de l’Academy, avait annoncé que le musée ouvrirait pendant l’hiver 2020. Mais cela n’a pas été le cas. Et puis, fin septembre, lors de l’inauguration du musée, Tom Hanks a repris la parole. "Il y a d’autres musées du cinéma dans le monde. Mais, avec tout le respect que je leur dois, celui de Los Angeles se doit d’être le Parthénon du genre."
Si vous pensiez que la prochaine cérémonie des Oscars se déroulerait dans ce Parthénon - avec sa galaxie de stars, ses kilomètres de tapis rouge et ses rangées de fauteuils grenat -, détrompez-vous: les membres de l’Academy ont beau avoir attendu leur temple près de 100 ans, au prix astronomique de près d’un demi-milliard de dollars, l’édition 2022 de la cérémonie des Oscars se tiendra bien au Dolby Theatre.