Il a réalisé des clips pour Prada et Oscar & The Wolf. Mais plus que ça, Leonardo Van Dijl est aujourd'hui le seul Belge sélectionné au Festival de Cannes avec son court métrage "Stephanie".
"Nous vous déconseillons de faire un master." Amoureux du cinéma, le jeune Leonardo Van Dijl, originaire de Flandre occidentale, s’était rendu au RITCS (Royal Institute for Theatre, Cinema and Sound) à Bruxelles afin d’y étudier la réalisation de documentaires. Mauvais choix, avait estimé le conseil de l’école, qui lui avait accordé son bachelor de justesse. "On m’a gentiment invité à quitter l’école."
Sans cet échec, Leonardo Van Dijl (29 ans) n’aurait peut-être jamais eu le courage de se lancer dans la fiction, ce dont il rêvait depuis longtemps. "Un étudiant peut échouer: je me suis dit que j’allais me consacrer à la fiction."
Bien vu: mardi prochain, le jeune Belge sera à Cannes. Son court métrage "Stéphanie" fait partie de la sélection officielle du festival. Il est aussi le seul Belge qui montera les marches lors de cette édition spéciale coronavirus. Du moins, si les voyages sont autorisés.
Videoclips
Oscar and the Wolf, Warhola et Clouseau: il y a plus de chances que vous ayez déjà vu la patte de Van Dijl dans des clips musicaux qu’au cinéma. Depuis son premier court métrage, le jeune réalisateur a également travaillé sur des projets publicitaires et musicaux. Il fait aussi de la photographie, dont le shooting d’automne pour Sabato l’année dernière.
Ces activités n’étaient pourtant que des petits à côté: son vrai projet continuait à se monter en parallèle. Même si le sport tient plus de la métaphore que d’une quête personnelle, Van Dijl conclut avec "Stéphanie" une trilogie sportive, qui a débuté en 2013 avec "Get Ripped", avec lequel il a fait ses débuts à la Luca School of Arts de Bruxelles, où il a décroché son master dans l’orientation fiction.
"Get Ripped" est l’histoire d’un jeune homme qui, en quête de sa masculinité, pratique le fitness et tente de masquer son insécurité par le biais de ce sport. Ce court métrage lui a valu le Grand Prix du Jury au festival du film Outfest à Los Angeles en 2014.
L’année suivante, son film de fin d’études, "Umpire", raconte l’histoire d’une jeune star du tennis qui a du mal à accepter que son entraîneur l’a abusée sexuellement. Cet opus a remporté la wildcard du Fonds Audiovisuel de Flandre, ce qui lui a permis de disposer de 60.000 euros pour tourner "Stéphanie", qu’il présentera à Cannes.
Court métrage "Stephanie"
En 15 minutes, "Stéphanie" raconte l’histoire d’une gymnaste de onze ans bien déterminée à revendiquer le titre national sous le bourdonnement de la lampe TL d’une salle de sport de Liège. Pour cela, l’athlète est décidée d’aller très loin, et c’est ce qui la distingue.
"Cannes n’était pas un but en soi, par contre, réaliser le meilleur film possible l’était!"Leonardo Van Dijl
Quand le spectateur découvre que cette athlète est une fille qui arrive à peine à l’épaule des autres ados, il se trouve dans une situation inconfortable. N’est-ce pas aller trop loin? Et qui va trop loin: la gymnaste ou la coach qui l’encourage? Cette dernière est magnifiquement interprétée par Sofie Decleir, la fille de Jan Decleir, célèbre acteur flamand.
"Stéphanie entrelace deux histoires. Comment montrer, d’un point de vue émancipé, ce que c’est que d’être une fille ou une femme dans le monde du sport", explique Van Dijl. "Il s’agit d’une fille qui veut tout simplement être la meilleure: elle est compétitive. Elle n’est pas poussée par une mère dominatrice ou par la jalousie d’un autre membre du club."
"Dans les films, les jeunes filles sont souvent des victimes, mais pas ici. En ce sens, mon film est un anti-'Black Swan'. Le fait que Stéphanie veuille juste donner le meilleur d’elle-même est ringard: si elle place la barre très haut, c’est moins pour la gloire que pour le perfectionnisme. Et parce qu’elle ne veut décevoir ni sa coach ni elle-même."
Est-ce que le fait de ne pas vouloir échouer vous caractérise-t-il également?
Totalement. Regardez ce film, il a été réalisé grâce à l’argent public. À mes yeux, la seule manière de justifier le fait que j’engage le talent et l’argent des gens était de réaliser le meilleur film possible. Cannes n’était pas une fin en soi: par contre, réaliser le meilleur court métrage sur base de ce scénario l’était. Je le devais à moi-même et aux contribuables
Si les acrobaties de Charlotte Verwimp sur la poutre sont bien réelles, le métier d’actrice était pour elle une première. Les jeunes ont rarement le rôle principal, mais dans vos films, si...
Regarder les enfants est cathartique: quand on projette sur eux la dureté que les adultes peuvent manifester les uns envers les autres, on devient plus doux. Stéphanie aurait pu avoir 18 ans, mais la complexité est plus évidente à 11 ans: les enfants doivent parfois être adultes et c’est difficile, mais les adultes ont, eux aussi, parfois du mal à l’être.
Escapisme
Fils aîné d’une mère italienne et d’un père néerlandais, Van Dijl grandit à Harelbeke, dans les environs de Courtrai. "En termes de culture, il y avait tout en ville. J’étais bénévole dans la salle de concert De Kreun, au centre culturel Budascoop et au théâtre Antigone." Mais cela n’a pas toujours été facile.
Comment vous êtes-vous retrouvé dans le monde du cinéma?
C’était une sorte d’escapisme. En tant que jeune gay en Flandre occidentale, j’avais l’impression d’être un mouton noir, et aller au cinéma était une façon de sortir de moi-même. Le passage du primaire au secondaire a été difficile: vous voulez être normal, mais vous êtes confronté à votre différence.
"Je regardais des films pour mieux comprendre comment faire face au monde."Leonardo Van Dijl
Je ne regardais pas les films pour devenir réalisateur, mais pour mieux comprendre comment faire face au monde Jusqu’à "The Virgin Suicides", qui a marqué un tournant (le premier film de Sofia Coppola en 1999 avec Kirsten Dunst, NDLR). C’était une expérience totale: superbement filmé, avec de beaux décors et de beaux vêtements, et cette musique... C’est en recherchant d’autres sons du groupe Air que je me suis plongé dans une médiathèque et, progressivement, dans le monde.
D’une évasion par le cinéma à la réalisation de vos propres films, il y a un fameux saut!
Ma première candidature était un montage (j’ai réalisé un film l’année suivante seulement), mais j’ai obtenu la deuxième place. C’était la première fois que j’étais reconnu, que je trouvais quelque chose en quoi j’étais bon et qu’il y avait peut-être là une voie à suivre.
À cette époque, j’écrivais également des poèmes et j’ai participé à des concours de poésie, mais je n’ai jamais rien gagné. Je faisais du sport, mais je n’étais pas un champion. J’étudiais, mais je n’avais pas de bonnes notes. C’est ce qui est bien avec le cinéma: vous n’êtes peut-être pas un bon musicien ni un bon photographe, mais un film vous permet de réunir toutes vos préférences, même si vous n’êtes pas forcément très doué.
Prada et Dries Van Noten
Idem pour la mode. En tant qu’étudiant, Leonardo Van Dijl a travaillé pour la section belge de Vice Magazine, un magazine alternatif de street culture et d’information qui n’existe plus aujourd’hui que sous forme numérique. "Il n’y avait jamais de budget et comme j’en avais assez de demander des faveurs, je me suis mis à faire le stylisme. C’était sympa, mais ce n’était pas ma vocation.
"Réaliser des teasers pour Prada est un des plus chouettes projets que j’aie jamais réalisés."Leonardo Van Dijl
Le fait que la mode soit revenue dans sa vie après qu’il ait résolument opté pour le cinéma est un heureux effet du hasard. Au cours de ces dernières années, il a travaillé sur des projets de mode: les défilés de l’Académie de la mode d’Anvers, un teaser pour la prochaine collection de Dries Van Noten et le making-of d’une campagne publicitaire pour Prada.
Vous avez réalisé les teasers en ligne pour une campagne Prada. Comment cela s’est-il passé?
C’est l’un des plus chouettes projets que j’aie jamais réalisés. Depuis que j’ai 14 ans, mes héros sont le créateur Raf Simons, le photographe Willy Vanderperre, le styliste Olivier Rizzo et la maison Prada. Et voilà que je me retrouve en plateau et que je travaille pour la plus grande marque qui soit, avec le styliste et le photographe que j’admire par-dessus tout! Je n’ai jamais fait un seul moodboard (un collage fait d'images, d'objets ou de mots, NDLR) sans photos de Willy Vanderperre. Mon rêve devenait réalité.
Faites-vous ces jobs dans la mode uniquement parce qu’ils sont bien payés?
La mode est souvent associée au capitalisme, à quelque chose de superficiel et d’excentrique qui coûte trop cher. Pour moi, la mode est poétique. Et répond à la question: "comment s’exprimer au quotidien avec ses vêtements?" Je ne fais pas de distinction entre high et low fashion. En fait, je préfère regarder les vêtements des gens dans le train plutôt que quelqu’un en total look Gucci. La mode a plus de cachet quand on ne peut pas la labelliser.
Premier long métrage
Le confinement a été l’occasion idéale pour faire d’autres choses, comme des collages sur le compte Instagram de "Stéphanie", un hobby de longue date: "Le cinéma est un média foutûment lent et coûteux, qui demande énormément de patience et de temps. Un collage dure 30 secondes et j’ai parfois besoin de ça aussi."
Cependant, il travaille déjà sur son prochain projet "foutûment lent". Le réalisateur s’estimerait heureux d’avoir un long métrage réussi à son actif dans dix ans. Et si vous voulez notre avis, il y a de fortes chances que cela ne dure pas aussi longtemps: depuis le confinement, il s’est mis à écrire son premier scénario, mais il refuse d’en dire davantage, "car ça porte malheur". Et il ne veut pas s’opposer au karma. Ce que d’aucuns qualifient de superstition est, dans son univers, de la "sensibilité spirituelle".
Comment avez-vous vécu l’annonce de votre sélection au Festival de Cannes ce printemps?
C’est une longue histoire. Quand le coronavirus est arrivé, je me suis dit: "C’est mon année: ‘Stéphanie’ sera à Cannes et, grâce au coronavirus, je ne devrai pas y aller." Pour moi, c’était le meilleur des deux mondes, au sens propre.
Vous n’aviez pas peur de vous tromper?
Bien sûr que si! Alors que Cannes aurait déjà dû avoir commencé (la sélection des 11 courts métrages a été annoncée très tard, alors que le festival aurait dû se dérouler, la 3ème semaine de mai, NDLR), j’ai eu une crise de panique, un soir, quand ma productrice m’a appelé à plusieurs reprises: j’ai ignoré ses appels parce que j’étais convaincu que ce serait une mauvaise nouvelle. Finalement, j’ai tout de même décroché et "oh!, ça alors": j’étais sélectionné...!
En raison de la crise sanitaire, seuls les quatre films principaux et la sélection officielle de courts métrages seront présentés à Cannes la semaine prochaine. Est-ce un inconvénient?
Bien sûr que non. Être sélectionné est une balise en ces temps incertains. Maintenant, toutes les nouvelles sont bonnes à prendre et mieux vaut être sélectionné que ne pas l’être: mon rêve, c’était que ce soit mon film qui se retrouve sur la Croisette, pas moi.
Avez-vous une idée de la manière dont ça se va se passer sur place?
Comme la France est en train de virer au rouge foncé, je préfère ne pas m’avancer. De toute façon, pour le moment, la vie est en suspens.
Savez-vous déjà ce que vous allez porter pour monter les marches?
Aucune idée pour l’instant. Je dois encore publier un post sur Facebook pour demander qui peut me prêter un costume. Mais est-ce vraiment une chose à dire à Sabato?