Après quatre décennies à Hollywood, Sharon Stone dit toujours ce qu’elle pense. La star de "Ratched" se confie sur la masculinité toxique, les rencontres en ligne et les traumatismes de Trump.
Il fait chaud sur le balcon de Sharon Stone, à Beverly Hills, tandis que nous déplorons la mort du flirt. “Les hommes ne sifflent plus”, déclare la star de Casino. “C’était très amusant, mais cette époque est révolue.” Faut-il s’en attrister? “Oui. La technologie a zappé le flirt, ce n’est même plus dans l’air: les gens ne flirtent même pas face à face. Et je ne pense pas que ce soit lié à vous ou à moi.”
"On n’a pas besoin de rester éternellement belle."Sharon Stone
Cela n’a rien à voir avec son âge non plus: j’ai dû retenir un sifflement admiratif quand l’actrice est apparue sur mon écran Zoom. Se prélassant sur un relax, à peine maquillée et dans une simple chemise en lin blanc, elle est encore plus belle qu’elle ne l’était quand elle était mannequin. Il y a vingt-cinq ans, l’actrice avait déclaré au Los Angeles Times: “Je pense que longtemps, on ne savait pas trop que faire de moi. Je ressemblais à une poupée Barbie, mais ma voix était grave et je parlais cash.”
Aujourd’hui, elle n’a plus rien d’une Barbie, mais sa voix laisse toujours penser qu’elle est un pilier de comptoir, comme son rire rauque. Ce n’est peut-être qu’aujourd’hui que l’industrie du cinéma se rend compte de tout ce qu’il est possible de faire de ce talent.
"Ratched"
Car, au-delà des femmes fatales à la “Basic Instinct”, Stone sait jouer la comédie (le film "Happy birthday" de Susan Walter en 2017), la tragédie (la mini-série "Mosaic" de Steven Soderbergh en 2017), et le mélange des deux comme dans la nouvelle série de Ryan Murphy et Ian Brennan, "Ratched", sorte de prequel de Vol au-dessus d’un nid de coucou, célèbre film de Miloš Forman avec Jack Nicholson.
Dans cette série Netflix, on découvre comment Mildred Ratched (interprétée par Sarah Paulson) devient ce monstre qui lobotomisera le personnage joué par Nicholson dans les années 1940, dans un hôpital psychiatrique de Californie où se déroulent de nouvelles et troublantes expériences sur le cerveau humain.
Le personnage joué par Sharon Stone (une héritière excentrique, Lenore Osgood), tout aussi borderline, a l’intention de venger son fils. Elle est magnifique dans ses robes de soie, un petit singe de compagnie perché sur son épaule, et quiconque à Hollywood se demande encore “ce qu’on peut faire” de ce talent a la réponse: tout.
Masculinité toxique
Le fait que l’actrice parle toujours aussi cash après toutes ces années dans l’industrie du cinéma permet d’avoir une interview sincère. À Hollywood, cash signifie sincérité, et celle de la star peut être acérée. Trois semaines après notre conversation, elle a témoigné, dans une série de messages sur Instagram, les ravages que la Covid-19 avait fait sur sa famille, en emportant sa grand-mère et sa marraine et en envoyant sa jeune sœur Kelly à l’hôpital, où cette dernière et son mari Bruce luttaient encore contre la mort au moment où elle écrivait ces lignes.
En suppliant les gens de porter un masque, elle exhortait ses followers à voter pour la vie, soit pour Joe Biden et sa colistière, Kamala Harris, et terminait par un appel: “Avec des femmes au pouvoir, nous nous battrons pour nos familles.”
"Franchement, je m’en fiche qu’ils me mettent la main aux fesses."Sharon Stone
Stone est féministe quand c’est vital, mais se fiche royalement de pointer du doigt des banalités, comme le flirt. Trop intelligente pour éviter une discussion ouverte et nuancée, l’actrice a, dès le début, soutenu Me Too. Après les tombereaux de masculinité toxique qu’elle a encaissés tout au long de sa carrière, elle s’est contentée d’éclater de rire quand un journaliste lui a demandé, en 2018, si elle avait déjà été mise mal à l’aise par ce type d’attitude.
Me Too
Depuis, elle a partagé certains épisodes Me Too: quand elle a découvert le terme “baisable” ou “pas baisable”, quand, sur le plateau de “Divorce à Hollywood”, elle a entendu un acteur demander que la foule s’écarte pour qu’il puisse mater ses seins ou quand elle a travaillé avec un réalisateur qui lui demandait de s’asseoir sur ses genoux pour qu’il puisse lui donner ses instructions.
"Je ne pense pas qu’avant les femmes avaient leur mot à dire dans le cinéma."Sharon Stone
La sexygénaire m’explique: “Et quand j’allais travailler pendant trois semaines et que je déclarai que non, je n’allais pas m’asseoir sur les genoux de ce réalisateur pour recevoir ses instructions, et bien, ils ne me filmaient pas pendant trois semaines. Et quand je disais au studio qu’ayant un bébé de 11 jours, je n’étais pas disposée à m’asseoir sur les genoux d’un réalisateur, ils ne voyaient pas le problème.Toutes les objections que j’ai faites durant mes jeunes années m’ont été défavorables. Mes résistances ont fait dire aux gens que j’étais difficile. Ou que c’était difficile de travailler avec moi.”
Les choses n’ont-elles donc pas changé? “Je ne sais pas. Les gens sont encore condescendants envers les femmes. Doit-on s’en affecter?” se demande-t-elle. “Il y a eu des moments où c’était plus oppressant, mais je pense que nous, les femmes, on devrait trouver le moyen d’arriver à la neutralité. Cela peut-être juste un petit truc, un regard, un signe de tête. Ou s’éloigner ou rire. Mais parfois, il faut vraiment y aller à fond.”
Après 40 ans de carrière, deux maris (le producteur Michael Greenburg de 1984 à 1990 et le journaliste Phil Bronstein de 1998 à 2004), trois enfants adoptés (Roan, 20 ans, Laird, 15 ans, et Quinn, 14 ans) et un accident vasculaire cérébral fulgurant à 43 ans, Sharon Stone a appris pas mal de choses.
Et qu’il s’agit de mener les grands combats. “Je n’ai pas besoin de m’occuper des détails”, répond-elle quand je lui demande si ça la dérange qu’on l’appelle “honey”. “Je m’en fiche que les gens m’appellent comme ça. Franchement, je m’en fiche qu’ils me mettent la main aux fesses. C’est peut-être parce que j’ai 62 ans et que j’ai traversé tant de choses que je suis capable de déterminer ce qui requiert vraiment mon attention et le reste.”
Basic Instinct
Même si elle en a soupé de discuter de l’un des plans cultes de l’histoire du cinéma (“Basic Instinct” en 1992), elle n’a jamais dénigré le film qui l’a consacrée. “Il a changé la donne sur le plan sociologique”, déclare-t-elle. “Et, bien sûr, il a demandé beaucoup d’énergie, comme tout ce qui change la donne d’ailleurs."
"Chaque fois que vous êtes une lionne, que vous faites quelque chose de différent, vous dépensez beaucoup d’énergie. Mais cela en valait la peine, car cela a vraiment fait une différence dans la façon dont on voit les femmes au cinéma et dont les femmes réalisent des films aujourd’hui. Je ne pense pas qu’avant les femmes avaient leur mot à dire dans le cinéma.”
Bien qu’elle soit restée proche de Michael Douglas, “Ratched” (dont il est producteur exécutif), est le premier projet sur lequel ils ont travaillé ensemble depuis “Basic Instinct”.
“Je ne l’ai pas vu sur le plateau, mais nous nous sommes revus de nombreuses fois. Je pense que Michael a changé ma vie. Il a toujours été en avance sur son temps dans les productions qu’il a réalisées, toujours à l’affût des questions les plus fondamentales, qu’il s’agisse de questions politiques ou de maladies mentales comme dans “Ratched”.
Féminisme
Fille d’un manufacturier et d’une comptable, deuxième d’une fratrie de quatre enfants, Stone a grandi à Meadville, Pennsylvanie. “J’avais entre 11 et 14 ans quand j’ai découvert Gloria Steinem”, se souvient-elle. “Le féminisme était le thème de ces années, juste quand on commence à se demander ‘Qui voudrais-je être quand je serai une femme?’ Grâce à ces pionnières, je me suis dit: ‘Eh bien, ça!’” Se souvenant qu’elle laissait beaucoup de livres féministes à la maison pour que sa mère les trouve, elle se met à rire. “Ma mère cachait tous les livres controversés, comme ‘Fear of Flying’ d’Erica Jong, au-dessus du frigo.”
Ceci explique pourquoi l’actrice n’a jamais ressenti le besoin de choisir entre sexy et sérieux, remportant à la fois le titre de Miss Crawford County et une bourse pour l’université Edinboro, où elle étudie les lettres et les beaux-arts. Après avoir mis son diplôme en attente, Stone est engagée par une agence de mannequins à New York.
“C’était comme si j’avais été très brillante et que, tout à coup, je n’étais plus rien.”Sharon Stone
En 1980, à 22 ans, elle abandonne le mannequinat et fait ses débuts en tant que figurante dans “Stardust Memories” de Woody Allen. Elle ne perce que dix ans plus tard, dans “Total Recall” avec Arnold Schwarzenegger. Suit la décennie la plus chargée de sa carrière: “Sliver” (1993), “L’Expert” (1994), “Mort ou vif” (1995), “Casino” (1995) et “Sphère” (1998), pour n’en citer que quelques-uns.
Parallèlement, elle milite pour la sensibilisation au VIH/sida, se consacre à la recherche scientifique, prononce un discours à La Haye et, en 2016, inspirée par Hillary Clinton, achève ses études.
Stigmatisation
Je veux savoir si son désir de se repositionner à la cinquantaine n’était pas dû à la façon dont Hollywood l’avait traitée après l’AVC dont elle a été victime en 2001, qu’elle a décrite comme “cruellement brutal”. “Vous vous retrouvez au bout de la file d’attente. Vous devez sans cesse vous reprendre en main”, a-t-elle déclaré. Pendant les sept années nécessaires à son rétablissement complet, l’actrice a parfois eu l’impression d’avoir tout perdu.
Cet accident vasculaire cérébral s’est produit à un moment particulièrement difficile de sa vie: elle était en plein divorce et bataillait pour la garde de son fils, Roan. La stigmatisation dont Stone a essayé de se débarrasser pendant des années après sa maladie l’enrage encore aujourd’hui. “C’était comme si j’avais été très brillante et que, tout à coup, je n’étais plus rien.”
Johnny Depp et Donald Trump
Si, à l’époque, quelqu’un lui avait dit que le traumatisme qu’elle vivait se révélerait utile en cas de pandémie, elle ne l’aurait pas cru. “J’ai acquis un sens de la réalité beaucoup plus souple. Cela me permet de comprendre que la vie change une fois de plus, alors que beaucoup de gens trouvent le changement trop difficile alors que quiconque a eu une crise cardiaque, un cancer ou un divorce traumatisant sait que ces moments vous changent de façon exponentielle. Ensuite, une nouvelle vie commence: c’est comme une renaissance. Et c’est ce qui est si particulier avec le coronavirus, parce que nous vivons cette renaissance tous ensemble.”
Sharon Stone est tellement fascinée par l’idée de renaissance qu’elle a écrit un livre, “The Beauty of Living Twice”, qui sera publié en mars 2021. “Parce qu’une fois que votre vie a été saccagée, vous comprenez que la seule chose qui ne change pas, c’est votre moi profond (si vous le maîtrisez). Votre intégrité, vos choix, vos limites: ce sont les seules choses sur lesquelles vous pouvez vraiment compter.”
"En fait, j’éprouve de l’empathie pour Trump, parce que c’est déchirant à voir."Sharon Stone
Il est vrai qu’il y a une certaine zénitude dans les opinions que Stone exprime à propos de tout, comme la récente affaire de Johnny Depp: “Je connais Johnny depuis son enfance et c’est un type formidable: doux et gentil, très chaleureux et généreux. J’ai donc l’impression qu’il s’agit plutôt de cette jeune femme”.
Ou Trump: “En fait, j’éprouve de l’empathie pour lui, parce que c’est déchirant à voir. Je pense qu’il a subi un traumatisme dans son enfance. Quand je regarde cet homme, j’ai l’impression qu’il se torture et se blesse lui-même. Et il en va de même pour tous ceux qui le soutiennent, ceux avec des masques nazis et tout ça. Ces gens aussi ont un niveau de rage intérieure déchirant, qui vient du fait qu’ils se sentent très peu sûrs d’eux et terriblement blessés.”
Vieillir
Toutes les insécurités dont Stone a souffert semblent avoir été bannies de sa deuxième vie. Elle ne va pas faire semblant d’adhérer à l’idée que “l’apparence n’a pas d’importance”. “Parce que c’est un gros mensonge stupide!”, s’exclame-t-elle en éclatant de rire. “Et vous ne réalisez pas à quel point ça compte avant que votre apparence ne commence à se détériorer”.
Elle suit un programme quotidien de gym rigoureux, mais, en ce qui concerne les traitements du corps ou du visage, elle ne fait que peu de choses: elle est mieux dans sa peau que jamais. “On n’a pas besoin de rester éternellement belle et il faut accepter que ce soit cool d’être une femme adulte et intelligente. Si votre partenaire ne comprend pas ça, ce n’est pas un adulte et vous ne devriez pas être avec lui.”
Sites de rencontres
Trouver un homme adulte et intelligent n’a pas été facile pour Stone, qui, outre ses deux mariages, a eu une relation avec le mannequin Martin Mica et l’acteur David DeLuise. Elle s’est même inscrite sur Bumble, une application de rencontres, qui a temporairement bloqué son compte, pensant qu’il s’agissait d’un faux profil. “Honnêtement? C’était si triste! Je voudrais écrire un livre de nouvelles sur mes expériences de rencontre en ligne.”
"«Les sites de rencontre ne sont pas une réussite. Le frisson, ça se passe dans la vraie vie."Sharon Stone
Sérieusement? “Oui, les sites de rencontres ne sont pas une réussite. Parce que la véritable alchimie, ce frisson, ça se passe dans la vraie vie. Et les gens deviennent moins habiles socialement à cause de ces sites”, insiste-t-elle. “Ils ne savent plus comment se comporter lors d’un dîner, être dans une relation ou communiquer. Par exemple, je ne veux pas d’une ‘relation par SMS’ avec quelqu’un avec qui je sors. Je trouve ça triste.”
En levant les yeux au ciel, elle me parle des SMS sans ponctuation qu’elle recevait ("qu’est-ce que tu fais juste rien"), “Parce qu’entendre ce que j’ai fait n’intéresse en fait pas ces hommes.” C’est vrai: parce qu’ils ont un rendez-vous avec Sharon Stone. “Ils se moquent bien du fait que j’aie prononcé un discours aux Nations Unies ou à l’OMS, ou que je travaille avec des lauréats du prix Nobel sur une pétition pour créer un vaccin gratuit contre le coronavirus. Il n’y a aucune portée émotionnelle.”
Paparazzi
Le dégoût de Stone est réel, mais je ne pense pas que la déception soit profonde. Elle vit une large palette d’émotions grâce à ses trois fils, qu’elle a toujours pris soin de protéger: “J’ai toujours demandé à quelqu’un d’autre de les conduire à l’école afin de ne pas créer une situation de harcèlement, et je n’allais jamais beaucoup au parc avec eux, parce que je ne voulais pas attirer les paparazzi.”
L’émotion, elle la reçoit de ses fils et des amis qu’elle a gardés “depuis l’âge de 22 ans”. “Ils m’ont connue quand nous faisions encore la file pour une pizza, et je suis toujours aussi contente de m’asseoir sur leur canapé pour regarder la télé.” Cela lui rappelle des souvenirs, et Sharon Stone sourit. “Mais si nous sortons quelque part et que je monte l’escalier quatre à quatre pour m’habiller et me maquiller, ils rient toujours quand je reviens: ‘Hé, tu es allée te transformer en Sharon Stone!’”