8 nouvelles tendances qui renouvellent le monde du whisky

Whisky aux céréales anciennes, whisky sans alcool, whisky aux saveurs de pomme ou de beurre de cacahuète... Bienvenue dans la nouvelle ère du whisky.

Les froides journées d’hiver demandent un feu ouvert, un bon roman et un verre de single malt: une scène qui évoque les cornemuses et les kilts. Aucun autre spiritueux n’incarne autant la tradition que le whisky. Un contraste frappant avec le gin, un alcool polyvalent et universellement apprécié, qui a connu une progression mondiale sans précédent au cours des deux dernières décennies. Pourtant, le monde du whisky évolue à son tour: nouveaux développements, frivolités ludiques et stratégies de cross branding.

Par une matinée du mois d’octobre, je me retrouve dans la salle de dégustation de Duvel Moortgat. Le brasseur belge s’est associé à la distillerie irlandaise Teeling pour un projet axé sur le "cask finishing". Moortgat a fait vieillir une petite quantité de Duvel dans des fûts de whiskey, donnant naissance à la "Duvel Barrel Aged ‘batch 7’ - Irish Whiskey Edition", qui révèle de subtiles notes de chêne, de vanille et de fumée. Une fois vidés, ces fûts ont été renvoyés en Irlande, où ils ont été réutilisés pour faire vieillir du whiskey. Le résultat? Un whisky enrichi d’arômes de Duvel. Un véritable cercle vertueux d’influences gustatives.

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Le whisky japonais porte son attention sur les saveurs: un whisky de trois ou quatre ans d’âge peut rivaliser avec un whisky écossais de 12 ans d’âge.
Le whisky japonais porte son attention sur les saveurs: un whisky de trois ou quatre ans d’âge peut rivaliser avec un whisky écossais de 12 ans d’âge.
©Shutterstock

1 | Injections sous pression

"Les fûts utilisés pour le vieillissement du whisky sont devenus une incroyable manne", explique Bert Bruyneel, expert en whisky et embouteilleur indépendant chez Asta Morris à Anzegem. "Traditionnellement, le whisky vieillissait dans des fûts ayant contenu du vin ou du sherry. Autrefois, le sherry était transporté dans des fûts depuis l’Espagne vers la Grande-Bretagne, où il était très apprécié. Les fûts vides étaient ensuite réutilisés pour faire vieillir du whisky, ce qui a donné naissance à des whiskies légendaires."

"En 1981, la législation espagnole a interdit l’exportation des fûts de sherry, les rendant rares alors que la demande pour l’industrie du whisky restait élevée. Pour pallier cette pénurie, une nouvelle technique a été mise au point: le sherry est injecté dans les fûts en bois sous haute pression, permettant au bois d’un seul fût d’absorber jusqu’à 9 litres de sherry."

"Les amateurs de whisky préfèrent ceux vieillis dans des fûts de sherry. Toutefois, aujourd’hui, la majorité repose dans des fûts de bourbon américains", précise Bruyneel. "La raison est très simple: le coût. Pour soutenir l’industrie du bois, la législation américaine interdit la réutilisation des fûts. Ces fûts usagés sont donc considérés comme des déchets et exportés. Un fût de bourbon coûte à peine 30 dollars; un ancien fût de sherry peut se négocier entre 300 et 2.000 dollars."

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Whisky ou whiskey?

Les deux orthographes sont correctes, mais renvoient à des origines différentes. En Irlande et aux États-Unis, on écrit whiskey; en Écosse, au Japon, en Belgique et dans le reste du monde, c’est whisky. Cette petite différence remonte à une époque où les Irlandais cherchaient à différencier leur whiskey du whisky écossais.

2 | Made in Belgium

L’époque où le whisky était produit exclusivement en Irlande, en Écosse ou aux États-Unis est révolue. Tout comme pour les vins, il y a désormais des whiskies du monde: même la Belgique s’affirme peu à peu comme un pays de whisky. La distillerie Filliers à Deinze, par exemple, célèbre pour son genièvre, produit également du whisky à base de céréales belges. Sa série limitée, le ‘Single Malt Whisky - Sherry Cask - 15 years’ (et son ‘PX Sherry Cask’), est lancée au cours d’un dîner exclusif au milieu des fûts et ambitionne de proposer chaque année de nouvelles éditions.

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Bert Bruyneel juge qu’il est devenu impossible de suivre le rythme des nouvelles sorties. "Depuis les années 2000, le whisky est devenu un véritable phénomène: partout dans le monde, on cherche à en produire, et les distilleries fleurissent. En Belgique, mais aussi en Suisse, en Autriche, en Allemagne, en France et aux Pays-Bas. C’est une petite révolution dans le monde du whisky."

S’il devait néanmoins indiquer une préférence pour un pays, Bruyneel choisirait sans hésiter le Japon. "Je me rends deux ou trois fois par an au Japon, mon principal marché. Là-bas, je constate une production de whiskies d’une qualité remarquable, avec une attention particulière portée aux saveurs. En Écosse, la priorité est parfois donnée à la quantité: on cherche à maximiser l’extraction d’alcool par tonne d’orge. Aujourd’hui, dans certaines petites distilleries japonaises, on peut déguster un whisky de 3 ou 4 ans d’âge pouvant rivaliser avec un whisky écossais de 12 ans d’âge."

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La Belgique aussi devient un pays du whisky: Filliers en produit avec des céréales belges.
La Belgique aussi devient un pays du whisky: Filliers en produit avec des céréales belges.
©Courtesy of Filliers

3 | "Premiumisation"

Depuis 16 ans, Ruben Luyten rédige un billet sur son blog, www.whiskynotes.be. "Chaque jour de la semaine, je publie un nouvel article. Je mets en valeur un whisky particulier ou je déguste une série de dix whiskies issus de la même distillerie pour en comparer les nuances. À ce jour, j’en ai publié près de 5.000."

Ruben Luyten appartient à une génération de passionnés qui a connu une autre époque. Il a eu la chance de déguster des whiskies de distilleries aujourd’hui fermées, ou parfois tombées dans l’oubli, comme Banff et Port Ellen. Ces expériences l’ont profondément marqué.

Il se souvient aussi d’un temps où investir dans le whisky avait encore du sens. "Aujourd’hui, la ‘premiumisation’ est omniprésente: le whisky est considéré comme un produit d’investissement, mais je crois que ce n’est plus d’actualité. Je me souviens qu’il y a vingt ans, d’authentiques éditions limitées -parfois à 500 bouteilles- voyaient le jour. Si vous parveniez à en acquérir une, vous aviez la certitude d’avoir fait un bon investissement. Aujourd’hui, ces éditions limitées semblent plus mises en scène. Une série de 5.000 bouteilles ne peut plus être considérée comme rare. En dix ans, son prix augmentera peut-être légèrement, mais rien de spectaculaire. Des commerçants me racontent que beaucoup de leurs clients n’ont aucune idée de ce qu’ils achètent ni de son goût: ils espèrent simplement faire du profit. Pour ma part, seul le goût m’intéresse."

4 | Signes avant-coureurs

Ruben Luyten observe également une flambée du prix moyen des bouteilles de whisky. "Tous les commerçants s’en plaignent. Parallèlement, les consommateurs semblent de moins en moins enclins à dépenser de grosses sommes pour une bouteille. Pendant les confinements de 2020 et 2021, il n’était pas rare de voir des gens débourser 100 euros pour s’offrir une bonne bouteille de whisky. Aujourd’hui, même une bouteille à 50 euros est souvent jugée coûteuse. Ce genre de hausse des prix s’était déjà produit dans les années 1980. À l’époque, une correction avait suivi, et il est certain qu’il en surviendra une autre. Quand? Personne ne le sait, mais elle se produira, inévitablement."

Malgré une capacité de production mondiale en constante augmentation, le marché révèle des signes de fragilité. De nombreuses distilleries ont fait faillite au cours des trente dernières années; d’autres réduisent leur production. "Gouden Carolus, à Malines, est en vente et Belgian Owl a déjà été rachetée: ce sont des signes avant-coureurs. La rentabilité devient de plus en plus difficile à atteindre. En parallèle, des alternatives plus abordables, telles que le rhum ou le cognac, séduisent un public croissant."

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5 | Univers du luxe

Serait-ce pour cela que certaines grandes marques de whisky rivalisent d’ingéniosité pour se distinguer? Il faut dire que l’enjeu est crucial. La distillerie écossaise Nc’nean, par exemple, a lancé un "organic single malt" présenté dans une bouteille somptueusement ornée de motifs floraux et végétaux peints à la main. Elle trône fièrement sur mon buffet, telle une œuvre d’art. À Bruxelles, j’ai assisté à un événement organisé pour célébrer le bicentenaire de The Macallan. L’événement nous a transportés dans une ambiance féerique, empreinte de touches rappelant le Cirque du Soleil. Je raconte cette expérience à Ruben Luyten, ce qui le fait sourire. "J’ai l’impression que les marques de whisky s’inspirent de plus en plus de l’univers du luxe (voitures, montres, mode), où ce style d’événement est courant."

Aujourd’hui, un excellent produit ne suffit plus: il faut également maîtriser sa commercialisation et lui offrir un packaging ou un design unique. "Je pense, par exemple, à ‘The Macallan in Lalique Six Pillars Collection’: au-delà du bling-bling, je remarque aussi que des marques avec moins de moyens misent sur la créativité et le storytelling. Compass Box en est un bon exemple: ce whisky historique se distingue par ses étiquettes magnifiquement illustrées, et dont les différentes variétés portent un nom poétique et affichent un profil gustatif bien défini."

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Le compass Box est un whisky historique avec de splendides étiquettes.
Le compass Box est un whisky historique avec de splendides étiquettes.

6 | Céréales oubliées

Ruben Luyten suit de près les nouveaux développements dans le monde du whisky. Actuellement, il distingue deux grandes tendances émergentes. "À l’image du retour des boulangeries artisanales utilisant levain et céréales anciennes, certaines distilleries, comme l’irlandaise Waterford, se tournent vers des ‘heritage grains’, soit des variétés de céréales oubliées. Ce travail se fait en collaboration avec une université. Le résultat révèle des saveurs nettement plus riches, absentes des whiskies classiques."

Le blogueur observe également un usage accru de nouvelles levures, comme celles utilisées dans la fermentation du saké ou de la bière. "Cela permet d’obtenir des saveurs vraiment innovantes."

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Et bien sûr, la durabilité est également au cœur des préoccupations: de nombreuses distilleries cherchent à réduire leur empreinte écologique. "Chez Nc’nean, par exemple, le processus de production est optimisé de manière à consommer le moins d’énergie possible. De plus, seules des céréales issues de l’agriculture bio sont utilisées, et sont ensuite recyclées en aliments pour animaux."

Les bouteilles de whisky évoluent également. Elles ne se limitent plus au verre classique, qu’il soit incolore ou vert, et sont désormais fabriquées à partir de matériaux recyclés. Il y a quelques semaines, Johnnie Walker a lancé une nouvelle bouteille pouvant être réutilisée en guise de carafe ou de pichet. Chez Bruichladdich, on élimine également les emballages superflus. Lorsqu’ils commandent une bouteille, les clients peuvent choisir leur bouteille avec ou sans boîte décorative. "Cependant, ces initiatives ne sont pas toujours couronnées de succès", reconnaît Luyten. "Certaines bouteilles, bien qu’allégées de 50% de leur verre, s’avèrent parfois trop fragiles pour le transport."

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Le monde du whisky aussi devient plus durable: chez Bruichladdich, on peut choisir une bouteille avec ou sans boîte.
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7 | Mad Men

Une évolution notable est l’essor des "flavored whiskies", ces whiskies aromatisés sucrés, venus tout droit des États-Unis. L’été dernier, j’ai essayé le Jack Daniel’s Apple. Par une chaude journée, avec beaucoup de glaçons, j’ai trouvé cela plutôt agréable, surtout avec beaucoup de glaçons. Il existe également des versions au miel, au "cookie dough", à la cannelle et même au beurre de cacahuète -une mode qui n’a pas encore vraiment percé en Europe.

Dieter Moeyaert, célèbre amateur de whisky et propriétaire du bar à cocktails Groot Vlaenderen à Bruges, préfère éviter les whiskies aromatisés. "C’est trop sucré et je les considère plus comme des liqueurs. En revanche, j’aime beaucoup utiliser le whisky dans les cocktails, en particulier le rye, ce whisky américain à base de seigle – le whisky écossais est trop délicat et son goût ne ressort pas assez dans un cocktail." Selon lui, les trois cocktails au whisky les plus populaires sont le Whiskey sour, à base de jus de citron et de sirop de sucre; le Penicillin, avec du gingembre et du miel; l’Old fashioned, le plus ancien des cocktails au whisky, préparé avec du sirop de sucre et de l’angustura.

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Une autre tendance en matière de cocktail est le whisky soda, souvent préparé avec du whisky japonais. "C’est un cocktail des années 1960, très ‘Mad Men’, qui revient à la mode. Le genre de boisson qu’on prend pour montrer qu’on a un palais raffiné!", s’exclame-t-il en riant.

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Un des cocktails qui a le plus de succès est le très américain whiskey sour.
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8 | Gen Z et millennals

Et le whisky sans alcool? Eh oui, ça existe aussi! J’ai effectué un petit sondage auprès de mes amis gastronomes et l’enthousiasme est pratiquement... nul. "Ces producteurs devraient être exilés sur une île écossaise." "La chaleur et le picotement dans la gorge font partie intégrante de l’expérience du whisky." "C’est comme du poulet végétarien."

Pourtant, une étude réalisée par Future Marketing Insights révèle que cette tendance séduit la génération Z et les millennals. Bruyneel observe cette tendance avec consternation: "De plus en plus de spiritueux sans alcool apparaissent sur le marché. Pour le gin sans alcool, le goût se rapproche parfois légèrement de celui d’un vrai gin, surtout combiné avec du tonic, beaucoup de glaçons et une tranche de concombre. Mais le public qui consomme du gin-tonic est assez mainstream et peu connaisseur, en général. C’est pour cette raison que le développement du whisky sans alcool a pris du retard. Les amateurs de whisky, eux, recherchent plus qu’un simple goût. J’ai déjà goûté plusieurs variantes et j’ai été à chaque fois profondément déçu. Ce sont des produits de qualité inférieure. Rien n’égale un véritable single malt. Mais pur? Non. Rien n’égale un véritable single malt."

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