Yotam Ottolenghi n’avait pas encore son service de table, mais c’est désormais chose faite. Serax lance une ligne conçue par l’artiste sicilien Ivo Bisignano pour le chef israélien qui a rendu sexy les légumes.
La cuisine d’Ottolenghi, c’est comme un opéra. Il se passe tellement de choses qu’on se sent submergé, dérouté même. Suis-je en train de manger de la viande ou de l’aubergine? Ivo Bisignano, qui a conçu la collection Feast Ottolenghi for Serax, parle du chef israélo-britannique mondialement célèbre avec beaucoup de respect. Il l’appelle "The artist Yotam Ottolenghi", et, inversement, Ottolenghi ne tarit pas d’éloges au sujet de Bisignano, artiste sicilien éclectique -animations vidéo, illustrations pour Prada, Missoni et Fratelli Rossetti, peintures et, surtout, sculptures. Ottolenghi l’appelle son âme-sœur et décrit son art comme authentique, coloré, ludique et audacieux. Un point commun aux deux hommes.
Un Ivo Bisignano reconnaissant
"Je suis extrêmement reconnaissant à mon époux de m’avoir présenté à Yotam", témoigne Ivo Bisignano. Son époux, c’est Alex Meitlis, architecte et ami de longue date du chef, et responsable de l’aménagement de ses restaurants londoniens Rovi et Nopi. Lors de cette rencontre, il y a six ans, le chef et Bisignano ont parlé de son œuvre "Elsa’s Kitchen", une animation de trois minutes consacrée à la nourriture, présentée au Centre Pompidou de Paris.
C’est alors qu’Ottolenghi a convaincu l’Italien d’exposer son travail temporairement au Nopi. Bisignano: "J’ai dit oui! L’art n’est pas réservé aux musées et moi, je voudrais toucher le plus de gens possible. De plus, je vois un lien entre art et nourriture. Si, comme moi, vous avez grandi avec les boîtes de soupe de Warhol, cette demande n’est pas si surprenante." Au cours des années suivantes, des œuvres d’art et des sculptures sont venues s’ajouter, ainsi qu’une collection de serviettes de table peintes à la main. Et la plus grande collaboration entre les deux hommes sera en boutique à partir de juin.
La collection d’art de la table "Feast" compte 120 articles -assiettes, bols, couverts et grands plats si typiques d’Ottolenghi. Est-ce une bonne idée de présenter une collection si vaste?
Ivo Bisignano: Je suis Sicilien, alors, ma table se doit d’être généreuse! Quand je reçois des amis, il faut que le spectacle soit total. Yotam fait la même chose: ses buffets sont l’expression de l’abondance et de la joie. Lui aussi, il voyait la collection comme la célébration des somptueux produits qu’il travaille avec tant de talent. Elle doit donner envie de lancer des débats, de s’inviter à dîner, de partager un repas et de se raconter des histoires.
C’est une collection très colorée. Avez-vous eu carte blanche?
IB: Je pense que, dès le début d’un processus créatif, il est important d’ouvrir tous les registres, et on m’a donné cette liberté. Je suis parti de l’initiale d’Ottolenghi, le O. Je peux être obsédé par un motif, et c’était le cas avec ce O qui est l’ovale d’un visage, un cercle, un point, un double point. Et, bien sûr, le O d’Ottolenghi. J’ai conçu ce symbole il y a quelques années, en tant qu’élément du branding. Le O annonce que nous sommes une famille et que, dans ce cercle familial, chacun connait sa place. Si Yotam était malade, je lui apporterais du bouillon de poulet –c’est de ce lien qu’il s’agit. Quand je suis entré pour la première fois dans son restaurant Rovi, j’étais un peu ému: on se sent tout de suite chez soi. Je voulais transmettre cette sensation décontractée et chaleureuse dans la collection et le O devait absolument en faire partie. J’ai dessiné le symbole au crayon, je l’ai peint avec des pinceaux japonais, j’ai fait des essais avec des points, des lignes, des rayures, des coups de pinceau... J’ai exploré toutes les pistes.
Vous avez également travaillé avec des légumes.
IB: Des masses! Fenouil, poivron, courgette et artichaut que j’ai coupés en deux et que j’ai utilisés pour tamponner avec de l’huile, de la peinture, de l’écoline, sur du papier, du tissu... Pas d’Ottolenghi sans légumes! Pourtant, j’ai cherché la limite entre vague et reconnaissable. Comme le O, les rayures et les points, les motifs végétaux ont été tamponnés à la main sur les assiettes. Le résultat est fragile et délicat.
Ottolenghi a-t-il tout de suite adhéré au projet?
IB: Quand il a vu les premiers essais, il s’est exclamé 'This is so us!' Nous voulions partager l’expérience Ottolenghi et concevoir une collection pour tous. Tout au long du processus, nous avons gardé la "simplicité exubérante" à l’esprit. Cela pouvait être festif, un brin excentrique et luxueux, mais aussi pragmatique, détendu et sans prétention. Vous craquez pour l’excès méditerranéen? Allez-y! Vous préférez le minimaliste, le classique, le formel ou l’informel? C’est possible également. Tout dépend de l’interprétation donnée.
Le processus créatif a duré trois ans, dont la dernière partie pendant la pandémie, ce qui n’est pas évident...
IB: J’étais à Tel-Aviv, Yotam à Londres et Serax en Belgique. Au cours des différentes phases, les sens sont très importants comme le fait de se réunir autour de la table pour communiquer clairement toute l’histoire et pour en discuter. Par exemple, je voulais une palette de couleurs méditerranéennes pour mettre en valeur la nourriture, mais trouver la bonne nuance nécessite une concertation, ce qui n’est pas facile via Zoom.
Aimez-vous cuisiner?
IB: J’adore ça! Enfant, je préparais des pâtes fraîches avec ma mère le dimanche matin. J’ai grandi dans l’idée qu’il faut préparer des plats frais tous les jours, avec les meilleurs produits de sa région. Si la région est productrice de riz, il faut l’utiliser. Les meilleures tomates? Faites-en quelque chose! Créer des plats simples et savoureux avec trois ou quatre des meilleurs ingrédients de sa région, c’est ça la cuisine! "Celebrating food": c’est de ça qu’il s’agit et c’est une vision que je partage avec Yotam.
"Je suis Sicilien, alors, ma table se doit d’être généreuse! Quand je reçois des amis, il faut que le spectacle soit total."Ivo Bisignano
Chaque fois que je le vois, il est avide de conseils culinaires et de recettes venues de Tel-Aviv, de Sicile, de Turin, de Florence. Inversement, il me guide vers ce que le Royaume-Uni a de meilleur à offrir. Bien sûr, en tant que cuisinier, je n’ose pas me mesurer à Yotam. Je n’oublierai jamais la première fois que je l’ai vu cuisiner: je ne me lassais pas de le regarder, et avec les yeux d’un enfant. Il n’a pas son pareil pour composer une salade. C’est tout ce que j’aime: une simplicité naturelle doublée d’une incroyable profondeur des saveurs.
Les prochaines semaines seront un peu spéciales: la collection "Feast" va être lancée et, parallèlement, votre exposition "Human Forms" sera de nouveau présentée pendant trois mois, après une interruption l’année dernière.
IB: J’en suis très heureux. Il s’agit d’une impressionnante collection de sculptures en bois de six à huit mètres de haut, installées dans les grottes de Beit Guvrin, un endroit qui attire un grand public en Israël. La lumière, les nuances de couleurs qui complètent magnifiquement les sculptures, c’est presque sacré! Mes sculptures sont une expression artistique complètement différente de la conception d’un service de table, mais le processus n’est pas différent. Quoi qu’il advienne, la méthode sera toujours la même: on démarre avec un crayon et du papier, tout simplement.
La collection "Feast" d’Ottolenghi for Serax est disponible sur www.serax.com