Pas de fleurs ni de chichis et, de préférence, le moins de couleurs possible. Le minimalisme, chez l'architecte et designer John Pawson, cela s'applique aussi au contenu de son assiette...
Il y a vingt ans, quand j’ai acheté "Living and Eating", un livre de cuisine de l’architecte et designer John Pawson, je ne savais pratiquement rien à son sujet. J’avais été séduite par sa simplicité classique et son contenu. Même si les images sont un peu datées aujourd’hui, les recettes sont toujours d’actualité.
"Home Farm Cooking", son nouveau livre de cuisine publié le mois dernier, présente cent plats sains et festifs qui donnent envie de délicieux repas entre amis ou en famille. Il a la même mise en page et la même police de caractères que son ouvrage paru il y a vingt ans.
Trois hommes affamés
John Pawson a laissé son empreinte minimaliste sur de nombreux bâtiments, comme les flagship stores de Calvin Klein et de Jil Sander. Il a aussi créé du mobilier, des ustensiles de cuisine et des projets complets d’aménagement.
Pour la société belge When Objects Work, il a conçu des couverts, des assiettes et des bols et, pour la société Demeyere, des casseroles. Pour "Living and Eating", il avait collaboré avec la cheffe et écrivaine culinaire Annie Bell. Cette fois-ci, c’est son épouse, Catherine, célèbre décoratrice d’intérieur, qui a élaboré les recettes. Le couple a quitté Londres pour s’installer à la campagne, dans les Cotswolds. Il y a rénové, pendant cinq ans, une ferme pour en faire un lieu zen, élégant et épuré.
Depuis cet emménagement à la campagne, Catherine a radicalement changé sa façon de cuisiner. Bien qu’elle ait conservé son approche simple et plutôt minimaliste, sa cuisine est plus en accord avec les saisons. En mars 2020, deux autres membres de la famille Pawson ont également pris leurs quartiers dans la maison: Caius, 35 ans, qui dirige le label Young Turks (qui produit la chanteuse FKA Twigs et le groupe The xx), et Benedict, 30 ans, qui a créé une agence de talents pour artistes TikTok. "Je cuisine pour trois hommes affamés!", s’amuse Catherine.
En fait, John Pawson a conçu cette demeure en pensant à ses enfants. Lorsqu’il a acheté la ferme, en 2013, c’était une ruine. Aujourd’hui, Home Farm est un ensemble de bâtiments interconnectés de 50 mètres de long, un temple en bois, pierre et verre offrant une superbe vue sur la vallée de l’Evenlode. La maison étant très grande, les Pawson espéraient qu’elle deviendrait une sorte de résidence secondaire familiale. Ils ont donc encouragé Caius, Benedict et leur grande sœur Phoebe à leur rendre fréquemment visite, ce qui s’est réalisé suite à la pandémie.
Quand je me connecte pour l’interview en ligne, je suis stupéfaite de trouver le couple confortablement assis dans un bureau rempli de livres et en désordre. On entend les chiens qui aboient et leur petit-fils qui joue. J’ai soigneusement rangé mon bureau et disposé l’écran de manière à ne pas heurter le pape du minimalisme. Je brise la glace en montrant avec enthousiasme mon exemplaire légèrement abîmé de "Living and eating". John éclate de rire: "Oh, vous avez mon premier livre de cuisine! Il est devenu pratiquement introuvable."
Heureusement, il y en a un nouveau. Vos deux noms figurent en couverture, mais j’ai lu que John ne cuisinait jamais. Comment ont été réparties les tâches?
Catherine: "Je cuisinais, John mangeait et faisait la vaisselle (rires)! Blague à part, il a créé l’espace et l’atmosphère dans lesquels je cuisine, ce qui a également eu une grande influence sur le contenu."
Quel est le livre de cuisine idéal pour un minimaliste?
John: "Le livre que j’ai fait avec Annie Bell avait été publié à la demande de Catherine. Elle voulait un ensemble de recettes qu’elle puisse préparer pour notre famille. Ce n’était pas la cuisine proprement dite qui était le problème, mais le fait de devoir constamment faire des choix. Ce livre lui offrait un fil conducteur pratique. J’avais aussi décidé qu’il devait rassembler un maximum de préparations blanches, car je n’aime pas la viande ni les tomates rouges sur les photos; à la limite, un peu de vert. Je voulais utiliser la même approche pour ce livre de cuisine, mais Catherine y était opposée."
Catherine: "Un livre de cuisine sans viande ni légumes colorés? Pas question! Le minimalisme de John, c’est bon pour la décoration, pas dans l’assiette!"
John: "Pourtant, je suis bien plus heureux avec moins dans l’assiette."
Catherine: "Pourtant, tu manges beaucoup!" (rires)
John, sur votre site web, j’ai lu une belle citation: même un objet aussi modeste qu’une fourchette est révélateur de la façon d’être d’une personne. Que racontent vos fourchettes?
John: "Quand j’ai rencontré Catherine, elle m’a montré ses fourchettes géorgiennes en argent, avec trois dents au lieu de quatre ou cinq, extrêmement simples et élégantes. J’y repense pour de nombreux modèles que je crée, et nos propres fourchettes y ressemblent aussi. Parfois, les gens se plaignent que les petits pois ou les lentilles passent à travers, mais je les trouve très agréables à utiliser. Une fourchette comme celle-ci symbolise la simplicité: ne possédez pas plus que ce dont vous avez besoin."
Cette affirmation s’applique-t-elle également aux ingrédients que vous utilisez?
Catherine: "Absolument. Vous êtes ce que vous mangez. Nous sommes sélectifs et essayons de vivre le plus sainement possible. Curieusement, il y a toujours un dessert! (rires) Dans cette famille, il y a aussi énormément d’exigences diététiques, parfois jusqu’au ridicule. Nous avons trois enfants adultes et un petit-fils, qui sont presque tout le temps ici à cause du confinement. Pour chaque repas, je dois tenir compte de la liste suivante: sans gluten, sans crustacés, végétarien et sans sucre."
John, vous avez été inspiré par le minimalisme japonais au début de votre carrière. Vous vous souvenez encore de votre premier repas japonais digne de ce nom?
John: "Je pense que oui. À la fin des années 60, il y avait un restaurant japonais à Londres. Je me rappelle y être allé et n’en avoir pas vraiment compris le sens. Cette philosophie ne m’a imprégné que dans les années 70, quand je suis allé vivre au Japon. J’ai eu beaucoup de chance, car je séjournais dans une famille aisée qui employait deux cuisiniers. Quand je suis revenu en Angleterre, je ne pouvais plus voir la viande en peinture et les grandes assiettes pleines de nourriture me dégoûtaient."
Catherine: "Nous aimons la présentation de la cuisine japonaise."
John: "La cuisine belge est également délicieuse. Nous avons été chez Boxy’s à Gand, ainsi que dans un restaurant étoilé, Vrijmoed je crois... Ce sont des repas dont on parle encore longtemps après."
Quelles ont été vos influences culinaires?
Catherine: "Ma mère était une excellente cuisinière qui procédait de manière instinctive, sans avoir besoin d’une recette. Les recettes de notre livre de cuisine ont aussi été conçues de cette manière: on peut les suivre à la lettre, mais aussi leur donner sa propre touche. La mère de John a également eu une grande influence sur ma façon de cuisiner."
John: "Tu te souviens de son Yorkshire pudding? Elle ne faisait pas plusieurs petits puddings, mais un grand. On avait une part dans son assiette sur laquelle on versait de la sauce. Et c’était toujours accompagné d’un vin décadent, comme un Romanée-Conti."
Quelles traditions culinaires aimez-vous perpétuer?
Catherine: "Les repas de fête: Noël, Pâques et tous les anniversaires!"
John: "Dans ma famille, se réunir à table était très important. Il fallait être là à l’heure et bien se tenir."
Catherine: "Pour être honnête, j’adorerais manger juste une fois devant la télévision, mais pour John, le repas, c’est sacré: on allume des bougies et on met une nappe. Quand nous organisons un dîner, une fois que j’ai mis la table, John repasse derrière moi avec une latte!"
John: "Tu exagères!"
Catherine: "Oui, peut-être un peu..."
John: "Catherine aime les verres colorés et les fleurs sur la table." (il frissonne ostensiblement)
Catherine: "John affirme que les fleurs gâchent le goût du vin."
Autrement dit, vous devez faire des compromis sur le dressage de la table?
John: "Disons qu’une famille heureuse et un bon repas sont plus importants que mes préférences personnelles en matière de décoration intérieure."
Y a-t-il un plat qui ne sera jamais servi à votre table parce qu’il est trop laid?
Catherine: "Nous avons souvent abordé cette question lors de la rédaction du livre. Nous adorons le risotto, mais ce genre d’assiette ressemble à de la nourriture pour chien. Finalement, nous nous sommes dit que c’était trop bon pour le laisser tomber. Finalement, pour nous aussi, le goût reste plus important que l’apparence."
Aimez-vous être invité à dîner?
Catherine: "John préfère manger à la maison."
John: "Ce n’est jamais aussi bon qu’ici. Sauf au Japon. Ou en Belgique. On dit parfois que c’est l’ambiance qui compte le plus, mais ce n’est pas vrai. Dès qu’on sert du mauvais vin, j’abandonne. Catherine veille à ce que je me comporte bien, en toute discrétion!" (rires)
La plupart des personnes qui achètent un nouveau livre de cuisine réalisent trois préparations maximum. Quelles sont les trois recettes de "Home Farm Cooking" à essayer absolument?
Catherine: "Les fleurs de courgette farcies à la ricotta. Et les pêches grillées à la mozzarella, super facile et super bon!"
John: "Ma préférée, c’est la tourte au poisson."
"Home Farm Cooking", John & Catherine Pawson, 45 euros, Phaidon.
www.johnpawson.com