Sabato est accueilli pour un dîner privé chez le chef étoilé Nicolas Misera, dans un hôtel particulier du XVIe siècle, où Axel Vervoordt et Kanye West ont laissé leur empreinte.
"Vous habitez vraiment ici? C'est bien votre cuisine privée?" Huit convives, tous médecins, se tiennent dans l'embrasure de la porte, un peu intimidés. Samedi soir, un peu avant 19 heures: la bande d'amis peine à croire qu'elle se trouve dans la cuisine du célèbre chef étoilé Nicolas Misera, dans son hôtel particulier du XVIe siècle en plein centre d'Anvers. "Oui, c'est bien notre cuisine. Demain matin, nous prendrons le petit-déjeuner ici avec nos deux enfants, et cette table sera couverte de yaourts!", plaisante le chef. "Au fait, bienvenue à tous. Asseyez-vous et faites comme chez vous. Que diriez-vous d'une coupe de champagne pour commencer?"
Au début, les convives sont un peu déconcertés, ce qui est compréhensible, puisqu'ils sont les premiers à participer à un "private dining" chez les Misera. Mais, très vite, la glace se brise. "Une fois à table, ils se sont complètement détendus. Une discussion animée s'est engagée et, durant le dîner, certains se sont levés pour s'installer sur notre canapé, près de la cheminée. S'ils voulaient prendre l'air, ils allaient sur la terrasse en emportant leur verre de vin. Ils ont même monté le volume de la musique – les Rolling Stones. Et ils se sentaient suffisamment à l'aise pour venir me rejoindre en cuisine pendant que je préparais le repas", témoigne Nicolas Misera.
"Nous voudrions garder une part de mystère, mais j'espère que cet endroit deviendra un lieu où les clients se sentiront chez eux", confiait Nicolas Misera à Sabato à propos de son restaurant qui venait d'ouvrir ses portes. Deux ans plus tard, cette réflexion s'applique aussi à ses dîners privés. "Nous fermons le restaurant le samedi pour recevoir chez nous. Nous souhaitons que nos convives, maximum 16 personnes, vivent une soirée sympa. Nous leur proposons un menu huit services, mais je demande carte blanche. Ils ne savent ni ce qu'ils vont manger, ni dans quel décor ils vont se trouver. Bien qu'après ce reportage, ce dernier aspect risque de perdre un peu de son mystère", commente Yasmin Weyn.
"Nous voulons que les convives vivent des expériences inoubliables."Nicolas Misera
Rock'n'roll stylé
L'épouse de Nicolas Miseta est aussi l'hôtesse du restaurant (que ce soit à la maison ou au Nieuw-Zuid) et l'architecte de la vibe Misera. "Pour ce genre de dîner privé, je choisis tout au feeling: la nappe, la vaisselle, les couverts, les verres en cristal, les fleurs, la musique, les bougies et le parfum d'ambiance. L'atmosphère ne doit pas être formelle, mais plutôt rock'n'roll stylé. Le service chez nous est aussi soigné qu'au restaurant. Le champagne est dans un seau à glace en argent, et si vous quittez la table un instant, à votre retour vous trouverez votre serviette soigneusement repliée. Bien sûr, rien de tout cela n'est obligatoire: aucun inspecteur Michelin ne viendra évaluer notre service à domicile. Mais, pour nous, ces petits détails font partie du tout."
Ce qui fait aussi partie de l'expérience, c'est de se perdre. Les clients qui obtiennent l'adresse privée ont souvent du mal à trouver l'entrée, car elle est bien cachée dans une ruelle du XVIe siècle, à l'ombre de la cathédrale, la Vlaeykensgang. Dans les années 60, alors que les maisons Renaissance délabrées menaçaient d'être démolies, le marchand d'art Axel Vervoordt est intervenu: avec l'aide de son père, il a acheté l'intégralité de la ruelle pour "restaurer et réhabiliter ces maisons oubliées".
Ce premier projet de restauration a jeté les bases de l'empire Vervoordt, mais il a aussi failli le mener à la faillite. En 1969, Vervoordt a 21 ans, comme Hans Misera, le père de Nicolas, qui décroche cette même année sa première étoile Michelin avec L'Huîtrière à Blankenberge, devenant ainsi le plus jeune chef étoilé du pays. Axel Vervoordt transforme les entrepôts et les maisons historiques en lofts, appartements, boutiques et restaurants. Puis, en 1986, il déménage au château de 's-Gravenwezel avec toute sa famille. Son fils Boris n'a que 12 ans, mais il reviendra habiter dans cette ruelle historique après ses études, en 1997, et ce pendant 27 ans.
"Nous souhaitons que nos convives vivent une soirée décontractée chez nous. Nous leur proposons un menu sept services, mais je demande carte blanche."Nicolas Misera
"Boris Vervoordt vivait et travaillait dans ce loft, comme c'est le cas pour nous aujourd'hui", explique Nicolas Misera. "Il y organisait des dîners, des concerts, des vernissages et des fêtes. Nous voudrions à notre tour écrire de nouvelles histoires ente ces quatre murs. Joost Zweegers, le chanteur de Novastar, m'a promis de venir jouer un soir si nous installons un piano. Et quand Nick Cave viendra à Anvers le mois prochain pour deux concerts, il pourra venir dîner ici. Nous veillerons à lui offrir une compagnie digne de l'occasion. Nous voulons que les gens vivent des expériences inoubliables chez nous."
Ruelle historique
En s'installant dans la Vlaeykensgang et en y organisant des dîners privés, le chef écrit une nouvelle page dans l'histoire gastronomique de la ruelle. En 1973, le chef Roger Souvereyns y avait ouvert Sir Anthony Van Dijck, le grand restaurant repris par Marc Paesbrugghe en 1979. Au sommet de sa gloire, l'établissement arborait deux étoiles Michelin, que Paesbrugghe a rendues en 1992 pour suivre une nouvelle approche culinaire. "Je me souviens d'être allé dîner avec mes parents chez Sir Anthony Van Dijck", raconte Nicolas Misera. "Marc était un ami d'enfance de mon père. lls ont collaboré pour faire de grands banquets au casino d'Ostende, où mon père avait été nommé chef par la famille Vanmoerkerke. C'est là qu'il est devenu le chef culte de la jet-set."
Le slogan "À la vie d'artiste" du restaurant de Nicolas Misera est un hommage à son père, Hans Danneels, qui, après une carrière mouvementée en tant que chef, s'est réinventé en tant qu'artiste sous le pseudonyme de Misera. Depuis la mort de Danneels en 2015, Nicolas, son plus jeune fils et le seul de ses quatre enfants à être devenu chef, porte fièrement ce nom. Dans la salle à manger où se déroulent les dîners privés, un tableau de Misera senior est accroché près de la table, comme si le père veillait sur son fils. Hélas, il n'a pas pu voir Nicolas décrocher sa première étoile Michelin en 2023.
L'intérieur en clair-obscur du restaurant Misera a été conçu par Bjorn Verlinde, mais son minimalisme sophistiqué n'aurait pas convenu à la Vlaeykensgang. "Le bâtiment avait déjà une patine et une texture uniques. Quand la lumière y pénètre, c'est comme un tableau. Ici, c'est le temps qui a été le seul artiste pendant 400 ans", explique Weyn, qui a travaillé pendant 10 ans pour le concept store Graanmarkt 13.
Bien que l'ambiance wabi-sabi des Vervoordt soit encore palpable, Weyn ne se laisse pas intimider par ses prédécesseurs. "Avec notre famille, nous écrivons ici notre propre histoire. Nous sommes aussi des collectionneurs d'art et, durant notre temps libre, nous écumons les marchés d'antiquités et les boutiques vintage. Nous avons déjà rapporté d'Italie, de France et du Portugal de magnifiques pièces empreintes d'histoire, que nous combinons, par exemple, avec une superbe armoire héritée du père de Nicolas."
Tranquillité
L'an dernier, lorsque Nicolas Misera et Yasmin Weyn se voient proposer cet immense bâtiment de quatre étages via Immodôme, il était vacant depuis plusieurs mois déjà. "Yasmin était impressionnée par le bâtiment, qu'elle trouvait beaucoup trop grand et un peu humide. Par contre, moi, j'ai immédiatement été séduit", se souvient Nicolas Misera. Peut-on y voir l'audace héritée de son père? "Yasmin et moi nous connaissons depuis un peu plus de cinq ans. Durant cette période, nous avons déménagé quatre fois, eu deux enfants et ouvert notre propre restaurant étoilé. Jean, notre plus jeune fils, est né deux semaines avant l'ouverture de Misera. C'est vrai, notre vie est assez trépidante."
Pourtant, ils affirment avoir trouvé une tranquillité sans précédent dans leur maison de la Vlaeykensgang. "Nous vivons en plein centre-ville et pourtant, c'est incroyablement paisible", explique Misera. "Avant, nous habitions une jolie maison à Berchem, près d'un parc et de bons magasins spécialisés. Mais je trouvais ça trop compliqué pour les déplacements. Maintenant, nous sortons de chez nous et nous sommes en ville."
Pour être honnête, après 27 ans sous la gestion des Vervoordt, le triplex avait besoin d'un coup de neuf. Les Misera ont donc commencé par rafraîchir la cuisine et les chambres des enfants. "L'une de ces chambres aurait accueilli le rappeur américain Kanye West pendant trois semaines", raconte le chef. La famille vit au deuxième étage, tandis que les dîners privés se déroulent dans leur salon bordeaux, au premier. "J'admets que vivre sur deux étages n'est pas toujours pratique, mais ce qui est agréable, c'est que pendant les dîners privés, les enfants dorment juste au-dessus. Le babyphone se trouve dans la cuisine."
Nicolas Misera et Yasmin Weyn dorment tout en haut, dans l'unique chambre à coucher que Boris Vervoordt avait à l'époque lambrissée de planches usées par le temps. "Le matin, j'ai l'impression de me réveiller dans un chalet des Alpes, mais depuis la terrasse, on voit la tour de la cathédrale", témoigne Misera. Il rêve de transformer cette terrasse en espace pour l'apéritif. À l'époque de Boris Vervoordt, la terrasse intégrée servait de "lapidarium", soit une bibliothèque extérieure conceptuelle créée par l'architecte paysagiste Erik Dhont, où Vervoordt laissait une collection de pierres se couvrir de mousses végétales. "Boris a laissé quelques-unes de ses pierres ici", explique Weyn. "On nous a dit qu'il est parti avec beaucoup de nostalgie. Depuis, il n'est plus jamais revenu, mais nous espérons l'accueillir un jour à l'occasion d'un dîner privé."
Restaurant Misera
Michel de Braeystraat 18 à Anvers
Réservations "fine dining" par téléphone, au 03/644.16.65, ou via nicolas@nicolasmisera.com
Instagram: @restaurant_misera