Parfois, ça commence avec quelques copains autour d’une table de cuisine et d'un kit de brassage pour débutants. Et ça peut finir en succès commercial.
Donnez-nous aujourd’hui notre bière de ce jour, mais une bière de caractère que nous brasserons nous-mêmes. Ces dix dernières années, des chefs scouts, des collègues, des copains de café, des condisciples et des papas qui se sont rencontrés à la sortie de l’école ont acheté des kits de brassage pour débutant et ce qui, au départ, n’était qu’un hobby sympa entre potes s’est mué en passion, parce que cette première bière était bien meilleure que prévu. Les copains ont suivi des cours et, depuis, la fermentation, la zythologie et le processus de brassage n’ont plus de secrets pour eux. Ils ont fait des plans, et voilà: une nouvelle bière était née!
Alors qu’il y a dix ans, la Belgique ne comptait plus que 133 brasseries, la barre des 400 a été franchie le mois dernier, pour la première fois depuis longtemps. Nous pouvons déclarer, à juste titre, que la Belgique est un grand pays de la bière, et pas seulement parce que le siège de la plus grande entreprise brassicole du monde se trouve à Louvain. En effet, nous devons cette augmentation spectaculaire presque exclusivement à un groupe croissant de microbrasseries innovantes qui produisent des bières spéciales artisanales.
Mettre le pied à l’étrier
L’industrie brassicole a commencé à se reposer sur ses lauriers dans les années 90. Les développements intéressants venus de l’étranger, comme les IPA et les bières artisanales, suscitaient peu d’intérêt. Il n’y avait pas d’innovation et l’approche restait traditionnelle avec des bières telles que la triple, la bière d’abbaye et la pils. Ensuite, le processus de brassage devait être plus efficace et moins cher.
Le malt coûteux était de plus en plus souvent remplacé par du maïs et du riz et la bière avait un goût plus doux et plus uniforme. Conséquence: l’amateur de bière n’y trouvait plus son compte. Où était la saveur authentique de la bière belge? Où pouvait-on trouver une bière locale ayant du caractère et une identité?
Alors il se lance. Comme souvent, le changement se fait à petite échelle. Les premiers essais sont tout d’abord mis en bouteille pour être distribués à des amis et connaissances. La nouvelle circule, le bouche-à-oreille fait son œuvre. Des associations locales viennent alors frapper à la porte de ces nouveaux brasseurs: pourriez-vous en brasser pour nous?
Le projet prend de l’ampleur. L’ami ayant les papilles gustatives les plus affinées devient maître-brasseur, un autre prend en charge la logistique et un troisième est promu expert financier: en un claquement de doigts, le cercle d’amis devient une microbrasserie. Voici l’histoire de cinq bières brassées entre amis.
1/ Living the dream: Vleesmeester Brewery
La team - Tom (39 ans), Kevin (40 ans), Tom W. (40 ans) et Bart (37 ans) se sont rencontrés au comptoir du café De Pomp à Hove. Ils parlaient beaucoup de bière et chantaient à l’unisson sur des chansons flamandes ringardes.
Comment tout a commencé - Kevin: "J’ai suivi une formation brassicole et, depuis quelques années déjà, je faisais des essais dans ma cuisine avec les deux Tom. Bart est guitariste au sein de Your Highness et souhaitait développer une bière dans l’esprit de son groupe. Nous nous sommes mis en quête d’un goût savoureux et avons ainsi créé notre première bière officielle, la Hoogheid."
Le malentendu - Bart: "Certaines personnes qui nous avaient vus en cuisine avaient cru que nous utilisions un hachoir à viande. D’où notre nom bizarre."
La dynamique - Bart: "Kevin est le maître brasseur, le développeur de recettes et le leader. Il cuisine merveilleusement bien et il invite toujours tout le monde à dîner." Kevin: "Bart est animateur culturel de formation et attache une grande importance à l’aspect humain. C’est lui le rêveur, le constructeur de routes et le planificateur." Bart: "Tom W. est parti s’installer à Arlon il y a quelque temps, mais il reste une excellente caisse de résonance: il analyse tout avec un regard objectif. L’autre Tom est le bon vivant tranquille, très pertinent. Il est un maître dans l’art de décrire les goûts."
Une véritable entreprise - Kevin: "En 2018, la commune d’Edegem a lancé un appel pour trouver une nouvelle affectation à l’ancien presbytère. Si nous voulions un jour réaliser notre rêve, servir nos propres bières dans notre propre café, nous devions nous lancer. L’investissement a été lourd, mais aujourd’hui, nous avons notre café-brasserie: Hoogmis." Bart: "Kevin et moi sommes devenus gérants et y travaillons à temps plein. Les deux autres sont associés et ne sont pas présents tous les jours, mais ils donnent souvent un coup de main le weekend ou lors de festivals de la bière."
La philosophie - Bart: "L’amitié est la base de tout. Nous sommes sincères, nous agissons de manière sincère et nous voulons créer du lien grâce à la bière."
La bière - Kevin: "Nos bières présentent une belle amertume. Nous ne devons pas nécessairement suivre les dernières tendances et visons les bières normales qui sont tout simplement bonnes. Nous avons maintenant cinq bières permanentes et lançons occasionnellement une bière spéciale." Bart: "Un de nos investisseurs est le comédien de stand-up et présentateur Philippe Geubels. Avec lui, nous avons développé la 'Zieke Geest', une triple douce."
Le slogan- Amitié authentique, bière authentique.
Hoogmis, Strijdersstraat 18 à 2650 Edegem www.vleesmeesterbrewery.eu
2/ La Brussels connection: Brasserie Vandekelder
La team - La Brasserie Vandekelder est le projet de neuf amis: Bart V. (45 ans), Bart P. (46 ans), Sebastian (45 ans), Roel V. (50 ans), Karel (46 ans), Koenraad (47 ans), Michaël (50 ans), Tom (48 ans) et Roel T. (45 ans). Leurs enfants étaient dans la même école et c’est comme ça qu’ils ont fait connaissance.
Comment tout a commencé - Bart: "En 2016, nous avons acheté une petite installation de 27 litres et nous étions neuf à brasser dans ma cave, d’où son nom: Vandekelder. Aujourd’hui, nous avons une installation de 100 litres, mais nous faisons également appel à d’autres brasseurs: nous sommes passés à plusieurs milliers de litres par brassage." Sebastian: "Bart est le seul à avoir suivi une formation brassicole, mais nous avons tous une bonne connaissance du brassage."
Le grand pas en avant - Bart: "En 2019, nous avons voulu franchir le pas vers un plus grand volume et avons fondé une entreprise. Dans l’intervalle, nous avons vendu plusieurs dizaines de milliers de litres." Sebastian: "Quand on a une entreprise, on apprend à se connaître différemment, car les talents cachés se révèlent."
"Ça bouge dans le monde de la bière: il y a une résistance contre les brasseries industrialisées."Bart V.
Lockdown blues - Sebastian: "Au printemps 2020, nous étions prêts, mais le confinement a tout arrêté." Michaël: "Nous avons commencé en livrant nous-mêmes des caisses de bière à nos clients. Nous le faisons aujourd’hui encore." Bart: "Ça bouge dans le monde de la bière: il y a une résistance contre les brasseries industrialisées. Les nouvelles bières sont artisanales."
Dégustations - Bart: "Tous les troisièmes samedis du mois, nous organisons une dégustation dans notre dépôt à Jette afin que les gens puissent nous rencontrer."
La bière - Bart: "Ce sont toutes des bières traditionnelles, avec une note sèche. Nous avons commencé avec une Saison. En même temps, nous avons créé une IPA belge et une pils (A12). À la fin de l’année, nous lancerons une Saison Noire et une Barley Wine."
Le slogan - Back to beer.
Rue Paul Michiels 52 à 1090 Jette. @brasserievandekelder
03/ Touche féminine: Wildebrasse
La team - Koen (56 ans), Ann (51 ans), Patrick (55 ans) et Nico (54 ans) sont des amis de trente ans.
Plafond de verre - Ann: "Patrick et Nico ont suivi une formation brassicole et ça m’a donné envie de m’y inscrire: j’adore la bière. Pendant la formation, j’ai constaté que le monde de la bière est un univers masculin, mais ce n’est pas le cas dans notre petit groupe. Koen est le seul à ne pas avoir de diplôme brassicole, mais c’est lui le plus grand connaisseur de bière."
Comment tout a commencé - Patrick: "Pour mes cinquante ans, j’ai voulu présenter ma propre bière à mes amis: j’ai fait des essais de brassins et comme ils m’ont plu, j’ai décidé de faire brasser 500 litres dans une brasserie." Koen: "Patrick est bio-ingénieur et ultraperfectionniste. Nous avons adoré cette première bière et nous avons décidé de créer notre microbrasserie. Nous créons les prototypes chez Patrick, mais les gros volumes sont toujours brassés ailleurs."
La philosophie - Ann: "Notre nom, Wildebrasse, signifie que nous voulons rester artisanaux."
Rêve d’avenir - Koen: "Parfois, je fantasme sur ma propre brasserie avec un café." Ann: "Je vois plutôt notre petite entreprise devenir une sorte de concept store."
La bière - Ann: "Nos bières sont idéales pour qui est à la recherche de quelque chose de nouveau." Nico: "Deux de nos bières sont disponibles chez les commerçants locaux. La Zwarte Gat est une triple foncée à fermentation haute, la Blonde Wildebrasse est une bière fraîche brassée avec deux sortes de houblon."
Le slogan - Pure et indomptée.
4/ Urban brew pub: Ruimtegist
La team - Arn (36 ans) et Egbert (36 ans) se sont rencontrés à l’école: ils avaient 17 ans.
Comment tout a commencé - Egbert: "Dans les années 80, nos pères faisaient du kombucha et du vin maison. Ce matériel de brassage se trouvait encore dans leurs greniers et piquait notre curiosité. Il y a dix ans, nous nous sommes lancés dans l’expérimentation brassicole." Arn: "Nous procédions de manière très autodidacte: nous avons acquis nos connaissances dans des livres et sur internet. Deux ans plus tard, nous avons suivi la formation de 'technicien en processus de fermentation' et nous nous sommes lancés."
Heures tardives - Arn: "Au début, nous n’hésitions pas à brasser un nouveau lot après 21h30. Mais, comme ce processus (nettoyage compris) dure huit heures, nous étions parfois coincés jusqu’à 5 heures du matin. Depuis que nous avons une famille, ce n’est plus possible."
"Nous avons choisi de brasser des bières très accessibles."Egbert
Café-brasserie - Arn: "Nous avons dû faire un choix: continuer à brasser pour les amis et la famille ou créer une entreprise. Nous avons organisé un crowdfunding et, en 2018, nous avons acheté un bâtiment à Courtrai, sur l’île Buda, que nous avons entièrement rénové pour y lancer notre microbrasserie avec un café-brasserie où l’on peut déguster nos bières. À partir de janvier 2022, j’y travaillerai à temps plein." Egbert: "Quand on passe devant, on peut nous voir brasser par les grandes fenêtres. Ça crée un lien avec les habitants de la ville."
Nom accrocheur - Egbert: "Nous avons choisi le nom Ruimtegist parce que nous sommes tous deux fascinés par l’espace et la levure. Pour nous, c’est un nom qui titille l’imagination."
Projets futurs - Arn: "Pour l’instant, nous brassons encore à la main dans notre café-brasserie, ce qui demande beaucoup de travail. Nous aimerions investir dans une installation semi-automatique de 300 litres, afin de pouvoir tester des nouvelles recettes plus rapidement."
La bière - Egbert: "Nous avons choisi de brasser des bières très accessibles qui nous plaisent particulièrement, sans tenir compte du marché. Nous vendons deux variétés différentes: une blonde légèrement houblonnée (Vie) et une bière un peu plus de niche (Obsquur), aux notes de café et de chocolat. En novembre, nous lancerons notre triple de Courtrai."
Le slogan - De la bière un peu déjantée.
Café-brasserie Ruimtegist, Budastraat 12 bte 1b à 8500 Courtrai. www.ruimtegist.be
5/ Petite bière deviendra grande: Curtius
La team - François (35 ans) et Renaud (33 ans) se sont rencontrés il y a douze ans, à l’Institut Provincial d’Enseignement Agronomique de La Reid. Pendant les cours de brassage, ils se sont découvert une même passion pour la bière.
Comment tout a commencé - Renaud: "Nous voulions prolonger à la maison ce que nous avions appris à l’école." François: "Nous avons investi dans une petite unité de brassage et avons commencé à travailler dans mon garage. Après une série d’essais avec différents ingrédients, nous avions une bière qui ressemblait à quelque chose. C’était la Curtius, notre première bière."
Le grand pari - Renaud: "Notre garage devenait trop petit et il nous fallait un investisseur: nous nous sommes inscrits au programme Starter de la RTBF." François: "Et nous avons gagné! Nous avons obtenu un prêt bon marché et avons pu nous installer dans un endroit plus grand. Depuis nous l’avons quitté pour nous installer dans un magnifique bâtiment à Liège."
Les amis deviennent partenaires - Renaud: "Quand on commence à gérer une entreprise ensemble, la relation évolue." François: "Nous sommes très complémentaires. Je suis bon pour l’aspect financier, tandis que Renaud est super pour gérer l’équipe -nous employons vingt personnes."
Bières artisanales - Renaud: "Dix ans plus tard, nous ne pouvons plus nous qualifier de microbrasseries. À Liège, nous avons notre café-brasserie avec une petite installation de brassage, mais, l’année dernière, nous avons acheté un bâtiment d’usine où nous brassons de gros volumes: nous parlons de 600.000 litres par an." François: "Nous ne deviendrons jamais une brasserie industrielle: nous relevons plutôt de la catégorie des bières artisanales. Nous prenons notre temps pour brasser la bière et continuer à innover. Nous accueillons aussi d’autres microbrasseries, qui peuvent utiliser nos installations."
La bière - Renaud: "Les millennials comme nous ont toujours envie d’essayer des goûts nouveaux et accessibles. Notre Pale Ale est houblonnée, mais elle a aussi une note d’agrumes avec des impressions de mangue et de pamplemousse." François: "Nous avons aussi une stout qui n’est pas aussi lourde que la version anglaise. La nôtre a plus d’effervescence, ce qui la rend plus digeste."
Le slogan - Slow beer is better beer.
Rue de la Brasserie 8 à 4000 Liège. www.lacurtius.com