Dans les cuisines de Bon-Bon, Christophe Hardiquest réinvente les classiques du patrimoine culinaire bruxellois.
Dans les cuisines de Bon-Bon, Christophe Hardiquest réinvente les classiques du patrimoine culinaire bruxellois.
© Serge Leblon

Christophe Hardiquest vers une troisième étoile Michelin?

Ce 10 novembre, en lisière de la forêt de Soignes, se tiendra un repas d'exception réunissant vingt chefs internationaux parmi les plus emblématiques, dont l'hôte de ce festin, Christophe Hardiquest. Le chef du restaurant Bon-Bon associe à sa cuisine audacieuse le projet Héritage, une relecture des classiques des gastronomies bruxelloise et brabançonne.

Petter Nilsson. Clare Smith. Yannick Alléno. Alexandre Gauthier. Fulvio Pierrangelini. Si ces noms ne vous disent rien, pas d'inquiétude: ce sont les chefs parmi les plus réputés de la gastronomie mondiale. L'avant-garde. Après avoir fait les beaux jours de la Gazzeta, à Paris, le premier officie dans les cuisines du Sprietsmuseum à Stockholm. La seconde, Irlandaise, fut la première britannique à décrocher et garder ses trois macarons. Alléno a obtenu sa troisième étoile cette année, au Pavillon Ledoyen à Paris. Gauthier a été 'Chef de l'année 2015' pour Gault & Millau France. Et ce gratin se retrouve à Bruxelles ce 10 novembre pour un repas d'anthologie. Le festin annoncé durera une douzaine d'heures, chez Bon-Bon. Facturé 350 euros pour une séquence de trois heures, soit dix plats. Inutile de chercher à réserver, les places se sont envolées en moins de deux heures suivant l'annonce de l'événement par son organisateur, le collectif Gelinaz! (voir encadré).

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© Serge Leblon

Voir la capitale accueillir un tel festin, ça fait plaisir. Doit-on y voir une consécration pour le chef belge le plus talentueux de sa génération? Andrea Petrini, co-fondateur du collectif Gelinaz!, tempère: "The Grand Gelinaz! Shuffle n'a pas été créé pour mettre une personnalité en avant, plutôt pour encourager une philosophie de la cuisine que nous aimons. Les chefs repris par notre collectif prennent des risques et bousculent les habitudes. Une profonde humanité les réunit. Christophe Hardiquest ose, explore, mais surtout, partage. C'est une belle âme. C'est pour cela que nous faisons cela chez lui. Et parce que nous aimons cette ville."

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Premiers pas
Parlons alors d'une reconnaissance pour un chef à la cuisine radicale, respectueuse du produit et profondément gourmande. Aujourd'hui au sommet de son savoir-faire, l doit un premier intérêt pour la cuisine à sa grand-mère qui l'éveille au réconfort de petits plats préparés avec les produits du jardin et des basses-cours du voisinage. Cet éveil est entretenu par une maman reine du hachis Parmentier, puis, après la séparation de ses parents, par un père qui lui fait découvrir le monde de la restauration. Intéressé par les voyages, ce parfait bilingue part à New York après l'École hôtelière de Namur. Il y reste quelques mois, revient à Bruxelles, passe par les cuisines de Roland Debuyst, du Sea Grill, de la Villa Lorraine et de l'hôtel Conrad. "Des expériences intéressantes", se souvient-il. "Mais travailler pour d'autres ne me convenait pas, je voulais écrire mon histoire." Ce qu'il peut faire au Voyage à travers les Sens, un restaurant installé dans une ancienne chocolaterie. La cuisine est ouverte, un agencement qu'il privilégie depuis lors. "C'est une manière de se mettre à nu. Le client vous voit et vous, vous le voyez. On écrit le repas ensemble. Et puis, au niveau de l'organisation de la brigade, il faut du respect. Personne ne triche."

Début des années 2000, Christophe et Stéphanie, épouse mais aussi confidente et mentor, créent le premier salon d'artisan cuisinier Bon-Bon. "J'avais demandé à Stéphanie combien nous avions sur notre compte. Elle m'a répondu "2.500 euros". Et un matin, je lui ai dit "On fonce!"" Un proche, propriétaire d'une enseigne de décoration d'intérieur de l'avenue Louise, leur propose 150m² pour démarrer. Le chef s'installe au milieu des meubles, achète une cuisinière et utilise son service de table et sa batterie de cuisine. Sa cuisine plaît et le bouche-à-oreille fait le reste.

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La création culinaire est un processus aléatoire: le chef rassemble quelques produits et se met à imaginer le plat qu’il pourrait en tirer en suivant le fil de leurs origines ou ses souvenirs d’enfance.
La création culinaire est un processus aléatoire: le chef rassemble quelques produits et se met à imaginer le plat qu’il pourrait en tirer en suivant le fil de leurs origines ou ses souvenirs d’enfance.
© Serge Leblon

Première étoile
Début 2003, le couple emménage rue des Carmélites. Non sans avoir hésité: Hardiquest craignait que ses premiers aficionados ne le suivent pas dans ce quartier des hauteurs d'Uccle. Le 12 janvier, au premier service en soirée, dix-huit habitués ont répondu présent. "Ils se reconnaîtront", sourit le chef. "J'étais à moitié rassuré. Le lendemain, on était complet. Depuis, on a toujours été complet." À peine huit mois après l'ouverture, Bon-Bon décroche une étoile. "Du jamais vu à Bruxelles", se souvient Pierre Marcolini, habitué de la première heure. "Son travail était étonnant, très radical et très surprenant, mais surtout très joyeux. Des assiettes superbes à découvrir." Le chocolatier se souvient d'un 'bar en rocher d'huître', un de ses premiers plats signature, d'un 'foie gras cuit en tuile d'argile' ou des 'bijoux d'huîtres, menthe corse et gelée de vodka'.

Huit ans plus tard, Bon-Bon s'installe sur le haut de l'avenue de Tervuren. Plus chic, mais aussi plus bourgeois, une remarque qui fait bondir le chef: "Ma cuisine, mon restaurant, sont tout sauf bourgeois! Un journaliste m'a même dit que j'étais devenu limite autiste! En fait, je plaçais la barre trop haut. J'étais trop exigeant avec moi-même, mes proches et mon équipe. J'ai dû apprendre à déléguer et à relativiser. Le yoga m'y a aidé. La forêt de Soignes aussi, où je vais me ressourcer régulièrement."

L'équipe s'étoffe avec l'arrivée de l'excellent sommelier Michel Demuynck. L'équipe est solide, invitée à partager ses idées dans un atelier laboratoire aménagé à l'étage. De nouvelles signatures apparaissent. Une 'côte de veau en croûte de sel et café', un 'canard au spéculoos cuit en pain de sel', un 'oeuf fumé à la poudre glacée d'oursins' ou, plus récemment, une infusion 'la forêt de Soignes après la pluie', réalisée avec une cafetière Cona. Les récompenses s'enchaînent: 19,5 chez Gault & Millau et la seconde étoile au Michelin 2014. Un sacre? "Disons plutôt des occasions de faire la fête avec les amis", sourit Hardiquest.
Comment crée-t-il? "Il y a du hasard, du travail et des associations d'idées. Un jour, dans la chambre froide, je trouve un lobe de foie gras, de l'ail noir et de la pâte miso. Et j'ai envie de les rassembler. Autre exemple, la côté de veau et le café: j'avais envie de réunir ces parfums familiers. Je pousse la recherche autour de la graine de café qui me fait penser à l'Amérique du Sud, donc au maïs... Puis je pense à la boisson, l'espresso, l'Italie... Et là, je me dit que vais travailler le maïs en polenta. Puis on essaie, on goûte, on recommence, on re-goûte, on construit."

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Magnus Nilsson (à gauche) de Fäviken en pleine action lors de Gelinaz 2015 avec, à ses côtés, René Redzepi de Noma.
Magnus Nilsson (à gauche) de Fäviken en pleine action lors de Gelinaz 2015 avec, à ses côtés, René Redzepi de Noma.
© Benjamin Schmuck

Classiques bruxellois
Son dernier projet est une relecture des classiques des cuisines bruxelloise et brabançonne. "J'aime voyager. Où que j'aille, je prends des cours de cuisine et j'essaie l'une ou l'autre grande table. Je regrette une certaine uniformisation: un peu partout, on retrouve les mêmes produits, les mêmes intitulés alors que si je suis au Portugal ou en Thaïlande, j'ai envie de découvrir leurs particularités. Je les trouve dans la street food et les boui-bouis, mais si je monte en catégorie, elles disparaissent. C'est dommage."

Il faut citer sa rencontre avec Corey Lee, chef du projet In Situ @ SF MOMA au restaurant du Museum of Modern Art de San Francisco. Curateur pour le musée, ce chef a demandé à divers collègues étoilés une recette signature à mettre à la carte du restaurant du musée. "J'ai proposé mon 'carpaccio de Saint Jacques et gaspacho d'huîtres'. Mais après réflexion, je me suis dit que j'avais raté l'occasion de mettre en valeur mon patrimoine. Je l'avais abordé avec une 'gaufre de Bruxelles à l'anguille fumée', mais je n'étais pas allé assez loin pour la proposer."

Et Gelinaz!, qu'est-ce que c'est?
C'est un collectif de chefs à l'avant-garde de la gastronomie. Il n'y a ni règles, ni de codes pour les rejoindre: c'est juste une question de rencontres. Les chefs avec un projet sont préférés à ceux avec un ego. L'important, c'est l'humain, la personne, ce qu'elle a à dire et à défendre en cuisine. Gelinaz!, c'est un état d'esprit où l'on ne s'emmerde pas.
D'où vient le mot?
À chacun de trouver son étymologie! Il y a un peu de la géline (une race de poule), le nom du chef co-créateur du mouvement Fulvio Pierrangelini, et Gorillaz, un groupe de musique.
The Grand Gelinaz! Shuffle Two
Le grand Gelinaz Shuffle est une sorte de jeu de chaises musicales. 40 chefs -dont René Redzepi (Noma), Dominic Crenn (Atelier Crenn), Alex Atala (D.O.M), Massimo Bottura (Osteria Francescana)- échangent leurs cuisines. Chacun débarque dans un nouvel environnement sans ingrédients ni recettes et doit créer un menu huit services en tenant compte de l'identité des lieux. En fonction des fuseaux horaires, l'événement traverse la planète d'Est en Ouest. Après le repas, les clients découvrent à quel chef ils ont eu affaire. Pour représenter l'avant-garde belge, on pourra compter sur Gert De Mangeleer, Kobe Desramaults et Christophe Hardiquest.
The Gelinaz! Brussels HQ
Pour la première fois, Gelinaz ajoute à ce tour du monde d'un jour un quartier général où 20 chefs vont réaliser les 40 recettes créées un peu partout le temps d'un repas de douze heures, divisé en quatre étapes de trois heures. Ce quartier général sera installé au restaurant Bon-Bon à Bruxelles. http://gelinaz.com/

Le chef entame alors une recherche sur le patrimoine culinaire bruxellois. Un historien nourrit sa démarche. Quel est l'apport de la présence espagnole ou autrichienne? Pourquoi L'Exposition universelle a-t-elle vu apparaître des plats comme le fondu au fromage? Cherchant les réponses à ces questions, Hardiquest découvre les textes de Gaston Clément, écrivain et cuisinier bruxellois disparu en 1973, pionnier des chroniques gastronomiques en Belgique. "Ils m'aident à me faire une première idée. Je m'appuie aussi sur le folklore, comme pour la 'scholle': autrefois, dans les cafés des Marolles, on mangeait de la plie séchée avec du lambic. Je pense à un plat hommage, mais plutôt avec du merlan."

Souvenirs d'enfance
Plusieurs créations sont déjà à la carte, dans le menu Héritage, notamment une étonnante tomate crevettes ou une anguille au vert extraordinaire de délicatesse. "J'ai la recette traditionnelle, puis j'explore, j'allège, je modernise", continue le chef, enthousiaste. "Mon anguille est cuite à basse température. En hiver, on la laque d'un consommé de queue de boeuf pour apporter un peu de gourmandise. L'été, on joue sur la fraîcheur avec un jus de tomates vertes. Je fais aussi un 'bloempanch', un boudin que je sers en espuma avec une gelée de pommes vertes. Et un lapin à la gueuze en tartare servi avec une gelée à la bière Cantillon et un condiment d'umeboshi, une prune japonaise.

Dernière exploration en date , le coucou de Malines que le chef décline en dix services, hommage aux 'kiekefretters', ces 'bouffeurs de poulet' que sont les Bruxellois. "Le premier est un parfait de foie de volaille servi dans un dashi à la muscade, ensuite de la peau juste rôtie aux épices tandoori avec du chou rave mariné suivi d'une quenelle de cuisse à la verveine sauce suprême au citron,... tout le poulet y passe. C'est surprenant, pourtant ce sont des souvenirs d'enfance."

Ces recherches amèneront-elles la troisième étoile? "Elle fait rêver, on ne va pas le cacher. Mais elle ne nous rend pas fou pour autant: on espère juste être dans le bon. Si elle arrive, ce sera une belle occasion de faire la fête. Bruxelles en a besoin". S'il y en un qui la mérite, c'est bien lui. Résultat le 21 novembre prochain, même si, finalement, ce n'est peut-être pas ça le plus important.

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