La tradition de Noël, c’est comme le Nouvel An et les feux d’artifice: incontournable. Mais pour cette année décidément pas comme les autres, adieu foie gras et autres caviars. Place au nouveau produit de luxe: les micropousses.
À l’école maternelle, c’était une activité magique: on semait de la cressonnette sur un morceau de papier absorbant et on rentrait à la maison, toute fière, avec le produit de sa propre culture. Depuis, l’eau a coulé sous les ponts et, aujourd’hui, l’ingrédient vedette de mon menu de Noël germe depuis plusieurs jours dans un ravier garni de papier absorbant.
En voyant mes bébés légumes grandir, je ressens le même frisson qu’en ouvrant une fenêtre du calendrier de l’Avent. Non, ce n’est pas un énième passe-temps pour m’occuper pendant le confinement, ni un effet de nostalgie. Il s'agit de cultiver des aliments gastronomiques, durables et sains - du moins si l’on en croit les adeptes.
"Les micropousses sont des petites bombes gustatives, allant des saveurs poivrées aux plus douces ou même aigres, aromatiques ou au goût de noisette."Anne Colonval
Précisons qu’il ne s’agit pas de banale cressonnette, mais de micropousses de luxe: des herbes aromatiques, comme la coriandre et le basilic, et des légumes, comme le brocoli ou la betterave. De plus en plus de chefs ne jurent que par ces micropousses pour créer des condiments exclusifs - plus de cinquante variétés, dont certaines coûtent jusqu’à plusieurs dizaines d’euros le ravier.
"Quand les gens entrent ici pour la première fois, ils pensent que toutes ces pousses sont les mêmes. Ce n’est évidemment pas le cas!", s’exclame Anne Colonval qui, avec sa start-up URBI Leaf, livre de grands noms comme Sang Hoon Degeimbre (San Sablon), Christophe Hardiquest (Bon Bon) et Lionel Rigolet (Comme Chez Soi). "Ces pousses sont de petites bombes gustatives, allant des saveurs poivrées aux plus douces, ou même aigres, aromatiques ou au goût de noisette. En plus, elles se déclinent dans une palette de couleurs magnifiques et variées."
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Dans la boutique URBI Leaf, qui a ouvert ses portes au grand public au début de cette année dans le quartier des Marolles à Bruxelles, on trouve en plus d’une multitude de nuances de vert, des pousses violet foncé (chou rouge), rose vif (amarante), carmin (radis pourpre), rouges (radis rose) ou jaunes (golden frills). Il y a aussi des pousses avec un signe particulier, comme les petites boules noires de la ciboulette chinoise ou les vrilles du pois vert.
En froissant les bouquets de micropousses, on obtient également un parfum végétal intense qui dissout instantanément l’environnement urbain dans un éventail de souvenirs bucoliques. "Les chefs utilisent les micropousses pour donner un cachet supplémentaire à leurs plats. Un brin de peps et de personnalité, et un régal pour les yeux!", s'enthousiasme Anne Colonval.
Super pousses
Les micropousses sont plus qu’une garniture artistique pour restaurants étoilés. De plus en plus d’early adopters les cultivent chez eux. Le pionnier de ce mouvement est l’entrepreneur belge Dries Bovijn qui, avec sa start-up Mother, a commercialisé l’année dernière un élégant kit de culture. Malgré (ou justement grâce à) la crise du coronavirus, son chiffre d’affaires a quadruplé en 2020.
"Les micropousses n’ont besoin ni de pesticides, ni d’additifs chimiques, ni de machines."Dries Bovijn
"Notre objectif est de rendre les habitants de la ville plus autonomes. Les micropousses n’ont besoin ni de pesticides, ni d’additifs chimiques, ni de machines. De plus, elles sont riches en vitamines et en antioxydants et peuvent donc remplacer avantageusement les légumes ordinaires."
Une étude commandée par le gouvernement américain révèle que les micropousses contiennent jusqu’à quarante fois plus de nutriments qu’une fois devenues "adultes". Par exemple, une poignée de pousses de brocoli contient autant de vitamine C qu’un kilo de brocoli. Cent grammes de mizuna vert représentent 348% de l’apport journalier recommandé en vitamine K qui, selon une étude néerlandaise récente, permet de prévenir les symptômes graves en cas de coronavirus.
Et le bébé chou rouge bat ses congénères adultes à plate couture avec 260 fois plus de bêta-carotène métabolisée en vitamine A, ce qui contribue au renforcement du système immunitaire. Et pour ne pas prendre un gramme aux dîners de réveillon, on mise sur les pousses de chou rouge qui sont un puissant catalyseur dans la dégradation des cellules adipeuses. Un atout qui fera de Noël 2020 le meilleur de tous les temps. Trop beau pour être vrai? C’est ce que pensaient aussi les scientifiques.
En 2012, quand l’université du Maryland a effectué ses premières recherches sur les micropousses, elle a dû faire ces analyses à deux reprises car les résultats étaient trop spectaculaires. Pourtant, l’explication biologique à la puissance de ces super pousses est simple: comme elles sont récoltées juste après l’apparition des deux premières vraies feuilles, tous les nutriments nécessaires au développement de la plante entière sont encore dans la tige.
Ainsi, le blé en herbe est tellement puissant qu’il pourrait tuer dans l’œuf certaines cellules cancéreuses - ce qui n’est pas encore recommandé par la faculté de médecine, mais est déjà trendy dans sa version 'shot détoxifiant' du matin.
Semences rares
Jamais le concept de la ferme à la table n’avait été aussi poussé - et sans arrosoir ni terreau!
Outre les chefs et les fanas de la santé, le naturophile fait aussi partie du public cible des micropousses. Il faut dire que les novices qui, pendant le premier confinement, se sont lancés avec enthousiasme dans un potager (y compris moi) pour se retrouver six mois plus tard face à des plantes fanées (y compris moi aussi) sont nombreux. La culture de micropousses n’expose pas à ces déceptions: après dix jours de croissance seulement, mes premières pousses de radis et de roquette sont prêtes à être récoltées.
À l’instar d’une composition florale, elles trônent sur la table, ce qui me permet de me rengorger de fierté chaque fois que je garnis un toast. Jamais le concept de la ferme à la table n’avait été aussi poussé - et sans arrosoir ni terreau! En 2020, même si l’on vit dans un tout petit appartement, il est possible de créer sa mini ferme urbaine en un tournemain.
Il n’est dès lors pas surprenant, surtout dans notre capitale, que les cultivateurs de micropousses professionnels pullulent comme des champignons après la pluie. Outre URBI Leaf, trois nouveaux acteurs sont apparus au cours des deux dernières années: MicroFlavours à Molenbeek, BIGH sur un toit du site des abattoirs d’Anderlecht, et ECLO dans des caves un peu plus loin. Ils ne visent plus seulement les restaurants, mais aussi les gourmands en quête de valeur ajoutée.
Le fait que leurs produits ne se trouvent pas encore dans les supermarchés est en grande partie lié au prix: en moyenne, les micropousses coûtent environ 80 à 120 euros le kilo, selon le cycle de croissance et le prix des graines. Par exemple, les graines des pousses de luxe comme la renouée poivre d’eau, l’arroche violette, la stévia, le shiso rouge ou la brède mafane coûtent facilement plus de 100 euros le sachet de 100 grammes. La rareté et la méthode de récolte demandent en effet beaucoup de travail et de soin.
Bruschetta en sushi
Autrement dit, grâce à ces micropousses, le menu de Noël ne manquera pas d’originalité. Reste à savoir ce que l’on peut bien faire avec un petit bouquet de ce précieux ingrédient. Bonne nouvelle pour ceux qui, comme moi, ont le bonheur d’avoir deux mains gauches et une coordination œil-main défaillante: laver, peler et découper s’avère parfaitement inutile.
"Si on est un chef débutant, on peut se lancer en garnissant des salades ou des bruschettas. La tagète, avec sa note parfumée de pamplemousse, et l’amarante, connue pour son goût douceâtre et terreux, conviennent parfaitement à cet usage", conseille Anne Colonval d’URBI Leaf.
Les chefs optent d’ailleurs pour des variétés aromatiques telles que coriandre, persil, sauge et basilic. "Mais cela dépend beaucoup du chef. Par exemple, San Sablon commande régulièrement de la moutarde wasabi et l’hibiscus. Lionel Rigolet, quant à lui, préfère les pois verts et les radis roses."
Pour la décoration, le radis sango est un réel régal: ses petites feuilles en forme de fleur se déploient comme une mini violette, dans des dégradés de vert vif à rose pourpre. Les saveurs plus douces, comme le tournesol, le fenouil et le kale, donnent un twist aux pestos, tapenades, blinis, pâte à pain, gaspacho ou - pour ceux qui désirent repousser leurs limites culinaires - aux dim sums ou sushis maison.
En fait, dans chaque espèce se cache le germe d’une bonne recette, comme l’illustre le livre de cuisine vegan "Microgreens" qui accompagne les kits de culture de Mother. On peut aussi utiliser ces fameuses micropousses pour farcir la dinde, garnir un toast aux œufs de saumon ou décorer la bûche glacée. En effet, de quel droit irions-nous vous priver des traditions?
À vous de jouer!
1. Commencez par des variétés faciles: roquette, moutarde ou radis. vous ferez votre première récolte 10 à 14 jours plus tard.
2. Semez dans un ravier tapissé de papier de cuisine humide. Arrosez tous les jours jusqu’à ce que le papier soit transparent.
3. Choisissez un emplacement en pleine lumière. Les micropousses ont besoin d’une dizaine d’heures de lumière par jour. En hiver, placez-les sous une lampe led. Par contre, il faut les garder dans l’obscurité jusqu’à l’apparition de la première petite pousse.
4. Veillez à ce que la température de 21°C soit constante.