The Bakery by Joost Arijs ouvrira le 9 décembre et proposera du vrai pain à fermentation lente et des croissants à peine sortis du four dans un intérieur signé Glenn Sestig.
The Bakery by Joost Arijs
| Ouverture le 9 décembre
| Vlaanderenstraat 26, 9000 Gand
| www.joostarijs.be
Toutes les bonnes choses demandent du temps: Joost Arijs est bien placé pour le savoir. C’est vrai pour son pain au levain, qui fermente lentement et longuement avant d’être cuit, ce qui le rend plus savoureux, mais aussi plus digeste et plus durable. Et il semble en aller de même pour sa nouvelle enseigne, The Bakery by Joost Arijs, qui a commencé à prendre forme il y a plus de deux ans et ouvrira ses portes la semaine prochaine à Gand.
Fin 2020, Arijs appelle l’architecte Glenn Sestig pour lui demander d’aménager une boulangerie adaptée à son identité visuelle épurée et exprimant élégance, chaleur et convivialité. “J’ai toujours rêvé d’avoir une boulangerie”, avoue Arijs. “Quand ma compagne Elke et moi avons ouvert notre boutique, en 2011, nous avions pris la décision de nous focaliser sur la pâtisserie et le chocolat. Nous devions choisir, car le pain est un produit totalement différent. Dans mon esprit, ces deux univers distincts n’ont pas leur place dans le même espace. Le pain est un peu plus artisanal et rustique, loin des pralines et des pâtisseries raffinées et épurées que nous fabriquons. Nous manipulons nos délicates pralines avec des gants, alors que pour le pain, ce n’est pas grave si quelques miettes tombent. Concilier les deux ne me semblait pas évident. Ma passion pour le pain ne date pas d’hier: dans tous les établissements où j’ai travaillé, comme au restaurant Hof van Cleve, je me suis toujours chargé du pain et des viennoiseries. Alors, quand j’ai appris que le bâtiment situé à côté de notre magasin se libérait, j’ai misé sur son potentiel. Côté rue, ce sont deux boutiques distinctes, mais à l’arrière, elles sont reliées par un grand atelier. Je ne me serais jamais lancé ailleurs. Je veux être dans mon magasin, car ainsi, je peux être partout tout en séparant le pain et la pâtisserie. De plus, l’hôtel Yalo, qui était en construction, m’avait demandé si une collaboration serait possible. Si je me lançais, j’avais déjà un client régulier.”
Pralines pour Angela Merkel
Joost Arijs semble avoir enchaîné les succès: il a travaillé à la pâtisserie Mahieu à Woluwe-Saint-Pierre, chez le chocolatier Marc Ducobu à Waterloo et au restaurant trois étoiles Hof van Cleve. Dans son magasin à Gand, qui a ouvert ses portes en 2011, il a placé la barre très haut en tant que pâtissier et chocolatier, produisant des créations avec la perfection et le raffinement d’un chef étoilé. Il s’est donc vite fait un nom: en 2012, le Premier ministre de l’époque, Elio Di Rupo (PS), a offert une boîte de pralines Arijs à la chancelière allemande Angela Merkel. “Bien sûr que j’en étais fier, mais Merkel ne reviendra pas dans mon magasin. Ce sont les clients réguliers qui doivent être satisfaits”, estime cependant Joost Arijs. D’autres mérites? Il y a eu les récompenses du Gault&Millau: meilleur pâtissier de Belgique en 2013, meilleur chocolatier en 2019. Sans oublier le succès des macarons Arijs: 2.000 pièces sont vendues chaque semaine.
La signature d’Arijs est classique, épurée et sans fioritures, un style qui ne se laisse pas influencer par les tendances. “Chez nous, vous ne trouverez pas de chocolats fourrés au curry, à la mangue et au chicon – avec tout le respect que je dois aux collègues qui aiment ce genre d’expériences!” (rires) Nous admirons les pralines et les macarons soigneusement alignés. Les jolis gâteaux aux noms simples nous mettent l’eau à la bouche: crumble aux noix de pécan, crémeux à la vanille, caramel au beurre salé, biscuit au chocolat.
Nous quittons la pâtisserie pour rejoindre le chantier où s’établira bientôt la nouvelle boulangerie. Minimalisme chaleureux, telle est la meilleure description de l’intérieur conçu par Glenn Sestig. “J’adorais les lignes, les couleurs et les matériaux des intérieurs de Glenn”, explique le pâtissier. “Nous avons eu quelques entretiens exploratoires et le courant est bien passé. L’intérieur était très important pour moi. La pâtisserie est très épurée, en noir et blanc, et je voulais garder ce minimalisme, mais avec un rayonnement un peu plus naturel, sans tomber dans le cliché rustique. Nous avons opté pour l’inox brossé et le noyer, avec un sol au look terrazzo. C’est toujours notre identité visuelle épurée, mais un peu plus chaleureuse.”
“Un numéro 03, s’il vous plait”
Cette identité visuelle se retrouve dans les détails. Quand The Bakery ouvrira ses portes, vous ne demanderez pas un “petit pain”, mais plutôt “un numéro 03, s’il vous plait”. Et de préférence non tranché, car le pain reste frais plus longtemps. À la maison, vous pourrez découper d’épaisses tranches avec le couteau à pain sur l’élégante planche en noyer que proposera la boulangerie. The Bakery ne sera pas une adresse de pistolet et de couques au beurre du dimanche, car Arijs ne fera ni pistolets ni couques au beurre (“Tout le monde en fait déjà”). Et aussi parce que la boulangerie sera fermée le dimanche.
“‘Saturday is the new Sunday’”, lance Arijs. “Le dimanche et le lundi sont des jours de fermeture fixes depuis des années. Tout le monde nous l’avait déconseillé, car la tarte du dimanche est une tradition. Mais voilà, nous avons fait ce choix et ça a toujours bien fonctionné. Je pense que donner une touche d’exclusivité à son produit n’est pas une mauvaise chose. Tout ne doit pas être accessible 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7. Cela peut sembler un peu prétentieux, mais nous ne voulons pas faire ce que tous les autres boulangers font déjà.”
Une grande différence entre la pâtisserie et le pain, c’est qu’elle est un moment de plaisir luxueux, alors que le pain est un produit quotidien. Comment parvenez-vous à faire la différence?
“En plaçant la barre un peu plus haut sur tous les plans. Les clients viendront peut-être chez nous s’ils veulent un pain vraiment exceptionnel lorsqu’ils reçoivent des invités. Je suis un papa comme les autres: quand j’achète du pain pour les tartines des enfants, je ne fais pas un détour pour aller chez le seul bon boulanger et ce n’est pas grave. Ce que nous proposerons chez The Bakery sera destiné à des moments spéciaux. Cela peut sembler un peu exclusif, mais notre pain ne sera pas plus cher qu’ailleurs.”
C’est quoi, du très bon pain?
“Un bon pain a le goût de l’amour. Et cet amour, c’est le temps que vous y consacrez. Tous nos pains seront au levain, mais je veux éviter ce goût aigrelet que tout le monde n’aime pas. Seul notre pain de seigle aura un peu d’acidité. Nous proposerons du pain d’épeautre, de sarrasin, de blé moulu sur pierre... Toutes nos farines sont biologiques et portent le label CRC, et notre pain ne contiendra ni additif ni améliorant de panification. Pas de cochonneries ajoutées, mais du goût et de la texture. La lenteur est cruciale: la base de nos pains est une fermentation à basse température (à 3 ou 4 °C ), ce qui demande beaucoup de temps. Nos pains doivent pouvoir reposer longtemps avant d’être enfournés. Les boulangers lambdas commencent à préparer la pâte vers 22 ou 23 heures, y ajoutent beaucoup de levure et d’additifs, si bien qu’à 6 heures du matin, ils ont cuit une montagne de pains et de couques pour le reste de la journée. Résultat: peu de saveur, peu de texture et, surtout, beaucoup de cochonneries ajoutées.”
“Nous produirons tout au long de la journée. Comme nous travaillons avec des fours relativement petits, il n’y aura qu’une quantité de pain limitée par fournée. Nous cuirons du pain deux à trois fois par jour. Notre travail commencera à 4 ou 5 heures du matin et la production se poursuivra toute la journée. D’ailleurs, notre atelier sera visible de la boulangerie, à travers une paroi vitrée.”
“Nous ferons plusieurs fournées par jour parce qu’un croissant qui a cuit à 4 heures du matin n’est plus aussi bon à 11 heures.”Joost Arijs
Outre le pain, l’accent sera mis sur les viennoiseries. Alors, enfin des croissants et des pains au chocolat signés Joost Arijs?
“Oui! Et aussi de la brioche feuilletée et des couques à la crème pâtissière à la vanille, fraîche évidemment, comme il se doit. Nous faisons notre pâte feuilletée au beurre. Un de nos collaborateurs s’y est consacré: pour cela, il a suivi de nombreux stages et formations pour perfectionner sa technique. Cela demande beaucoup de travail, mais le résultat est gratifiant. Nous avons neuf collaborateurs permanents, deux à trois stagiaires et deux extras viendront nous rejoindre à la boulangerie. La fabrication d’un croissant demande trois jours de travail. Le prix? Deux euros. C’est très raisonnable, je trouve. Dans ce cas aussi, nous ferons plusieurs fournées par jour. Parce que je trouve qu’un croissant cuit à 4 heures du matin ne vaut plus rien à 11 heures.”
Nous avons quitté le chantier pour revenir dans la Vlaanderenstraat, une artère près du quartier Zuid de Gand qui, grâce à des enseignes comme Arijs et Vrijmoed, est passé du quartier Belle Époque endormi à celui de district animé. Nous retournons à la pâtisserie pour un dernier café, accompagné d’une praline. Dans l’atelier, le personnel s’affaire à la fabrication de spéculoos, de figurines de Saint-Nicolas en chocolat et de massepain. La boulangerie devait ouvrir aux alentours de Pâques, mais ce sera entre la Saint-Nicolas et Noël, la haute saison pour un chocolatier. Les problèmes de construction (la salle des coffres de la banque, au sous-sol du bâtiment, s’est avérée être une structure porteuse...) ont entraîné des retards et du stress. Pour ce qui est du stress, nous ne pouvons que le supposer, car Arijs n’en laisse rien paraître.
Vous ouvrez votre deuxième magasin juste au moment le plus chargé de l’année...
“C’est un peu fou, car les commandes pour les fêtes affluent. Mais bon, c’est comme ça. Sur le plan financier, ce retard est un inconvénient: il nous manque six mois de recettes. Et nous avons fait d’importants investissements. Mais je suis un enthousiaste né.”
Vous dirigez le magasin avec votre compagne. Est-ce un risque?
“Il a déjà été intense. Surtout parce que les banques nous ont claqué la porte au nez. Nous avons récemment demandé un prêt supplémentaire, qui a été rejeté: ils ne croyaient pas à la réussite de notre nouveau projet.”
Comment faites-vous pour continuer à y croire quand la banque n’embraye pas?
“Entreprendre, c’est se lancer, oser prendre des risques calculés. Sans enthousiasme, on n’avance pas. Nous sommes allés voir d’autres banques et avons fini par trouver une solution. Rester assis sans rien faire, ce n’est pas dans ma nature. Il faut continuer à bouger et à se réinventer. Quand Elke et moi avons ouvert le magasin, nous nous sommes dits que nous allions faire ça pendant dix ans, après quoi nous arrêterions. Onze ans plus tard, nous sommes toujours là. J’avais besoin de ce nouveau défi, je ne veux pas m’éteindre à petit feu. Notre vie a toujours tourné autour du magasin. Si je ne peux pas me lancer à fond et être motivé à 120 pour cent, cela ne vaut pas la peine.”
De plus en plus de boulangeries ferment leurs portes, à cause des prix élevés de l’énergie, de la pénurie de personnel, du grenier à blé de l’Europe en feu. Cela vous inquiète-t-il?
“Non, nous n’avons pas peur de ne pas réussir. Je n’ai jamais douté une seule seconde du succès du projet. Je constate déjà que l’ouverture est très attendue. Bien sûr, l’ardoise est très différente de celle d’il y a deux ans, lorsque nous avons lancé ce projet. La crise de l’énergie, en particulier, frappe durement. De nombreux boulangers sont en difficulté parce qu’ils travaillent entièrement au gaz. Quand vous voyez votre facture énergétique mensuelle bondir soudain de 2.000 à 20.000 euros, vous ne pouvez pas la répercuter sur vos ventes. Nos fours fonctionnent à l’électricité et nous avons intégré ces prix plus élevés dans nos calculs. C’était déjà une année difficile, mais nous devons nous en sortir. En temps de crise aussi, il faut investir, j’en suis convaincu.”
“Si mon nom figure sur la vitrine, je veux être dans le magasin.”Joost Arijs
Avez-vous déjà connu des revers importants?
“Le fait que nous ayons dû fermer notre magasin à Anvers en 2018 a été une déception. Les clients étaient satisfaits, mais déçus aussi que nous ayons arrêté au bout de trois ans. La raison de cette fermeture? Nous n’avons jamais trouvé les bonnes personnes avec qui travailler, or c’est ça qui fait toute la différence. Anvers est une ville notoirement difficile pour lancer quelque chose si l’on n’est pas Anversois de naissance. Il y avait trop peu de confiance mutuelle. Vers 2015, nous rêvions d’expansion: après Anvers, Bruxelles suivrait, puis éventuellement ailleurs et plus loin. Mais après la fermeture de notre magasin d’Anvers, nous avons abandonné cette idée. Nous avons choisi de nous concentrer sur une seule chose: notre magasin de Gand. La petite échelle et le contact personnel sont cruciaux dans notre histoire.”
Pourtant, les exemples de collègues qui prêtent leur nom à un concept sans être présents ne manquent pas...
“Je ne veux pas de ça. Si mon nom figure sur la vitrine, je veux être dans le magasin. Le contrôle est un terme très laid: c’est plutôt une question de convivialité. Ici à Gand, je salue nos clients dans la rue.”
Vous avez grandi dans la commune de Kluisbergen. Enfant, vous avez d’abord voulu être boucher, n’est-ce pas?
“Oui. Mes parents avaient une imprimerie, mais ma mère vient d’une famille de bouchers. Elle allait régulièrement aider mes grands-parents. Cette boucherie était ma seconde maison. Très jeune, j’ai su que je voulais travailler dans les commerces de bouche. Et quand j’étais petit, à la maison, je me suis lancé: avec du beurre, de la farine, du sucre et des œufs, j’ai fait mon premier gâteau, un quatre-quarts, comme tout le monde!” (rires)
“Dès l’âge de douze ans, je savais que j’irais à l’école des métiers de bouche Ter Groene Poorte à Bruges, mais à quatorze ans, j’étais un boulanger amateur tellement enthousiaste que je n’ai pas choisi l’orientation boucherie, mais boulangerie. Quand j’étais enfant, j’ai aussi toujours trouvé qu’aller à la boulangerie avec mon père le week-end était un chouette rituel.”
“Je goûte chaque jour quelque chose: un biscuit, une praline, un macaron. Un par jour, pas deux!”Joost Arijs
C’est aussi un rituel qui tend à disparaître. Peter Goossens, chef du Hof van Cleve où vous étiez responsable du pain et de la pâtisserie, a expliqué à quel point il déplorait de devoir faire une heure de route le dimanche pour trouver un bon boulanger. Ces dernières années, de plus en plus de boulangers ont mis la clé sous la porte...
“C’est le cas pour de nombreux métiers! Autrefois, chaque village avait son boulanger, son boucher, son marchand de journaux, son café... Suite à la concurrence des supermarchés, ces commerces de proximité ont commencé à disparaître. En guise de solution, certains boulangers ont choisi de travailler avec des produits de qualité inférieure – avec de la margarine au lieu de beurre, avec du pudding en sachet au lieu de crème pâtissière maison. Certains boulangers ont réalisé qu’en procédant ainsi, l’étal de leur boulangerie ne se distinguerait plus des rayons des supermarchés: on ne peut pas faire revenir la clientèle sans lui offrir un avantage, la qualité. Mais les boulangers qui voulaient maintenir ces standards élevés se sont ensuite retrouvés face à une nouvelle difficulté: le manque de personnel. Ce n’est pas un métier facile.”
Peter Goossens affirme être obsédé par le pain. Cela faisait-il de lui un maître très strict au Hof van Cleve?
“De toute façon, tout devait être parfait. Je n’ai vraiment appris le métier qu’une fois que je suis allé travailler chez Mahieu et chez Marc Ducobu. Au Hof van Cleve, j’ai appris à affiner, à chercher ma voie. Parce que là-bas, je devais travailler avec des chefs qui avaient une vision, et il fallait aussi apprendre à réfléchir: qu’est-ce qui est bon avec ceci, qu’est-ce qui est bon avec cela? J’ai également appris qu’il faut offrir une expérience au client. Là-bas, j’ai appris à penser comme un chef plutôt que comme un pâtissier.”
Michael Vrijmoed était second au Hof van Cleve à l’époque où vous y travailliez et vous êtes devenus d’excellents amis. Son établissement se trouve à côté du vôtre. A-t-il déjà goûté votre pain?
“Oui, c’était inévitable! (rires) Nous nous voyons trois ou quatre fois par semaine. C’est d’ailleurs nous qui lui avons permis de trouver le bâtiment dans lequel il a installé son restaurant. Beaucoup de mes meilleurs amis datent de ma période au Hof van Cleve, comme Thomas Schmidt, du BLVD à Laethem-Saint-Martin, et Sam d’Huyvetter, du Bar Bask à Gand. Nous nous soutenons mutuellement, contre vents et marées.”
Avez-vous tout de même trouvé du temps de vous détendre l’année dernière?
“Le week-end, j’aime passer du temps avec nos deux fils: Otis qui a quatre mois et demi et Wolf qui a eu deux ans il y a deux semaines. Et même si je ne l’ai pas assez fait l’année dernière, j’aime aussi faire du vélo ou du VTT dans le Kluisbos.”
Vous arrive-t-il de craquer pour un éclair?
“Oui, je les apprécie toujours autant! Je goûte chaque jour quelque chose: un biscuit, une praline, un macaron. Un par jour, pas deux!” (rires)