“Koks” du chef Ziska, aujourd’hui dans l’un des plus anciens bâtiments du Groenland

La nouvelle adresse culinaire incontournable se situe dans un hameau du Groenland, quelque part entre la calotte glaciaire et l’océan. Nous nous sommes arrêtés au Koks pour un menu dégustation impressionnant en 18 services.

La tradition revisitée

Poul Andrias Ziska (32 ans) est né et a grandi sur les Îles Féroé, un archipel à mi-chemin entre l’Écosse et l’Islande. C’est là qu’il a décroché sa première étoile Michelin, en 2017, suivie d’une deuxième, deux ans plus tard.

La cuisine qu’il sert dans son restaurant Koks est une interprétation de l’héritage culinaire de ce lointain archipel. Il n’utilise que des produits locaux et des méthodes de cuisson traditionnelles revisitées, dont le “ræst”, une méthode de conservation de la viande et du poisson à mi-chemin entre la fermentation et la maturation, transmise de génération en génération.

“On m’avait averti: au Groenland, tout ce qui pourrait mal tourner tournera mal”, annonce Poul Andrias Ziska, le chef exécutif du restaurant Koks. “Et tout ce qui ne devrait pas mal tourner tournera probablement mal.”

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Poul Andrias Ziska, a ouvert son premier restaurant sur les Îles Féroé, au large de l’Écosse, de la Norvège et de l’Islande. C’est d’ailleurs là, en 2017, qu’il a décroché la première étoile Michelin du pays, suivie d’une deuxième, deux ans plus tard. Cette fois, Ziska va encore plus loin. Koks, son nouveau restaurant, est installé dans une confortable maison en bois datant de 1751, l’un des plus anciens bâtiments du Groenland. À deux pas de là, à Ilimanaq, un hameau entouré de blocs de glace en perpétuel mouvement et comptant une cinquantaine d’âmes à peine, se trouve un lodge de quinze chambres. Il s’agit de simples cabanes en bois au toit pointu, perchées sur les rochers surplombant la baie couverte d’icebergs.

Pour apprécier un dîner au restaurant Koks, il ne faut pas être rebuté par les protéines animales.

Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’installer une cuisine sophistiquée ici n’a pas été une mince affaire. Et si quelque chose tourne mal, cela ne se voit pas; c’est peut-être dû au tempérament féringien du chef. Le soir où je m’y attable, le personnel de service, en uniforme impeccable, présente un impressionnant menu dégustation de 18 services (à environ 280 euros le couvert), accompagné de vins assortis (215 euros). Après avoir dégusté une douzaine de préparations artistiquement élaborées, allant de la baleine braisée à la truite sauvage en sauce aux groseilles fermentées, je suis revigoré par une succession de desserts, dont une mousse à base de varech grillé et de cèleri-rave fermenté. L’amertume du varech est atténuée par une patelle caramélisée (présentée sur un petit galet), lisse comme du caramel fondu et sucrée à la confiture de carottes.

Le nouveau restaurant Koks s’est installé dans l’un des plus anciens bâtiments du Groenland, une maison en bois de 1751.
Le nouveau restaurant Koks s’est installé dans l’un des plus anciens bâtiments du Groenland, une maison en bois de 1751.
©Odd Andersen / AFP

Légèrement molle

Manger au Koks n’est pas destiné à ceux que les protéines animales rebutent: cœur de renne, bouillon de bœuf musqué ou steaks de baleine et de la graisse de baleine crue sont au menu. En effet, le Groenland autorise les Inuits à chasser un certain quota de baleines de différentes espèces, une pêche approuvée par la Commission Baleinière Internationale pour des raisons de culture et de tradition indigènes. Celle-ci reconnaît également que, pour de nombreux Inuits, les protéines fournies par la consommation de mammifères marins sont une nécessité pour des raisons nutritionnelles et économiques.

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La viande de baleine présente une texture légèrement molle qui a la saveur de bœuf maigre. Le plat suivant, des têtes de crevettes entières frites, avec les yeux et les antennes, me semble sage par comparaison. Une fois en bouche, les têtes ont la consistance et la saveur rassurantes de crackers aux crevettes. Fait étonnant: pour un pays recouvert à 80 pour cent de glace et à 20 pour cent de roches nues et de minces bandes de terre, on trouve également des fruits et des légumes, dont des camarines, de délicats champignons arctiques, et de l’oseille des montagnes par exemple.

La cuisine a beau être exquise, les lieux n’en restent pas moins inhospitaliers.

Poul Andrias Ziska a affiné ses compétences aux Îles Féroé, où, selon une tradition ancienne, on sert de la viande fermentée (généralement de l’agneau, mais aussi du poisson et de la volaille) en suivant un processus spécifique qui sublime les saveurs. En raison du prix élevé du sel, les insulaires ne l’utilisaient pas à des fins de conservation: ils suspendaient la viande dans des hangars de séchage ouverts aux brises de l’Atlantique, à des températures constantes comprises entre 4 et 8 degrés. Dans le cas de l’agneau, le résultat est un morceau de viande ratatiné et noirci, recouvert d’une fine couche de moisissure formée par des bactéries anaérobies. Le goût est extrêmement fort, avec la saveur piquante du fromage bleu. Cette sorte de fermentation et les goûts spécifiques qu’elle donne aux aliments sont au cœur de la cuisine de Ziska. Au Groenland, on la retrouve dans son kombucha purifiant au cassis ainsi que dans des plats comme le crabe des neiges à la pâte de champignons fermentés.

Tels des petits champignons, les quinze chalets en bois du lodge “Ilimanaq” (uniquement accessible en bateau) se dressent devant les icebergs du fjord glacé d’Ilulissat.
Tels des petits champignons, les quinze chalets en bois du lodge “Ilimanaq” (uniquement accessible en bateau) se dressent devant les icebergs du fjord glacé d’Ilulissat.
©Odd Andersen / AFP

Lagopèdes à moitié plumés

Les saveurs traditionnelles des Îles Féroé, un défi pour les non-initiés, sont restées un mystère pendant des années. Proposées par le Koks pour donner un twist moderne et élégant aux aliments balayés par le vent, elles attirent des convives venus des quatre coins du monde.

“Concevoir un menu aussi sophistiqué à partir de la flore et de la faune du Groenland a demandé un important travail de recherche et de développement”, explique Ziska après m’avoir montré le congélateur du restaurant dans lequel sont conservées des pièces de viande de renne ainsi qu’une étagère sur laquelle reposaient une douzaine de lagopèdes à moitié plumés. Les convives se voient servir de tendres lamelles de poitrine embrochées sur un os d’aile (avec les plumes, pour l’esthétique).

©Odd Andersen / AFP

Moins dommageable?

Poul Andrias Ziska est manifestement stimulé par l’isolement d’Ilimanaq et nullement perturbé par l’idée que les foodies devront se rendre au Groenland et traverser une baie couverte de glace pour atteindre le restaurant de trente couverts. “Aux Îles Féroé, nous avons vu que les gens prenaient l’avion à New York pour découvrir Koks le temps d’un long week-end”, remarque-t-il. “Il y a une clientèle déterminée à manger dans des endroits que peu de personnes auront la chance de découvrir.” Pour renforcer cette exclusivité, le restaurant gastronomique le plus isolé au monde ne sera ouvert que pendant deux ans, après quoi il prendra ses quartiers dans de nouveaux locaux aux Îles Féroé.

Ironie du sort: le nouveau centre Ilulissat Icefjord Center – à une heure de bateau environ du restaurant, de l’autre côté du fjord –, accueille les voyageurs qui viennent jusqu’au Groenland pour observer les effets du changement climatique. Le centre, qui a ouvert ses portes l’année dernière, a été conçu par l’architecte danois Dorte Mandrup “comme le vol d’un harfang des neiges à travers le paysage”, et a coûté la modique somme de 19,7 millions d’euros. L’aboutissement d’une idée qui a germé pendant deux décennies. Financé par des philanthropes et le gouvernement groenlandais, il a été conçu pour offrir un lieu de rencontre à la communauté locale, servir de passerelle entre la ville et la nature sauvage et encourager le tourisme.

Dans la même veine, je me suis interrogé sur les avantages et les inconvénients éthiques de la restauration réservée à des convives qui viendront des quatre coins du monde, voire de plus loin, pour déguster des plats scrupuleusement locaux et dont les produits sont issus de sources durables. Cependant, le gouvernement du Groenland estime que le tourisme est potentiellement moins dommageable que l’alternative évidente, l’extraction de minéraux et de combustibles fossiles.

©Gustav Thuesen

Poursuivi par un bœuf musqué

J’emprunte le sentier qui mène à la forme fluide du toit en bois du centre, mais afin de bénéficier d’un meilleur point de vue, je continue à marcher pendant quelques minutes, jusqu’à l’endroit où le chemin gravit un escarpement de granite lisse.

C’est là que, s’étendant jusqu’à l’horizon, se trouve la grande attraction de la région: le fjord couvert d’icebergs et, à l’arrière, le glacier Sermeq Kujalleq, une étendue immaculée, fissurée et escarpée s’étirant à perte de vue. Il peut avancer de plus de vingt mètres par jour, libérant chaque année 35 milliards de tonnes de glace dans la baie de Disko.

Même si le Koks contribue à attirer les touristes gastronomiques sur la côte ouest du Groenland, l’attraction majeure reste cet environnement naturel stupéfiant. Le lendemain matin de mon repas, je pars à pied d’Ilimanaq accompagné d’une guide locale, Nivé Heilmann, de Diskobay Tours. En moins d’une demi-heure, nous avons repéré cinq bœufs musqués, des bovins au pelage laineux pouvant peser jusqu’à 400 kilos qui broutent les prairies de la toundra riches en fleurs. “Je préfère ne pas m’approcher trop d’eux!”, s’exclame-t-elle en riant. “Il n’y a pas si longtemps, un ami a été poursuivi par l’un d’eux alors qu’il étendait son linge. Il a réussi à rouler sous sa véranda, en perdant une chaussure au passage. Il n’a pas été blessé, mais le bœuf musqué a uriné dans sa chaussure avant de partir.” Et toc!

La sommelière Karin Visth et le chef Poul Andrias Ziska, les figures de proue de la perle gastronomique Koks. Le périple en vaut la chandelle.
La sommelière Karin Visth et le chef Poul Andrias Ziska, les figures de proue de la perle gastronomique Koks. Le périple en vaut la chandelle.
©Simon Bajada

Une heure plus tard, nous tombons sur un ancien cimetière près d’un village abandonné. “Ici, la vie a toujours été dure et aujourd’hui encore, les gens meurent souvent jeunes, à cause du climat, dans des accidents de chasse ou en mer”, commente-t-elle. “Mais nous ne craignons probablement pas la mort comme vous. Lorsqu’une personne meurt, nous présentons nos condoléances aux proches, évidemment, mais après les funérailles, nous disons ‘pilluarit’ (‘félicitations’), ce qui est une manière de célébrer le fait d’avoir connu cette personne. Nous croyons également que si nous éprouvons un lourd chagrin, l’âme du défunt aura du mal à atteindre le paradis, car son âme doit glisser sous une couverture de peau pour atteindre l’au-delà et si nous sommes trop tristes et faisons trop d’histoires, elle sera retenue dans notre monde. Et ça, ce n’est pas bon.”

Lieux inhospitaliers

Je suis comme enivré par la lumière infinie et hypnotisé par le passage constant de la glace flottante, une sorte de semi-élément entre mer et ciel. Mais en regardant les eaux glaciales, il n’est pas difficile de comprendre à quel point les gens devaient être endurcis pour (sur)vivre ici, et pourquoi la mort devait être gérée de la manière la plus pratique possible. La cuisine proposée à Ilimanaq a beau être exquise et coûteuse, les lieux environnants sont toujours aussi inhospitaliers.

Le restaurant Koks se situe à Ilimanaq, dans le sud-ouest du Groenland.
| Menu dégustation: 280 euros.
| Réservations: Les réservations peuvent être effectuées dès maintenant pour une visite au restaurant du 12 juin à septembre 2023.
| Accessibilité: Koks est accessible via Reykjavik ou Kangerlussuaq, une base aérienne américaine datant de la Seconde Guerre mondiale.

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