L'apericena, une tendance venue d'Italie, est l'occasion de grignoter toutes sortes de petites choses délicieuses en sirotant un cocktail.
Un verre de spritz à la main, je picore quelques chips au sel dans une coupe et, tout en croquant l'olive de mon drink, je lorgne déjà sur mon tramezzino – le fameux sandwich de pain de mie triangulaire dont le nom, inventé par l'écrivain Gabriele d'Annunzio, fait référence à un "en-cas pris entre deux repas". On est à Venise, au Caffè Rosso, sur le Campo San Margherita, et il souffle comme un air de dolce vita.
L'aperitivo incontournable
Rituel social incontournable en Italie, l'aperitivo est ce moment privilégié de la journée où, après le travail, en général entre 18 et 21 heures, on se retrouve entre amis pour boire un verre et s'enjailler autour de quelques grignotages simples: chips, cacahuètes, olives, charcuteries, fromages, feuilletés. Une tradition qui remonterait à l'empire romain, puisque le mot "aperitivo" est un dérivé du latin "aperire", qui signifie "ouvrir" et, dans ce cas précis, "ouvrir l'appétit avant de passer à table pour le dîner".
Le phénomène s'est d'abord diffusé dans le nord de l'Italie, quand Antonio Benedetto Carpano invente le vermouth en 1786, suivi par l'apparition de liqueurs apéritives comme le Campari en 1860. Et c'est justement au XIXe siècle que l'aperitivo a vraiment pris de l'ampleur, d'abord à Turin, puis à Milan, quand les cafés se sont mis à offrir quelques grignotages pour accompagner les boissons alcoolisées.
Cette tradition perdure aujourd'hui dans des endroits mythiques comme le Caffè Mulassano à Turin, qui distille son propre vermouth, ou au Camparino à Milan, où l'on sirote un cocktail dans la splendide Galleria Vittorio Emanuele II avec vue imprenable sur le Duomo.
L'"apericena", un apéritif prolongé
L'"apericena" est un mot-valise, fusion entre "aperitivo" et "cena" ("dîner"), créé pour désigner un apéritif prolongé. Cette pratique aurait une origine piémontaise et serait inspirée d'une collation paysanne traditionnelle, la merenda sinoira, composée de charcuteries et fromages évidemment, mais aussi omelette, polenta, tonno di coniglio (lapin préparé comme un thon à l'huile). Un casse-croûte tellement riche qu'il se substituait bien souvent au dîner.
Mais ce serait un entrepreneur du business de l'accueil milanais qui, au milieu des années 1990, aurait lancé l'apericena à proprement parler, en créant des buffets pour inciter ses clients à commander à boire. Pour le prix d'un verre ou pour quelques euros supplémentaires, on accède à toutes sortes de préparations alléchantes à manger sur le pouce: pizzas, salades, boulettes et même sushis! Une aubaine pour les étudiants qui adorent cette formule de dîner à prix plancher et qui permet ensuite de faire la fête toute la soirée.
À Venise
Bien entendu, chaque ville d'Italie a sa façon de voir l'aperitivo ou l'apericena. À Venise par exemple, on appelle ça "andar per bacari" et cela consiste à aller de bar en osteria pour se sustenter de cicchetti (tapas vénitiennes) variés. All'Arco, à San Polo, on se régale ainsi de crostini au baccalà mantecato (brandade de morue) ou aux sarde in saor (sardines en aigre-doux) ou, plus créatifs, réalisés avec les poissons du marché du Rialto tout proche.
Dans le verre, à Venise, on alterne spritz (au Select, gardez-nous de l'Aperol!) et ombre (verres de vin), notamment de prosecco, produit localement. Si c'est le cas un peu partout en Italie, à Turin et à Milan, on fait évidement honneur au vermouth et au Campari et on y déguste un des nombreux cocktails mythiques: Negroni, Negroni sbagliato (où le gin est remplacé par du prosecco), Americano, Milano-Torino, la liste est longue et les Italiens ont de l'imagination!
Des cocktails casalinghi
Pour préparer des cocktails casalinghi, il faudra se procurer un verre à mélange et se faire la main au shaker. Mais, vous l'aurez compris, on pourra proposer les choses les plus variées, à condition de prévoir un buffet bien achalandé. La bonne idée, c'est de commencer par composer une planche de charcuteries et de fromages digne de ce nom. On peut aussi dégoupiller quelques boîtes d'anchois de Cantabrie ou de ventrèche de thon. Ensuite, on dégaine ses talents de cuisinier, en cédant, par exemple, aux tendances apéros de TikTok... Réaliser une sangria avec une French Press, une focaccia aussi belle qu'un jardin avec des légumes, des chips à base de pasta ou une "butter board", une planche sur laquelle on étale du beurre mou que l'on garnit de fleurs, herbes, épices, fleur de sel. Y'a plus qu'à!
L'apericena en Belgique
Si l'on n'a pas envie de s'y mettre, il y a de nombreuses adresses en Belgique où s'essayer à l'apericena, en mode assumé ou pas. À Bruxelles, on pourra ainsi découvrir le CiPiaCe, un chouette bar à cocktails italien du Parvis de Saint-Gilles, où on démarre avec une bruschetta à la ricotta et on finit par une pasta alle vongole. Plutôt dans un mood asiatique? Direction le centre-ville et le Yi Chan pour ses cocktails ultra-précis parfumés au shiso ou au jasmin, à accompagner de délicieux dim sum (les gâteaux de radis, yammy!).
À Liège, on pourra miser sur les saveurs africaines chez Yaka-Afrotoria, près du marché de la Batte. On y commande des Fioti Fioti: banane plantain frite, acras au poisson, samossas à consommer avec une Tembo ou une Simba, des bières congolaises.
Du côté d'Anvers, on poussera la porte de Cannolo, une cantine sicilienne près du Felix Pakhuis avec, au menu, des arancini, des panelle (à la farine de pois chiches) et, bien sûr, une grande variété de cannoli sucrés. Dans le verre, pas mal de possibilités, mais on conseille les vins siciliens nature.
Si l'on souhaite prolonger la soirée avec ce genre de vins, on ira aussi chez Osaka, un bar branché, qui propose des croquettes au kimchi ou un carpaccio de poisson. Allez, tchin!