Jan Scheidtweiler s'attable à L'Assiette Champenoise, seul trois étoiles de la région de Reims devenu temple du luxe sous la houlette du chef Arnaud Lallement.
Même en France, un pays qui compte trente restaurants trois étoiles, L’Assiette Champenoise sort du lot. Depuis près de quarante ans, la famille Lallement occupe un prestigieux domaine à Tinqueux, à quatre kilomètres de la cathédrale de Reims. En franchissant le portail en fer forgé, on aperçoit sur la grille les initiales de Jean-Pierre Lallement, le chef qui, en 1986, avec son épouse Colette, a transféré L’Assiette Champenoise de Châlons-sur-Vesle dans ce cadre somptueux. Au bout de l’allée, sous un majestueux auvent, un voiturier nous reçoit, relayé par une hôtesse qui, par un dédale de salons, nous guide jusqu’à la terrasse couverte avec vue sur le parc: on est clairement dans une grande maison.
Le chef maîtrise l’art de créer une explosion de saveurs avec des ingrédients simples.
Même si Jean-Pierre Lallement est décédé en 2002, à 51 ans, la famille reste omniprésente. Son fils, Arnaud Lallement, officie en cuisine depuis 1996. En 2001, il a reconquis l’étoile Michelin perdue par la maison sept ans plus tôt. Ensuite, en hommage à son père, il s’est lancé dans "la quête de l’impossible étoile". Et en 2014, c’est le doublé: Michelin lui attribue trois étoiles et le Gault&Millau le sacre Chef de l’Année. La famille a transformé l’hôtel du domaine pour en faire une adresse de luxe offrant des suites, du champagne Krug et une piscine couverte.
Explosion de saveurs
Parlons de la table. Au fil de ses nombreuses interviews, Arnaud Lallement souligne l’importance de sa devise, "Mangez vrai!". Le chef privilégie une cuisine centrée sur la qualité des produits, loin des effets visuels et des prouesses techniques. Une promesse alléchante, bien que l’apéritif et ses amuse-bouche déçoivent, malgré la coupe de champagne Grand Cru de Pertois-Lebrun (23 euros) et la vue sur le parc. En effet, ces cinq déclinaisons d’un même biscuit avec différentes garnitures – fromage, rillettes de poisson – dont seules la version à la crème de champignons et la tartelette à la laitue de mer marquent les papilles.
Ce n’est qu’une fois à table que commence l’enchantement. Avec une préparation intense de betterave rouge – cuite et servie dans un jus de betterave – et un remarquable assaisonnement aux graines de carvi, le chef montre comment créer une explosion de saveurs à partir d’ingrédients simples. Voilà ce que signifie ce "Mangez vrai!".
Affaire de famille
La salle à manger de L’Assiette est aussi somptueuse que le reste de l’établissement. Installé dans un fauteuil pivotant, face à une grande table élégamment nappée, on aperçoit un lustre en cristal, des colonnes en bois naturel et des murs capitonnés de cuir blanc. Inutile de chercher à compter le nombreux personnel en salle, en costume sombre impeccable. Le chef est absent, mais lors du service du déjeuner, on aperçoit sa mère Colette, sa sœur Mélanie et son beau-frère, rappelant que L’Assiette reste une affaire de famille.
Comme on peut s’y attendre, les prix à la carte sont élevés: la langoustine royale, un des plats emblématiques d’Arnaud Lallement, est proposée à 145 euros et le turbot sauce au vin jaune, autre plat signature, à 150 euros. Et les menus? Ils confirment on ne peut plus clairement que nous nous trouvons dans un restaurant trois étoiles. Pour le menu à la truffe blanche (six services), il faut compter 535 euros et le menu mêlant créations et classiques revient à 395 euros.
"Hommage à mon papa"
Pour limiter l’envol de l’addition, on peut opter pour un menu, six services, à 295 euros. Celui-ci s’ouvre sur trois superbes déclinaisons de la coquille Saint-Jacques: un carpaccio d’une fraîcheur incomparable, une coquille juste saisie accompagnée de chou et de beurre noisette et une préparation originale associant œufs de poisson et crevettes séchées dans une interprétation de la sauce XO, une sauce umami épicée originaire de Hong Kong.
Suit un maquereau délicatement cuit, également sublimé par des garnitures aux accents asiatiques: un kimchi doux et du tosazu, un vinaigre de riz mélangé à de la sauce soja et du dashi. Ce plat est une création de Brice Lallement, le fils d’Arnaud. Le chef serait-il déjà en train de préparer la relève?
Un filet de saint-pierre agrémenté de fines lamelles de cèpe révèle une autre caractéristique du chef: outre son talent pour sublimer les produits d’exception, Lallement accorde une attention particulière aux sauces. Ici, il en propose même deux: une sauce iodée avec des morceaux d’huître au fond de l’assiette ainsi qu’une petite saucière en argent de sauce rafraîchissante et onctueuse au persil. Une autre saucière, contenant un jus des têtes, accompagne le homard "hommage à mon papa", un classique de son père que le chef revisite en plat contemporain, avec un morceau de chips de crevette pour remplacer les pommes château des années 1980. Le chevreuil, accompagné de panais et de potiron, le tout enveloppé dans une pâte feuilletée, est également servi avec un jus raffiné.
Déjeuner à l’Assiette Champenoise est une expérience gustative unique, orchestrée par un chef au caractère affirmé, mêlant harmonieusement tradition française et notes asiatiques. La formidable carte des vins, le décor accueillant et l’ambiance familiale rendent ce moment à table absolument mémorable.
Cette enseigne a fait l’objet d’une visite anonyme, financée par Sabato.
L’Assiette Champenoise
40 Avenue Paul Vaillant-Couturier, 51430 Tinqueux (Reims), France
Tél. +33/3.26.84.64.64
assiettechampenoise.com
Fermé le mardi et le mercredi
Décibels
64 dB, ce qui est un niveau sonore agréable.
Addition
346 euros par personne (295 euros les plats, 51 euros les boissons).
Sommelier
La carte des vins compte 3.000 références, dont 1.000 de Champagne. Elle est si longue que les sommeliers l’ont numérisée sur une tablette. Douze beaux vins au verre: de 16 (Argile Blanc du Domaine des Ardoisières de Savoie) à 59 euros (Château La Lagune).
On y retourne?
Cette adresse n’est peut-être pas une destination de voyage gastronomique, mais l’expérience vaut le détour: j’espère avoir l’occasion d’y revenir un jour.