Entretien avec Marc Leloup et Linda Van den Bulck, de l’entreprise Belgische Saffraan à Morkhoven, à propos des compliments du chef, de vers drainants et d’outils magnétiques.
Comment faites-vous?
"Notre culture de safran belge est un travail entièrement manuel. Notre champ à Morkhoven, près de Herentals, se couvre de fleurs violettes à la mi-septembre. Cependant, cette année, la récolte a eu lieu avec plus d’un mois de retard: en 13 ans de culture du safran, c’est la première fois que cela arrive! Nous ne paniquons jamais: nous nous adaptons à la situation", explique Marc Leloup. "Tout dépend de la température et des précipitations. Le safran n’aime pas l’excès d’eau, mais il apprécie les grandes variations de température entre le jour et la nuit."
"La récolte d’octobre arrive sur le marché à la mi-décembre, juste à temps pour les fêtes."
Qu’est-ce qui fait votre journée?
"Lorsque, en pleine récolte, nous parvenons à cueillir environ 1.200 fleurs par heure. 170 fleurs donnent 1 gramme de safran. Chaque jour, nous devons cueillir toutes les fleurs écloses, car le lendemain matin, de nouvelles sont déjà prêtes", explique Linda Van den Bulck. "En 2015, notre meilleure année, nous avons cueilli 22.000 fleurs par jour. Un travail colossal, qui nous a obligés, nous et nos enfants, à travailler de nuit. Tous ces efforts ont permis de récolter 1 kilo de safran en tout, un record annuel que nous n’avons plus jamais réussi à égaler depuis."
"Pour chaque heure de cueillette, il faut compter quatre heures de travail en atelier. Nous commençons par ouvrir les petites fleurs violettes, puis nous en extrayons les pistils. Ceux-ci sont ensuite pesés et divisés en lots de 10 grammes. Dans le four que nous avons nous-mêmes construit, nous faisons sécher les pistils jusqu’à ce que 80% de leur humidité soit éliminée. La petite quantité d’humidité restante est essentielle pour la maturation des filaments de safran, un processus qui influence leur saveur, leur couleur et leur parfum. La récolte d’octobre est commercialisée à la mi-décembre, juste à temps pour les fêtes."
Un petit déjeuner au safran
Une cinquantaine de recettes mettant le safran à l’honneur ont été élaborées par Linda Van den Bulck en collaboration avec plusieurs chefs, avec lesquels elle travaille. "Le safran est un exhausteur de goût qui intensifie les saveurs et parfume les plats. C’est un ingrédient classique dans un tajine, un risotto alla milanese ou un riz au lait, mais une pointe de safran sublime n’importe quel dessert lacté: nous préparons également du ‘saffroncello’, une variante du limoncello fraîche et acidulée au safran", poursuit-elle. "Les clients de notre B&B peuvent choisir un petit déjeuner au safran. Je prépare du pain au safran ou j’associe du fromage de chèvre au sirop de safran."
À la ferme, Belgische Saffraan organise des visites guidées, des teambuildings et des événements d’entreprise à caractère gastronomique.
Comment faites-vous la différence?
"Nous n’avons qu’un hectare et demi de terrain, mais nous misons sur la qualité et la durabilité. Nous ne voulons pas d’un produit de masse: notre priorité est la qualité", affirme Van den Bulck. "Nos pistils de safran mesurent quatre centimètres de long, contre 3 seulement pour ceux du Moyen-Orient. Notre safran est vendu 35 euros le gramme, alors que là-bas, le prix se situe entre 15 et 25 euros. La différence réside dans la saveur, qui est influencée par le terroir, la méthode de récolte et le temps de séchage. Notre safran offre une saveur plus florale et plus fruitée; celui du Moyen-Orient est plus poivré en raison de la chaleur intense et du faible niveau de précipitations. Là-bas, le safran est séché au soleil; chez nous, le séchage se produit de manière contrôlée, dans un four qui surveille constamment le taux d’humidité. De plus, nous n’utilisons que la partie rouge foncé du pistil, sans la tige blanche, qui est plus amère. C’est comme pour le vin: un même cépage blanc produira un vin totalement différent dans les Pyrénées et dans les Vosges."
De quoi faites-vous une affaire?
"Je travaille jour et nuit à la qualité du sol", déclare Leloup. "Nous appliquons les principes de l’agriculture biologique et enrichissons la biodiversité du sol avec des matières organiques. Les vers et micro-organismes améliorent le sol de manière naturelle. Si vous utilisez des engrais chimiques, vous obtiendrez une bonne récolte la première année, mais plus la suivante, car cela perturbe l’équilibre. Nous n’avons pas besoin de drainer le sol: les vers s’en chargent en creusant des canaux. Je n’utilise pas non plus d’outils de jardinage en fer. Le sol contient des minéraux comme le fer et je ne veux pas les magnétiser par frottement, car les micro-organismes présents n’aiment pas cela. Après tout, personne n’aimerait vivre sous une ligne à haute tension, non?"
Qu’est-ce qui fait votre fierté?
"Bien que nous vendions principalement aux particuliers, ce sont les chefs qui sont nos références", explique Van den Bulck. "Seppe Nobels a été le premier à utiliser notre safran dans son restaurant Graanmarkt 13. Nous entretenons également d’excellentes relations avec Nicolas Decloedt et Caroline Baerten, de Humus & Hortense à Bruxelles, le premier restaurant vegan de Belgique à avoir décroché une étoile Michelin. Son menu 12 services offre toujours un bouillon au safran. Le chef Wouter Keersmaekers, du restaurant De Schone van Boskoop, a un jour déclaré: ‘Je travaille avec du safran depuis des années, mais je n’ai jamais rien goûté de tel.’ Notre produit est peut-être légèrement plus cher, mais les chefs savent désormais qu’ils doivent en utiliser beaucoup moins pour obtenir le même effet gustatif. Le chef néerlandais Leon Mazairac, du Restaurant Karel V à Utrecht, a même expliqué qu’un demi-gramme lui suffisait pour son sorbet à l’orange sanguine au lieu de 2 grammes de safran importé."
Avez-vous le sentiment d’avoir réussi?
"Nous avons eu énormément de chance. Quand nous vivions encore à Borgerhout, Marc a été victime d’un infarctus. La pollution aux particules fines et le bruit y étaient pour beaucoup, c’est pourquoi nous avons décidé de nous installer à la campagne. Nous avons acheté une maison avec un bout de terrain, sans savoir ce que nous en ferions. Lors d’un voyage en Bretagne, nous avons rencontré par hasard une psychologue qui avait quitté son métier pour se lancer dans la culture du safran. Marc et moi n’avions aucune expérience en horticulture ni en agriculture, mais son histoire nous a intrigués. Il s’est avéré que notre parcelle avait un sol sablonneux et très bien drainé. Nous avons commencé à titre expérimental avec environ mille bulbes. La récolte a été bonne et, dès 2013, nous avons décidé de nous professionnaliser. Aujourd’hui, c’est devenu notre activité principale, avec le B&B que nous exploitons ici."