Une mort plus douce, un goût plus savoureux.
Le pont d’un bateau de pêche ressemble à un charnier. Dès que la prise est à bord, son agonie commence: le poisson meurt par asphyxie. Pour un hareng, cela dure en moyenne une demi-heure; pour une sole, cela peut aller jusqu’à quatre heures jusqu’à ce que mort s’en suive. Au Japon, depuis le XVIIIe siècle, les pêcheurs utilisent pourtant une tout autre technique, qui épargne au poisson cette mort lente, moins pour des raisons éthiques que par souci de qualité. Car, oui, le pays du soleil levant est aussi le pays qui a appris au monde à manger du poisson cru.
Cette technique s’appelle ikejime (ou ikijime). Comment ça marche? Le pêcheur commence par introduire un fin stylet ultra aiguisé au-dessus de l’œil du poisson, ce qui entraîne directement sa mort cérébrale. Ensuite, il introduit une longue tige flexible, parfois d’à peine un millimètre de diamètre, dans la colonne vertébrale via une incision. En quelques gestes précis, le pêcheur détruit la moelle épinière, après quoi il laisse le poisson se vider de son sang dans un bain de glace.
Comme on le fait pour la viande, le poisson tué par ikejime est maturé, ce qui donne des saveurs complexes regorgeant d’umami.
Il ne fait aucun doute qu’un poisson dont l’agonie est aussi courte que possible est plus savoureux. Comme le stress causé par l’agonie est évité, sa chair contient moins de substances comme le cortisol, l’adrénaline et l’acide lactique, cela améliore ainsi le goût et la texture. Et moins de sang également, pour une qualité également accrue.
De plus, les chefs japonais ne travaillent pas directement les poissons tués par ikejime: comme pour la viande, ils laissent certaines espèces maturer quelques jours sur glace, rendant leur chair plus tendre. Ce laps de temps permet aux enzymes de transformer les graisses et les protéines en saveurs plus complexes regorgeant d’umami.
Les pêcheurs occidentaux quant à eux sont de plus en plus convaincus des qualités de l’ikejime. Le chef français David Martin, fan du Japon et chef du restaurant La Paix à Anderlecht, fait figure de pionnier: "Je me fournis chez des pêcheurs bretons qui pratiquent l’ikejime et je laisse le poisson maturer pour obtenir une chair plus fine."
Willem Hiele a également choisi l’ikejime, en collaboration avec des petits pêcheurs d’Ostende. "Lorsqu’ils reviennent, à 6 heures du matin, nous les attendons pour leur acheter la prise de la nuit. Ils me réservent leur toute dernière prise, le poisson le plus frais. En cuisine, nous le tuons en suivant la méthode de l’ikejime, puis nous le faisons maturer. C’est ainsi que commence le voyage vers des saveurs plus profondes."