Nicolas Misera travaillait déjà dans les établissements étoilés de Wout Bru, Hendrik Dierendonck et Sergio Herman. Il vient d’ouvrir son propre restaurant à Anvers.
C’est exactement ce qu’il fallait. Le chef souhaitait un petit établissement avec une cuisine ouverte. Un comptoir de huit places et une poignée de tables dans un cadre agréable et convivial. Chaque repas vu comme un tête-à-tête avec le chef. “C’était la ligne directrice de mon projet: je voulais pouvoir voir les clients, sentir leurs réactions, sonder l’atmosphère afin de me nourrir de l’humeur du moment.”
Rencontre avec le chef qui proposera chaque samedi une recette dans la nouvelle rubrique “À la Misera”.
Voilà ce qu’avait déclaré le chef avant de se maudire à la fin de la toute première journée: “Je dois parfois me forcer à ne pas rester toute la soirée aux fourneaux, dos à la salle. Même si cela a souvent été interprété à tort comme de l’arrogance, je suis extrêmement timide. Mais je m’y habitue, j’évolue dans mon rôle. Maintenant que j’ai un contact personnel avec les personnes devant lesquelles je cuisine, je m’amuse vraiment.”
Nicolas Misera ne peut ni ne veut se cacher plus longtemps. Son nom trône sur la devanture, il n’y a plus personne derrière qui se dissimuler pour encaisser les critiques ou, mieux, récolter les louanges. “On pourrait penser que je ressens plus de pression, mais c’est tout le contraire: je contrôle tout et c’est agréable. J’ai toujours été têtu, mais je peux enfin réellement faire mon truc à fond. Je n’ai de comptes à rendre à personne. Avant, je doutais de tout, mais depuis que nous avons commencé, mon stress s’est envolé.”
Avant que le chef ne sache ce qu’il inscrirait à la carte, la base était définie: la paix, l’harmonie et la chaleur. Un revirement pour le colérique qu’il avait été. “J’aurais pu m’enfermer en cuisine afin que personne ne m’entende fulminer. Si on veut créer un lieu où les clients viennent passer du bon temps, pourquoi devrait-on souffrir en cuisine? Je veux de la qualité et, surtout, de la qualité de vie: cuisiner pour vingt clients, alors que nous pourrions en accueillir trente. Le plus important, c’est que ma compagne Yasmin puisse passer avec nos enfants pour manger un bout avec moi avant le service du soir. C’est un nouveau départ. Aussi difficile que soit cette vie, car nous ne sommes bien souvent que deux en cuisine. Trouver du personnel reste le plus grand défi.”
Mission et transmission
Ceux qui souhaitent dîner chez “Misera” en octobre se retrouveront sur une liste d’attente, conséquence du buzz qui a précédé l’ouverture de l’établissement, lié aux galons acquis par le chef dans les établissements étoilés de Wout Bru, Hendrik Dierendonck et Sergio Herman. Cependant, sa formation a commencé beaucoup plus tôt. Lorsqu’il avait quatre ou cinq ans, il passait ses week-ends en cuisine avec son père, le chef Hans Misera, qui voyait en Nicolas, le plus jeune de ses cinq enfants, son dernier espoir d’avoir un héritier derrière les fourneaux.
“Dès l’enfance, j’ai passé des heures avec mon père en cuisine, à observer assis sur le vaisselier. Il me faisait goûter beaucoup de choses. Ce n’est que plus tard que j’ai réalisé qu’il cherchait à faire de moi un cuisinier.”
“J’ai beaucoup de respect pour les chefs qui préparent de longs menus dégustation, mais je préfère me conformer très humblement à ce que souhaitent les gens. Je voudrais servir ici une cuisine raffinée dans une ambiance relax.”Nicolas Misera
Hans Misera s’est taillé une solide réputation bien avant la naissance de Nicolas: en 1969, il a 21 ans quand il devient le plus jeune chef arborant une étoile Michelin pour L’Huîtrière à Blankenberge. La suite? Une vie comme un roman: l’excentrique Hans Misera devient le chef préféré de la jet-set dans les années 70 et 80, gagne une fortune et perd plus encore. Les souvenirs de cette vie de folie sont dans des boîtes en carton remplies de menus, notes, recettes et photos. Et une affiche de 1984 qui raconte un haut fait d’armes, quand il a voulu entrer dans le Livre Guinness des records en préparant la plus grande marmite de soupe de poisson du monde, ce qu’il a bel et bien fait. Seul hic: certains sponsors s’étaient retirés juste avant l’événement. “Des années plus tard, des huissiers venaient encore sonner à la porte. Mais il avait relevé le défi et la soupe était, paraît-il, fantastique. Il y a beaucoup d’histoires dingues comme celle-ci à raconter à son sujet. Quand mon père avait quelque chose en tête, il en faisait sa mission de le réaliser.”
S’il n’a pas encore publié de livre de cuisine, le plat le plus réputé de la carte est le “Hans Misera”, une brioche garnie de homard, de pieds de porc et de truffes. Une ode exubérante à son flamboyant paternel. Autre idée saugrenue: celui qui s’appelait Danneels s’était donné le pseudo d’artiste Misera quand, sans le sou, désabusé et épuisé, il avait fermé sa cuisine pour se réinventer en tant qu’artiste conceptuel.
Au décès de son père, en 2015, Nicolas reprend ce pseudo, qui, dans une gracieuse écriture manuscrite, est aussi devenu le logo de son restaurant. “Misera me fait penser à “miserere”, à la compassion, à l’empathie. De belles valeurs à transmettre. Maintenant, je me rends compte de son héritage: sa silhouette imposante, son visage rouge en sueur, ses longs cheveux en bataille, ses bras deux fois plus épais que les miens... Il y avait chez lui quelque chose de brut, mais il créait les saveurs les plus subtiles. Pour accompagner le homard, il préparait une sauce au champagne que personne ne parviendra jamais à imiter. Même si nous n’avons jamais vraiment travaillé ensemble, il m’a beaucoup appris. J’aime l’idée de transmettre sa passion à la génération suivante. Récemment, des amis de mon père sont venus dîner ici et c’était très émouvant.”
Sous l’épaule de Sergio Herman
L’envie de faire ses preuves est un puissant outil de motivation. Au départ, le jeune Nicolas travaille pour faire plaisir à son père. À 19 ans, il part en France, où il officie pendant quatre ans chez Wout Bru, en Provence. “J’avais le mal du pays, je me sentais seul. Le travail était extrêmement dur et je ne gagnais presque rien. Quand j’ai appelé mon père pour qu’il me réconforte et m’apporte une petite aide financière, il m’a répondu: “Tu n’es pas une mauviette. Arrête de te plaindre et travaille, bon sang!” Il ne m’a complimenté qu’une seule fois, et c’était une vraie scène de cinéma qui s’est déroulée sur son lit de mort. Comme j’avais participé au lancement du restaurant Carcasse d’Hendrik Dierendonck, à Coxyde, en tant que chef, où nous avons directement décroché un 13/20 au Gault & Millau, mon père m’a lancé: “J’ai toujours su que tu serais un bon chef”. C’est une des dernières choses qu’il m’ait dites. Il n’a pas vu la première étoile, en 2017.”
Autre scène de cinéma: aux funérailles de Hans Misera, Sergio Herman s’approche de Nicolas et lui dit: “À partir d’aujourd’hui, je vais m’occuper de toi”. Et il tient parole: quand il ouvre AIRrepublic, à Cadzand, il vient le chercher chez Carcasse. “Lorsque j’étais enfant, nous allions manger avec toute la famille à l’Oud Sluis où Sergio, alors tout jeune, travaillait avec son père. Il y a toujours eu un lien très fort entre nous.”
Sur Instagram, Sergio Herman lui souhaite bonne chance pour l’ouverture de son restaurant. “Je pense que Sergio comprend qu’après cinq ans, je voulais voler de mes propres ailes. Le rythme d’AIRrepublic est infernal, et je voulais faire mon propre truc”, avoue Nicolas Misera. Il s’installe aussi à Anvers, où il avait trouvé l’amour. “Tout comme mon père, je suis un agité qui a besoin de faire table rase de temps en temps. J’ai une centaine de projets et d’idées en tête, mais je parviens à les canaliser parce que j’ai une vie de famille stable.”
Lentement mais sûrement
À propos de vie de famille: Rosa, un an et demi, est la grande sœur d’un petit Jean, né le 15 juillet, exactement un mois avant l’ouverture du nouvel établissement. Un timing parfait. En légende d’un post Instagram avec les deux hommes de sa vie dans le restaurant, Yasmin a écrit “nos 2 petits projets”. “J’ai reçu au moins autant de félicitations pour le bébé que pour le restaurant. C’est gratifiant, car il est agréable que l’on reconnaisse qu’il s’agit d’une œuvre commune, au sens plein du terme.” Bien que Yasmin ne remplisse pas le rôle classique de l’hôtesse, c’est elle qui a aménagé les lieux avec son sens du style et son amour (ou plutôt, sa passion) pour la Chine.
“Nous avions visité cet endroit juste avant l’été. À l’époque, c’était un bloc de béton dans le nouveau quartier sans âme de Nieuw-Zuid et il fallait beaucoup d’imagination pour y voir un restaurant convivial. Le feu n’était pas encore allumé et il n’y avait pas encore les rideaux avec lesquels le vent joue si joliment quand les grandes fenêtres sont ouvertes. Ni les anciens chandeliers en argent posés sur le comptoir, où la cire des bougies coule en gouttes épaisses pour former une nouvelle sculpture. Et l’œuvre en métal rouge vif signée par Misera senior ne trônait pas encore sur l’appui de fenêtre. La moitié de notre vaisselle se trouve ici. Notre maison semble avoir été pillée, mais c’est tellement beau de voir comme tout s’assemble!”, s’exclame Yasmin.
“Nous avons commencé lentement mais sûrement”, poursuit Nicolas. “Tapis dans l’ombre, sans le crier sur tous les toits. Pas d’agence de presse, pas de promo: nous voulions que ça reste un peu mystérieux. Mon souhait, c’est que cela devienne un endroit agréable et accueillant.”
Cette liberté, la carte aussi doit l’offrir. Aussi complexe que cela puisse être pour le fonctionnement de la cuisine, tout est à la carte: “J’ai beaucoup de respect pour les chefs qui préparent de longs menus dégustation, mais je préfère me conformer très humblement à ce que souhaitent les gens. Je reçois ici aussi bien des clients qui optent pour un dîner très élaboré que ceux qui préfèrent se contenter d’un plat principal et d’un dessert: tous ces souhaits et envies sont les bienvenus.”
“Je voudrais proposer une cuisine raffinée dans une ambiance relax. Nous visons le haut du panier: un plat principal revient à environ cinquante euros minimum, car les produits haut de gamme sont chers. J’aime travailler le homard, les langoustines, la truffe et le caviar. S’il y a du poulet, ce sera le meilleur poulet fermier du Pays basque, avec une bonne sauce et une montagne de truffe. J’aime qu’il y ait un peu d’excès, comme servir des madeleines fraîches et une tarte au citron avec le café. C’est du luxe, d’accord, mais un doux luxe. Mon ambition, c’est servir de la bonne nourriture, très simple, mais juste parfaite.”
Restaurant Misera – À la Vie d’Artiste, Michel de Braeystraat 18, 2000 Anvers.