La marche est le nouveau yoga. La randonnée en forêt est la version noble de la marche. L’observation des oiseaux est l’immersion totale dans la forêt. Nouveau venu sur cette liste de nos envies: la cueillette sauvage, ou l’art de trouver sa nourriture dans la nature. Nous avons suivi l’exemple des chefs et libéré notre Rambo intérieur.
La nature est tendance. J’ai ressorti mes vieilles bottines du grenier, mis tous mes sens en éveil pour un bain de forêt et j’ai épié les étourneaux sauvages pendant des heures -et tout cela, au nom du journalisme. Et me voilà ici, les pieds dans la boue, de la terre sous les ongles et mon sécateur dans les orties. “Merveilleusement relaxant, n’est-ce pas?” Plus loin, Kiki Nardiz, herboriste et guide de ma cueillette d’aujourd’hui, fourrage avec bonheur dans une touffe de plantain. Nous avons de la chance: c’est le premier de la saison.
“Le plantain est mon herbe préférée. Les feuilles ont un goût salin et ont plein de vertus médicinales.” Nardiz m’en tend un brin. “Goûtez-le, faites comme nos ancêtres!” Jamais je n’aurais cru mâcher du plantain. Arracher les mauvaises herbes et préparer de la soupe avec cette plante sur un feu ouvert, cela me fait plus penser aux bouillonnantes marmites de sorcières qu’à un mets délicieux.
Jusqu’au jour où l’on découvre à quel point la cueillette sauvage est répandue. Un des pionniers de cette tendance est le chef danois René Redzepi du Noma, ex-‘meilleur restaurant du monde’, dont le menu regorgeant de saveurs forestières a fait la réputation. Non seulement le chef part régulièrement à la cueillette dans les forêts danoises, mais il appelle aussi ses compatriotes à jouer les ramasseurs-cueilleurs.
À cette fin, il a lancé l’application Vild Mad (‘nourriture sauvage’), une sorte de Pokemon Go pour plantes comestibles. “La cueillette de plantes sauvages est au cœur de la philosophie du Noma”, expliquait-il à l’époque. “C’est un excellent moyen de se reconnecter avec la nature locale, de comprendre d’où vient notre nourriture et de découvrir des saveurs nouvelles et surprenantes.”
Comme des champignons
Un manifeste bucolique qui n’échappe pas aux chefs belges. Très vite, Kobe Desramaults fait figure de Redzepi national, avec les champs de Dranouter en guise de forêt danoise. Du jour au lendemain, son restaurant ‘In de Wulf’ passe à des aliments purement locaux, en partie récoltés par le chef lui-même.
Une équipe belge composée de Nick Bril (The Jane), Michaël Vrijmoed, Tim Boury (Boury Restaurant) et Marcelo Ballardin (Oak) décrochent également la deuxième place au Native Cooking Award en 2016, pour lequel de grands chefs sont lâchés dans la nature avec pour mission de servir un repas préparé dans une cuisine de campagne avec leur cueillette.
L’année dernière, Pascale Naessens a organisé un atelier de cueillette sauvage lors de l’événement ‘Pascale & Friends’. Jamie Oliver prêche cette bonne parole, et avec succès: des experts estiment que jamais on n’avait cueilli autant de plantes, de baies et de champignons au Royaume-Uni qu’à l’automne dernier.
Chez nous également, plusieurs gardes forestiers ont fait état d’une prolifération de cueilleurs de plantes sauvages, malgré une ‘funghi fobia’ (la phobie des champignons vénéneux), bien ancrée dans nos contrées.
Les éditeurs suivent: un nombre record de livres ont été publiés l’année dernière sur le sujet. Les boutiques de cadeaux ne sont pas en reste: elles regorgent de carnets de notes pour cueilleurs de plantes sauvages. Et sur Instagram? Vérifiez vous-même: la croissance exponentielle des hashtags #wildfoodlove et #mushroomhunting est claire et nette.
“Les gens sont attirés par le sentiment de liberté et d’indépendance, le retour aux sources que donne la cueillette en forêt”, commente Ben Brumagne, le fondateur de ‘Forest To Plate’. “L’aspect mystérieux est également séduisant: est-il vraiment possible de ramasser un repas complet dans son propre jardin, sans le savoir?” Avec l’organisation ‘Wild Food Weekends’, Ben Brumagne a été l’un des précurseurs en Belgique, il y a trois ans.
Depuis, il organise une vingtaine de week-ends de cueillette par an, toujours à réserver longtemps à l’avance. “Dès que l’on quitte les villes, on rencontre des autochtones qui pratiquent la cueillette sauvage, même en France, en Espagne ou en Europe de l’Est. Chez nous, ce savoir s’est réduit à chaque génération. Et là, tout à coup, nous restaurons cette tradition.” L’appel de la nature sans doute...
Les week-ends de ‘Forest To Plate’ sont principalement axés sur les secrets culinaires des aliments sauvages, étape suivante du mouvement ‘Farm To Table’. Ben Brumagne organise régulièrement des excursions avec des chefs qui, ensuite, concoctent un menu quasi gastronomique avec la récolte du jour. “La cueillette sauvage s’inscrit dans le droit fil des tendances food actuelles, comme l’alimentation végétale, locale, bio, fermentée, non transformée et sans déchets.” De plus, la nature recèle de nombreuses saveurs oubliées.
“Il existe sur cette planète plus de 20.000 plantes comestibles, dont seulement 200 sont consommées couramment. En outre, la sélection des cultures agricoles est principalement axée sur les variétés aux saveurs douces. Les saveurs plus complexes, amères, piquantes ou acides, fréquentes chez les plantes sauvages, sont éliminées.”
Cueillette de fruits
Ma cueillette porte également ses fruits (au sens propre du terme): salade fraîche de pissenlit, mouron blanc, ficaire, plantain et mélisse officinale. Avec une carotte ancienne et une sauce à l’ail des ours, c’est un repas complet, au goût loin d’être aussi ‘terreux’ que je ne le craignais. “Toutes ces plantes sont intéressantes au niveau gustatif, mais elles sont aussi excellentes pour la santé”, explique Kiki Nardiz. “Les premiers hommes avaient de meilleures dents, un corps plus fort et un esprit plus équilibré. je pense que c’est parce qu’ils absorbaient des nutriments nettement plus variés.”
Le mois dernier, l’herboriste a publié, avec son compagnon Bert Poffé, le livre ‘Rewilding: herontdek je natuurinstinct’ (Rewilding: redécouvrez votre instinct naturel NDLR), consacré au modèle du chasseur-cueilleur. Pour eux, la cueillette sauvage n’est pas juste une variante: elle s’inscrit dans un plan de prévention complet contre le stress, le burn-out et la dépression.
“Nous vivons dans une course perpétuelle, qui va de pair avec une foule de maladies liées à l’abondance. La cueillette sauvage est axée sur la déconnexion totale. Cela va beaucoup plus loin qu’une promenade dans les bois: on entre en interaction avec la forêt. On entend les animaux, on hume les mousses, on sent la texture des feuilles, on admire les couleurs changeantes... Pour ceux qui pratiquent la cueillette pour la première fois, c’est étonnant.”
La meilleure preuve vient de l’écrivaine norvégienne d’origine malaisienne Long Litt Woon, qui, dans son poème ‘The Way Through The Woods’, décrit comment les plaisirs sensuels de la cueillette des champignons l’ont aidée à surmonter la mort de son époux. Poffé et Nardiz, ainsi que des ‘bushcrafters’ comme Mike De Roover font de la cueillette de champignons sauvages un outil de coaching mental. “Les réactions sont parfois violentes”, explique Poffé. “Beaucoup réalisent à quel point la nature leur manque.”
Armée de cueilleurs
Mon expérience personnelle de la cueillette n’est pas encore aussi complète. Même si après mon manque de pratique initial, je suis bien lancée: je grignote une marguerite, goûte un pissenlit et déguste une tisane d’aiguilles de pin, bourrées de vitamine C paraît-il. Une petite révélation: je découvre que presque toute la forêt pourrait être comestible. Et ce, alors que nous ne nous trouvons même pas au fin fond des Ardennes, mais dans une modeste réserve naturelle près de Louvain.
“Même dans certains quartiers de Bruxelles, il n’est pas difficile de trouver une cinquantaine de plantes sauvages comestibles dans un rayon de 200 mètres”, affirme Ben Brumagne. Autrement dit, il n’est pas nécessaire d’emménager dans une cabane (avec les sept nains) pour pratiquer la cueillette, au contraire: le ‘urban foraging’ fait parfaitement l’affaire.
Des exemples? En plein cœur de Londres, on peut participer aux ‘plant journeys’ de Robin Harford (BBC), entre les voies ferrées et les parcs canins. Steve Brill organise des ‘urban foraging tours’ au centre de Manhattan. Et à San Francisco, on peut partir à la recherche de baies et de champignons avec ForageSF. “Attention à la pollution”, prévient Brumagne.
“Il faut veiller à bien nettoyer les plantes pour l’éliminer avant de les consommer, et il n’y a pas de pesticides en ville. Le seul problème est que, si toute la ville s’y met, l’écosystème n’y survivrait pas. Heureusement, les itinéraires de cueillette et les forêts ‘alimentaires’ sont une bonne solution.”
Une fois de plus, le Danemark est un cas d’école. Copenhague vient de planter une série d’arbres fruitiers dans les rues afin que même les moineaux de ville puissent profiter de l’expérience que représente la nature sauvage. Une proposition similaire est également sur la table à Bruxelles et à Louvain.
“On entend de plus en plus parler d’écoles qui misent sur les parterres naturels, de politiciens qui prônent les ronds-points sauvages et d’entrepreneurs qui achètent des hectares pour y planter des forêts alimentaires”, poursuit Brumagne. “En effet, cet approvisionnement alimentaire est plus durable que l’agriculture: il ne faut ni tracteur ni machines lourdes, et c’est local.”
Magic Mushrooms
Enfin, la réintroduction de la cueillette sauvage présente aussi des avantages en dehors de la cuisine. Les plantes médicinales ont fait l’objet de nombreux grimoires qui, aujourd’hui, sont à nouveau largement consultés par la médecine alternative. Même le secteur de la cosmétique adore les plantes sauvages: l’entreprise américaine Moon Juice a conçu toute une ligne de produits de soin aux champignons, disponible sur Goop, la boutique en ligne de Gwyneth Paltrow.
En effet, beaucoup de champignons regorgent d’antioxydants qui aideraient à lutter contre le vieillissement, à réduire les pores dilatés et à booster l’immunité -il suffit de penser au célèbre masque aux shiitakes de Kim Kardashian.
Kiki Nardiz me donne un flacon de shampooing maison, fabriqué à base de mes orties fraîchement cueillies. “L’ortie contient du fer et des protéines: tout ce qu’il faut pour faire un bon shampooing.” Sa recette contient également un œuf, de l’argile naturelle et un peu de jus de citron, pour réguler le pH.
“Je sais exactement ce qu’il y a dans mes flacons et sur quel résultat je peux compter. En ayant une confiance aveugle dans les produits de supermarché, nous renonçons à notre liberté. La cueillette, c’est une prise de conscience, c’est retrouver le contact avec la nature.”
Pour Ben Brumagne également, la transmission du savoir représente l’objectif principal. “Pour moi, le plus beau cadeau de ces ateliers, c’est la prise de conscience croissante. Si nous regardons à nouveau la nature, nous la protégerons mieux. À mon sens, il s’agit avant tout d’ouvrir les yeux. Ainsi, je pourrai monter une armée de cueilleurs!”
Danger
Agenda de Cueillette Calendrier de cueillette sauvage : aperçu des aliments sauvages les plus courants, par mois. Wildplukwijzer: carte détaillée des différents lieux de cueillette en Belgique et aux Pays-Bas, par espèce végétale. Forest To Plate: Wild Food Weekend les 14/4, 17/4 , 12/6, 19/6, 26/6, 3/7 et 31/7 à Vireux-Molhain (juste de l’autre côté de la frontière française) et le 8/5 à Lubbeek, Wild chefs Weekend 24/4 à Vireux-Molhain, Wild Plant Walk les 26/4, 3/5, 10/5 et 17/5 à Meise. L’herboriste Kiki Nardiz et le Rewilding Lifestyle coach Bert Poffé (www.rewildingdrum.com): atelier beauté sauvage les 15/3, 9/4, 7/5 et 14/6 à Louvain, atelier manger comme les chasseurs-cueilleurs les 22/3 et 26/5 à Louvain. Bushcrafter Mike De Roover (www.rewilding.be): ateliers cueillette sauvage les 30/3 et 24/4 à Réthy. Forage-workshops Robin Harford (www.foragingcourses.com): voir le site Web pour l’offre complète à Londres.
Pour faire partie de cette armée de cueilleurs de plantes sauvages, il faut d’abord aller se former dans une caserne ou, du moins, être dirigé par un bon maréchal. En effet, si de nombreuses plantes sont comestibles, beaucoup plus encore ne le sont absolument pas. L’année dernière, le Centre Antipoison a reçu un nombre record d’appels suite à la consommation de champignons, sans doute liée à cette mode de la cueillette à l’arrache.
C’est notamment à cause de ce danger que la cueillette sauvage est loin d’être autorisée partout. Ainsi, les forêts de Bruxelles sont protégées par une législation stricte: dans la forêt de Soignes, par exemple, les cueilleurs de plantes sauvages sont confrontés à une interdiction.
Même chose en Flandre, alors que la Wallonie est un véritable Eldorado pour les cueilleurs, qui peuvent remplir un seau de 10 litres de plantes, fruits et champignons pour leur usage personnel. “Vérifiez les règles pour chaque zone avant de commencer à cueillir”, conseille Ben Brumagne. “De plus, en tant que débutant, il est recommandé de commencer par beaucoup observer, sentir et toucher, pour éviter des surprises non désirées.” Bref, ne vous lancez pas tête baissée dans la cueillette sauvage!