L’Ostendais Paco Velghe chine les objets culinaires pour aménager les projets d'entrepreneurs dans la restauration. Il dévoile pour la première fois sa collection, qui compte 7.000 livres de cuisine.
"J’ai passé une semaine à nettoyer les vitrines et dépoussiérer ma collection", me confie Paco Velghe lors de mon arrivée chez lui, à Ostende. Avec son épouse Olivia Vanmoerkerke et leurs deux enfants, il vit dans l’ancien dépôt de la brasserie historique Deswaef. "Thématiser ma collection de livres de cuisine a également pris plus de temps que prévu", admet-il. Il possède 7.000 ouvrages, dont des livres de ménage datant du XIXe siècle, des livres de recettes sur les cuisines des grandes lignes transatlantiques ou des ouvrages de chefs comme Gaston Clément, Marco Pierre White, Willy Slawinksi et Paul Bocuse.
Velghe est un collectionneur d’objets porteurs d’une âme ancienne. Au premier coup d’œil dans son atelier, on devine l’orientation culinaire de sa collection: seaux à glace en argent, accessoires vintage pour cocktails, menus jaunis achetés à un ancien professeur d’école hôtelière, ancienne cuisinière Molteni avec rôtissoire.
Sa collection témoigne également de son lien avec Ostende et sa riche histoire. On y découvre une maquette XXL de l’estacade et, sur la table, de la porcelaine dorée de l’Hôtel de la Gare, un grand hôtel qui a cédé la place aux imposantes tours qui dominent le quartier de la gare.
"L’entrepreneur Mark Vanmoerkerke, m’a un jour fait parcourir des centaines de kilomètres à la recherche d’une série rare publiée en 1976 chez Robert Laffont, ‘Les recettes originales’."Paco Velghe
Goût musical légendaire
C’est également à Ostende qu’il faut chercher la source de la collectionnite de Velghe. Et plus précisément au Lafayette, le café légendaire qu’il a dirigé pendant des décennies et qui comptait des habitués célèbres comme Tom Barman et Arno Hintjens, qui parvenaient à illuminer même les journées les plus sombres. "Mon café devait dégager une atmosphère et un caractère particuliers, par la musique, mais aussi par son aménagement. Un intérieur branché plein de gadgets, ça devient vite lassant, non? En accrochant de vieilles affiches, photos et cartes postales, j’ai cherché à créer une atmosphère authentique."
Lorsque Velghe travaillait dans le monde de la nuit, il écumait les puces des Marolles à Bruxelles ou celles d’Anvers aux alentours de midi. "Je devais juste veiller à être de retour à Ostende pour 20 heures afin de passer de la musique jusqu’à la fermeture du café. Collectionner fait partie de mon ADN."
Au premier étage du Lafayette, Velghe organisait des soirées pour des personnes qui, selon lui, devaient se rencontrer. "Je demandais alors à un ami chef, souvent un ancien copain d’études, de concevoir un menu thématique pour cette assemblée hétéroclite. Moi, j’étais l’hôte: je dressais les tables avec de beaux couverts en argent et je préparais une playlist." Son goût musical est légendaire: les clients d’Ostende et d’ailleurs venaient au Lafayette pour des soirées soul, jazz, funk et reggae.
"L’entrepreneur Mark Vanmoerkerke, aujourd’hui disparu, était un habitué du Lafayette. Fervent collectionneur d’art, il m’a encouragé à enrichir ma collection. Un jour, il m’a fait parcourir des centaines de kilomètres à la recherche d’une série rare publiée en 1976 chez Robert Laffont, ‘Les recettes originales’. Elle présente les plats signatures de 20 chefs français légendaires, dont Michel Guérard, Pierre et Jean Troisgros, Roger Vergé et Alain Chapel. Quand je l’ai enfin trouvée, Mark me l’a offerte."
"Lors d’une soirée au Lafayette, j’avais également invité son fils et sa fille, Olivia; je ne pouvais pas imaginer qu’elle deviendrait mon épouse. Entre nous, le courant est tout de suite passé. Quand j’ai dit adieu à la vie nocturne libre et joyeuse, fonder une famille avec elle est devenu une priorité."
"Parfois je pars pendant deux ou trois jours pour démonter du mobilier horeca en marbre. On oublie vite ce travail physique quand on peut offrir une nouvelle vie à une pièce aussi unique."Paco Velghe
Thermae Palace & Co.
"Lorsque la famille Vanmoerkerke a repris le Thermae Palace en 2013, Mark m’a demandé si je pouvais l’aider à dénicher des meubles authentiques, des luminaires Art déco et des affiches Belle Époque pour redonner au lieu sa personnalité et son authenticité. À sa demande, j’ai installé un bar Art déco dans chaque chambre. Mes meubles de métiers, armoires et comptoirs en marbre proviennent principalement d’anciennes boulangeries ou de boucheries de Normandie. Grâce à mon réseau, je sais où il y a des fermetures et même si je communiquais ces noms à quelqu’un, il ne pourrait pas débarquer sans crier gare. Il faut des années pour établir une relation durable, mais une fois que c’est le cas, je pars pendant deux ou trois jours pour démonter du mobilier horeca en marbre. Cependant, on oublie vite ce travail physique quand on peut offrir une nouvelle vie à une pièce aussi unique."
"Alors que je sélectionnais des meubles pour Mark, j’ai ouvert l’Entrepôt dans la Madridstraat à Ostende. Il s’agissait en réalité d’un bar où j’abritais une partie de ma collection. Le public y était en contact physique avec mes trouvailles et pouvait également y acheter des artefacts. Aujourd’hui, l’Entrepôt abrite le restaurant Frenchette, dont j’ai conçu l’intérieur dans le même esprit, à la demande des propriétaires actuels."
Le sommelier ostendais Joachim Boudens, qui dirige Hertog Jan** avec le chef Gert De Mangeleer, adorait l’atmosphère de l’Entrepôt. "C’est pourquoi il m’a demandé si je pouvais contribuer au lancement de Bar Bulot* en fournissant des objets maritimes tels que bouées, nasses et cornes de brume. À partir de là, les choses ont commencé à bouger. Le chef étoilé Willem Hiele, qui était encore à Coxyde à l’époque et au mariage duquel j’étais DJ, m’a également demandé d’aménager sa brasserie en plein air, le Raphaël. Plus récemment, j’ai décoré le lounge bar de son restaurant, où les convives peuvent prendre un verre après le dîner."
Balthazar et pastis
Ne qualifiez pas Velghe d’architecte ou de designer d’intérieur. Il se considère plutôt comme un expert dans l’art de dénicher des objets rares et de leur rendre leur splendeur d’origine. "En ce moment, je rêve de trouver une presse à canard. En fait, j’éprouve plus de plaisir pendant mes heures de recherches que dans l’euphorie de la découverte. Et souvent, les négociations ne font que commencer. Il m’arrive aussi d’échanger un objet avec un autre collectionneur."
Cependant, Velghe délègue aussi la recherche de nouveaux trésors. Pendant notre entretien, il reçoit un appel: après le décès d’un collectionneur de livres de cuisine, la famille désirerait savoir s’il serait intéressé par une collection de livres de cuisine du XVIIIe siècle. "C’est lors d’un voyage à New York que j’ai réalisé qu’une activité axée sur ces objets de niche était viable. Ma visite chez Balthazar et Pastis, établissements du légendaire restaurateur Keith McNally, a été une révélation. Au-delà de l’offre culinaire, il était évident que l’aménagement intérieur, avec ses miroirs anciens et ses meubles de service, contribuait au succès de ces lieux. Depuis lors, je crois au pouvoir des meubles et objets pour créer de l’atmosphère. Mes clients investissent dans des pièces qui conservent leur valeur."
"Qu’y a-t-il de mieux que de s’asseoir à une table élégamment dressée dans un lieu où chaque détail, du parfum d’ambiance à la présentation, en passant par le son, est parfaitement orchestré?"Paco Velghe
La musique et la cuisine
Alors qu’avant, la collection de Velghe était stockée dans un entrepôt, elle est aujourd’hui exposée chez lui, dans un bâtiment rénové par Peter De Bruycker et Inge Debrock. Ce duo d’architectes a également conçu la résidence du chef et collectionneur Kristof Boxy à Knokke, et livrera De Garnaalmijn l’été prochain, un projet de l’entrepreneur Filip Jans à Ostende. "J’aime vivre avec ma collection", confie Velghe. "Elle raconte qui je suis et illustre bien mes valeurs."
"En écho à mes soirées au Lafayette, je souhaite relancer ces dîners dans notre sphère privée, qui réunit ma passion pour la musique et la cuisine. Une expérience totale dans un cadre artistique. Je n’exclus pas de commercialiser ces dîners un jour, mais ce n’est certainement pas pour tout de suite. Outre une bonne sonorisation, j’envisagerai peut-être d’installer un projecteur dans mon atelier. En effet, qu’y a-t-il de mieux que de s’asseoir à une table élégamment dressée dans un lieu où chaque détail, du parfum d’ambiance à la présentation, en passant par le son, est parfaitement orchestré? Et le meilleur reste souvent à venir."
Il faut bien reconnaître que les projets évoqués par Velghe semblent empreints d’une charmante insouciance. Je m’imagine déjà tranchant le feuilletage d’un bœuf Wellington parfaitement cuit pendant qu’il sélectionne le disque idéal pour le déguster.
Avant de quitter les lieux, je tombe sur un grand chariot en argent, une des pièces maîtresses de sa collection, qui était autrefois le chariot à desserts du Restaurant du Grand Cercle à Nice, déniché chez un antiquaire à Paris. Une crêpe Suzette pour ses convives?