"Nous avons déjà fumé du lait pour donner une touche à un cappuccino. Un croissant fumé au petit déjeuner, si cela vous dit, why not?", déclare la chef de 'De Superette' à Gand.
"Nous avons déjà fumé du lait pour donner une touche à un cappuccino. Un croissant fumé au petit déjeuner, si cela vous dit, why not?", déclare la chef de 'De Superette' à Gand.
© Diego Franssens

Les chefs remettent le fumage au goût du jour

Dans les grandes cuisines d'aujourd'hui, on s'adonne de nouveau au fumage. les chefs s'amusent à doter de notes fumées les légumes, les fromages, les huiles et même le chocolat. Au-delà de la simple technique de conservation, le fumage est devenu un exhausteur de saveurs. "Nous fumons même du lait."

Ces morceaux de poitrine de porc sont sur le gril depuis hier soir. Nous les avons déjà fait macérer dans un mélange d'épices, de sel et de sucre. Pour les fumer, il y a un mélange de charbon, de chêne et de cerisier avec quelques touffes de foin. Juste avant le lunch, nous allons activer le charbon, ce qui va faire caraméliser le sucre." Après avoir été second de cuisine chez In de Wulf, Rose Greene (29 ans) est devenue partenaire et chef chez De Superette, la boulangerie-restaurant de Kobe Desramaults à Gand. Lors de notre arrivée, l'Irlandaise disperse des cendres sur les braises, "Pour qu'elles aient moins d'oxygène et se consument plus lentement. Nous avons pré-humidifié le foin et fait tremper le bois une petite heure dans de l'eau afin qu'il brûle moins vite et fume davantage, ce qui augmente le transfert d'arômes." Plus loin, des panaches de fumée aromatisent depuis plusieurs jours une épaule de porc. Et du collier de boeuf mariné est prêt à se transformer en pastrami.

Technique séculaire
Nos arrière-grands-parents utilisaient le fumage pour conserver poissons et viandes, mais l'apparition du frigo a fait disparaître ce savoir-faire. Au restaurant In de Wulf, Kobe Desramaults et son équipe ont remis à l'honneur cette fonction d'origine du fumage en faisant eux-mêmes leur charcuterie. "Le pastrami par exemple, et le bacon que nous servons au petit déjeuner", explique Rose Greene. "Nous enduisons de la poitrine de porc fraîche avec un mélange de sel, de sucre, de sel nitrité et d'épices, ce qui en absorbe l'humidité. Après une ou deux semaines, en fonction du poids, nous lavons la viande et poursuivons le séchage dans un local ventilé, après quoi nous la fumons dans un fumoir. Ensuite, nous la mettons de nouveau à sécher pendant un mois dans une chambre froide à humidité contrôlée."

Publicité
Publicité

"Le fumage n'est qu'une partie du processus de conservation. Comme le saumurage, c'est une technique ancestrale antibactérienne. Aujourd'hui, c'est la saveur délicate qu'il donne aux produits qui compte, mais nous l'utilisons également pour ses qualités de conservant naturel. Nous saumurons, séchons et fumons des poissons, des coeurs de boeuf et d'agneau, des foies de poulet. Nous pouvons même les réduire en une poudre à la saveur intense que nous utilisons comme une épice. Il nous arrive de les utiliser un an après les avoir faites, quand nous avons presque oublié que nous les avions. Les légumes que nous fermentons sont dans le même registre culinaire."

"J'ai appris toutes ces techniques lors de ma formation en Culinary Arts à l'Université de Dublin et Kobe m'a donné l'occasion de mieux les maîtriser. On trouve aussi une foule d'informations dans les livres et sur Internet. Comme Kobe, je n'aime pas le gaspillage: par respect pour le travail des agriculteurs, nous tenons à tout utiliser et, pour ça, il faut être créatifs!"

Publicité
Outre la reconnaissance dans la maîtrise de la viance, le chef David Martin du restaurant La Paix, est réputé pour être “le king du fumage”.
Outre la reconnaissance dans la maîtrise de la viance, le chef David Martin du restaurant La Paix, est réputé pour être “le king du fumage”.
© Diego Franssens

Big Green Egg
De nombreux restaurants ont suivi le mouvement: de la mozzarella fumée dans une bonne pizzeria à l'entrée préparée avec du maquereau fumé minute au Hertog Jan, la technique du fumage sophistiqué fleurit un peu partout. "Quand j'avais huit ans, mon père avait un fumoir dans la cuisine pour fumer à froid", explique Filip Claeys, propriétaire et chef doublement étoilé du restaurant De Jonkman à Bruges. "Un morceau de poisson fumé ou un pied de porc fumé me ramènent à mon enfance. Quand je travaillais au restaurant De Karmeliet, nous fumions du bar ou du maquereau avec des copeaux de bois qu'il fallait mettre sur le feu. J'ai toujours utilisé le fumage dans mon restaurant, mais maintenant, il y en a dans presque toutes les cuisines. Je pense que c'est lié au Big Green Egg, un barbecue en céramique qui a contribué au retour en grâce des saveurs grillées et des notes fumées."

Le retour aux techniques ancestrales et la tendance du barbecue vont de pair avec celle du fumage. "Dans plusieurs régions des États-Unis (Texas, Oklahoma et Kansas), le barbecue est un fait culturel", pointe Viki Geunes, chef du restaurant doublement étoilé 't Zilte à Anvers. "Je suppose que c'est de là que vient la tendance, comme en témoigne le barbecue Oklahoma. La cuisine scandinave a, elle aussi joué un rôle. Là-bas, on fume beaucoup, également dans le but de conserver les aliments."

Brun foncé, mais pas brûlé
David Martin, chef étoilé de La Paix, à Anderlecht, est considéré comme "le roi du fumage". Il a d'ailleurs eu le premier Josper du pays: ce four espagnol à charbon de bois et gril fermé que l'on peut installer chez soi a contribué à l'essor de la tendance. "Cela nous permet d'optimiser la cuisson de notre viande et de lui donner une légère saveur de barbecue, principalement grâce à l'ajout de bois" explique-t-il. "En guise d'aromates, nous utilisons des pieds de vigne de Bordeaux. Nous les faisons d'abord tremper dans de l'eau, puis les déposons sur le gril, ce qui nous permet d'avoir un fumage à la saveur délicate et non brûlée." Sur son Josper, le chef fume également des légumes. "Des aubergines, du céleri et du potimarron, toujours entiers et avec leur peau. Après vingt minutes, ils sont brun foncé, mais pas brûlés. C'est un peu comme pour la torréfaction du café: la peau est concentrée, le légume est cuit et vous avez cette note fumée."

Publicité
Publicité
© Diego Franssens

Filip Claeys aussi utilise la technique du fumage. "Le poisson cru mariné, comme le merlu, l'églefin et le maquereau, fumé à froid puis cuit en croûte de sel, c'est absolument délicieux!", déclare-t-il. "Les poires fumées servies avec du foie gras sont très savoureuses. Pour les desserts, il m'arrive de fumer du chocolat pour en faire une ganache ou une mousse: c'est énorme!" Le chef fume également des betteraves rouges, toutes sortes de choux et même des huiles aromatisées. "L'huile de thym ou de laurier fumé apporte une note subtile. On peut également fumer des sauces ou des vinaigrettes."

Viki Geunes, chef du 't Zilte à Anvers, fume de la compote de pommes, des oignons grelots et des moules. "Vous faites d'abord cuire les moules sur le barbecue, dans leur coquille, ensuite vous les fumez en ajoutant des copeaux de fumage ou du thym sauvage séché au charbon. J'aime utiliser du cèdre et des branches de genévrier qui donnent un bel arôme, très subtil, légèrement différent de ce que nous connaissons. Je dépose parfois une ardoise très chaude dans du lait pour libérer un parfum fumé légèrement brûlé. Il ne s'agit plus de fumage dans le sens classique du terme. C'est plus subtil."

Est-ce que tout se prête au fumage? "Je ne servirais jamais d'huîtres fumées, mais c'est personnel", répond Filip Claeys. "Je trouve que ça leur ferait perdre leur subtile salinité." David Martin, lui, ne voit aucun intérêt au fumage de légumes verts: "Nous avons essayé avec des branches de céleri vert, mais ce n'était pas top." Quant à Viki Geunes, il ne fumerait ni les fleurs, ni les fraises: "Je ne suis pas encore prêt". Rose Greene estime qu'en principe, tout peut être fumé: "Certaines choses sont meilleures que d'autres; il faut essayer. Nous avons déjà fumé du lait pour donner une touche à un cappuccino. Un croissant fumé au petit déjeuner, si ça vous dit, why not?"

"Pour fumer à froid, vous pouvez utiliser une boîte à biscuits", affirme Filip Claeys, chef du restaurant deux étoiles De Jonkman.
"Pour fumer à froid, vous pouvez utiliser une boîte à biscuits", affirme Filip Claeys, chef du restaurant deux étoiles De Jonkman.
© Diego Franssens

Fumer au feeling
Si vous fumez à chaud sur le gril, le produit va cuire. L'avantage de fumage à froid (en gardant la source de chaleur loin du produit à fumer) consiste en le choix le mode de cuisson. Le poisson sera d'abord saumuré, puis lavé, séché, et, ensuite, fumé. Des simples fumoirs classiques aux barbecues sophistiqués, en passant par les 'smoking guns', il existe de nombreux fumoirs sur le marché. Weber, Barbecook, Outdoorchef et Oklahoma se vendent comme des petits pains. "Pour le fumage à chaud, cet appareil peut être utile: il permet de contrôler le processus plus facilement", explique Filip Claeys. "Personnellement, je préfère cuire et fumer au feeling. Le défi est plus grand: improviser pour enrichir ses connaissances, c'est vraiment ça l'essence de la cuisine. Pour pratiquer le fumage à froid, on n'a pas besoin d'un fumoir sophistiqué: on peut utiliser une boîte à biscuits en métal."

"À la maison, j'utilise un Big Green Egg", déclare Viki Geunes. "Je le ferme et je fume éventuellement sans charbon de bois, uniquement avec des copeaux de fumage ou des branches de genièvre. En fait, on a juste besoin d'une boîte qui se ferme, et d'une grille sur laquelle on met le produit à fumer au-dessus d'une coupelle dans laquelle on fait d'abord rougeoyer un peu de charbon de bois avant d'ajouter des copeaux de fumage ou de bois. Un peu d'oxygène doit pouvoir passer pour ne pas étouffer les aromates."

Rose Greene est encore plus minimaliste: "Il suffit d'avoir un bol profond avec une grille. Dans le fond, on met du bois, du foin, des herbes aromatiques -sauge, fenouil, menthe, whatever- et, sur la grille, le produit à fumer. C'est comme ça que nous fumons légumes, pommes de terre, fromages, beurre, huile... Les aliments gras absorbent l'arôme plus rapidement et plus intensément. Et le beurre doit être tenu assez loin de la source de chaleur pour qu'il ne fonde pas. Je recommande d'utiliser des petites quantités de bois et d'aromates."

David Martin a bricolé son propre fumoir. "Je l'ai construit avec un ami il y a dix ans, avec des blocs de béton, une porte en bois et, à l'intérieur, une plaque pour déposer le poisson. Il n'a pas coûté plus de de 250 euros."
David Martin a bricolé son propre fumoir. "Je l'ai construit avec un ami il y a dix ans, avec des blocs de béton, une porte en bois et, à l'intérieur, une plaque pour déposer le poisson. Il n'a pas coûté plus de de 250 euros."
© Diego Franssens

Frigo recyclé en fumoir
Pour éviter que le poisson que vous voulez fumer à froid ne chauffe, il faut un four à fumer plus grand: ça peut être un vieux frigo recyclé -ironie du sort, c'est justement les frigos qui ont rendu le fumage superflu! Filip Claeys utilise l'intérieur d'un vieux four et David Martin a bricolé son petit fumoir personnel: "Je l'ai construit avec un ami il y a dix ans, avec des blocs de béton, une porte en bois, et, à l'intérieur, une plaque pour déposer le poisson. Nous fumons quelques heures pendant la nuit sur un mélange de chêne, hêtre et parfois de tourbe. Il est préférable d'utiliser de fines lamelles qui se consument lentement. Placez votre fumoir à l'abri du vent pour que le bois ne brûle trop rapidement. Et, surtout, ne le nettoyez jamais: plus on y aura fumé, plus les arômes seront complexes et intéressants."

Les chefs conseillent la prudence: fumez, oui, mais avec modération. "Que ce soit de la viande, du poisson ou des légumes, c'est le goût du produit qui prime. Fumer trop fort et trop longtemps, c'est ça le piège", prévient Martin. "Comme avec toute tendance, elle commence par une exagération avant de trouver son équilibre", ajoute Geunes. "Trop de goût fumé est stressant pour les papilles. Il s'agit plutôt de jouer sur les parfums."

"Prenez une langoustine: intrinsèquement, elle a une saveur très subtile, alors, si le fumage est trop long ou trop chaud, il n'en reste rien que le goût du fumé", poursuit Claeys. "Il faut toujours garder un bon équilibre. Je me rappelle d'un menu où, à mi-parcours, est arrivé un produit si lourdement fumé que le plat suivant en avait gardé le goût. Pas terrible." Alors, comment faire pour garder le contrôle? "Il faut beaucoup pratiquer et, surtout, goûter. Dans un menu huit services, je ne servirai pas plus d'une ou deux préparations avec une note fumée." Merci pour les précieux conseils...

Service Sponsorisée

Lire Plus