Massimo Bottura et Seppe Nobels: les tutos des grands chefs font recette.
Massimo Bottura et Seppe Nobels: les tutos des grands chefs font recette.
© Philip Van Bastelaere

Testé: les tutos des grands chefs sur Instagram Live

Oubliez le livre de cuisine sous le sapin: de nombreux grands chefs nous accueillent directement dans leur cuisine via YouTube et Instagram Live, plus conviviaux et interactifs que jamais.

"Que faut-il faire avec les graines de moutarde?"
"Je ne sais pas, il s’occupe de la chicorée."
"Comment ça, la chicorée? Ça ne devait pas être des chicons?"
"Aïe, on ne peut pas mettre sur pause, hein!
"

J’arrive tout juste à sauver les graines de moutarde de la ruine, tandis que mon tendre chéri essaie de couper vite fait une tête de chicorée. Pendant ce temps, à l’écran, le chef Seppe Nobels hache un bouquet de persil avec une précision fulgurante, après quoi la caméra passe à l’ingrédient suivant. Sa cuisine est aussi rythmée et efficace que la nôtre est désordonnée et chaotique: alors qu’il termine le sabayon, nous en sommes encore à chercher la bonne casserole.

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Précisons que ces problèmes de cuisine sont survenus lors de la préparation de la box à emporter du restaurant Graanmarkt 13, à préparer en suivant un véritable cours de cuisine à domicile via Instagram Live, conçu et supervisé par le chef.

"L’objectif était de nous distinguer des autres.Pendant le premier confinement, seuls les grands restaurants fournissaient des food box. Maintenant, tous les restaurants d’Anvers en proposent", nous déclare Nobels en nous remettant personnellement un sac d’ingrédients de qualité. "Comme avec la cuisine ouverte du restaurant, je laisse les clients entrer dans ma bulle parce que ce que je recherche, c’est un peu d’interaction."

La cuisine des Bottura

Ce chef n’est pas le seul à manifester cette intention. Tout comme ils avaient trouvé une solution de repli grâce aux plats à emporter, de nombreux grands chefs se connectent à leur public par le biais de vidéos de cuisine sur les réseaux sociaux. Moins utile pour compenser la perte de revenus, mais plus efficace contre l’ennui.

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Que vous vouliez apprendre à dresser des assiettes, perfectionner votre pain de viande ou gratiner des huîtres, il y a un rendez-vous vidéo hebdomadaire avec un top chef.

À l’inverse, nous, les confinés, aspirons plus que jamais à répondre à la question "qu’est-ce qu’on mange ce soir?" Début décembre, Google Trends affichait déjà deux fois plus de recherches liées à la cuisine que pendant la période de Noël de l’année dernière. Cette année, YouTube a enregistré une augmentation de 45% des visionnages de vidéos de cuisine, ainsi qu’une augmentation exponentielle du nombre de "foodtubers" proposés.

On y retrouve aussi les habitués, ceux qui se meuvent depuis longtemps devant une caméra, armés d’un tablier et d’une louche. Jamie Oliver, par exemple, qui, avec son émission Covid "Keep cooking and carry on", s’est lancé dans les tutoriels sur YouTube. Ou Gordon Ramsay, qui, chaque semaine, enchante ses disciples avec des vidéos en direct où il prépare en dix minutes une assiette de comfort food.

Des grands chefs plus traditionnels (et moins médiatiques) ont aussi emprunté le chemin du monde merveilleux de la vidéo culinaire. Le pionnier en la matière a été Massimo Bottura, dont le restaurant trois étoiles Osteria Francescana a remporté le titre de "Meilleur restaurant du monde" en 2016 et 2018. Avec d’autres restaurants à Florence et à Dubaï, Bottura n’est pas du genre à rester chez lui sans but.

Lors du confinement ultra sévère imposé dans le nord de l’Italie, sa fille a commencé à le filmer pendant qu’il préparait les repas familiaux, des classiques qu’il n’avait plus réalisés depuis des années. Ce qui a commencé comme un passe-temps est devenu "Kitchen Quarantine", un live stream quotidien sur Instagram qui a fait sensation sur Internet: à un moment donné, pas moins d’un million et demi de personnes regardaient les Bottura.

Leurs vidéos de cuisine et de jardinage ont même remporté un "special achievement prize" aux Webby Awards, les Oscars d’Internet, c’est dire. "C’est très particulier de pouvoir communiquer avec des gens du monde entier malgré l’isolement", a déclaré Massimo Bottura en recevant le prix. "Je suis heureux que nous ayons pu leur apporter une forme de soulagement."

Cours de cuisine

Avec une nouvelle fermeture de plusieurs mois, l’exemple de Bottura a été suivi avec enthousiasme lors du second confinement. Que vous souhaitiez apprendre à faire du pain, à dresser des assiettes, à perfectionner votre pain de viande ou à gratiner des huîtres, il existe désormais un rendez-vous vidéo hebdomadaire avec un professionnel pour chaque atelier, de l’auteure américaine de livres de cuisine Ina Garten au chef italien Simone Zanoni, en passant par la boulangère excentrique Christina Tosi et la pâtisserie hautement professionnelle de Bread Ahead. Même les chaînes de fast-food Wagamama et Nando’s ont vu leurs chefs présenter une série de live streams au sujet de leurs best-sellers.

Instagram Live concurrence aussi progressivement les livres de cuisine et les émissions de cuisine classiques. La Bruxelloise Charlotte Collard, ex-mannequin et animatrice de télévision au Guide Michelin, a réussi à attirer Mauro Colagreco (qui a remporté en 2019 le titre de meilleur restaurant du monde avec le Mirazur à Menton) ainsi que Jean-François Piège, Pierre Hermé, Pierre Marcolini et Yves Mattagne pour son émission de cuisine "Une Cha et un Chef".

Le concept: un chef invité enseigne à Collard et à ses 79.800 abonnés un de ses plats signature. La liste des ingrédients est communiquée quelques jours à l’avance, ce qui permet à ses followers de cuisiner en temps réel. «Je voulais surtout rassurer mon audience quant au fait que préparer quelque chose de savoureux chez soi n’a rien de difficile», explique Collard, qui organise également des séances de cuisine via Snapchat. "Comme les followers peuvent poser leurs questions via le chat, nous rendons ces plats signature nettement plus accessibles."

Le format est similaire avec Brussels’Kitchen, animé par la foodie Chloé Roose. Comme sur la plateforme, ses invités ne viennent pas de la haute gastronomie, mais de hot spots branchés de la capitale. Ils recréent la sensation d’un restaurant de manière si convaincante que l’on peut presque sentir l’odeur de la chakchouka toute fraîche, du moins tant que la qualité d’image défaillante ne vient pas saboter l’illusion.

Thérapie

Ce sont précisément ces problèmes techniques et ces petits accidents spontanés qui rendent les chefs en direct si spéciaux: nous n’avons jamais rencontré en personne un chef de télévision classique. Le chef trois étoiles Mauro Colagreco nous raconte les goûts alimentaires de son fils avant de nous offrir un aperçu de la mer azur vue de sa cuisine -on se croirait en plein Zoom avec un vieil ami.

Pierre Marcolini, en revanche, est visiblement heureux de ce rare contact social tandis que, rouge d’excitation (ou est-ce à cause de ce verre de vin vide dans le coin gauche?), il nous montre sa pâte de noisettes fraîche. Au sujet d’Yves Mattagne, on apprend qu’il n’aime pas du tout l’huile de truffe, qu’il regarde la télévision dans sa cuisine et qu’il laisse tomber des miettes de haché sur sa chemise si blanche.

En ces temps difficiles, cela fonctionne presque comme une thérapie: même les inaccessibles dieux de la cuisine se mélangent parfois les pinceaux.

Contrairement aux studios impeccables ou aux images stylées d’un livre de cuisine, ces têtes d’affiche culinaires sont loin d’être parfaits. Certains sont un peu négligents, d’autres légèrement stressés, mais leurs blagues ou leurs petites maladresses ne sont pas censurées.

Même le grand maître Bottura ne se rend pas compte tout de suite qu’une coquille de moule est tombée dans son risotto ou que des éclaboussures de tomates se sont nichées dans sa barbe. "Si ma maladresse ne me dérange pas, pourquoi devriez-vous vous en soucier?", lance-t-il à la caméra avec un sourire désarmant. En ces temps difficiles, cela fonctionne presque comme une thérapie: même les inaccessibles dieux de la cuisine se mélangent parfois les pinceaux. Et c’est justement ça qui rend les choses si conviviales!

Recette à succès

La mise en pratique de la cuisine vidéo s’avère être une autre paire de manches. Mon ordinateur portable est un peu moins résistant au caramel qu’un livre de cuisine. Et regarder l’écran en cuisinant en parfaite synchronisation relève d’un exploit. Même un adepte aguerri du multitâche rêve d’un troisième œil et de deux paires de bras.

Seppe Nobels nappe un panais de moutarde en quelques coups de pinceau rapides, sans se préoccuper du temps que prend cette opération pour un néophyte. Pour le plat principal, nous optons pour une stratégie adaptée: à tour de rôle, mon co-cuisinier et moi surveillons l’écran en lançant les instructions à l’autre, ce qui peut aussi servir de test pour un couple.

Entre les éclaboussures de sabayon, nous apprenons beaucoup plus que juste préparer un bon plat. Nobels nous dévoile des astuces pour faire fondre le beurre jusqu’à ce qu’il soit juste assez brun ou pour analyser les fibres d’un morceau de viande en vue de pratiquer une technique de découpe optimale. Depuis des semaines, certains passionnés achètent fidèlement sa food box, que le chef commercialise sous forme d’une série de cours de cuisine.

Seppe Nobels a combiné son cours de cuisine sur Instagram avec une box à emporter.
Seppe Nobels a combiné son cours de cuisine sur Instagram avec une box à emporter.
© Philip Van Bastelaere

Nobels poursuivra cette nouvelle recette à succès pendant un certain temps encore, même si l’on peut se demander si les nouveaux chefs vidéo continueront d’exister au-delà de la crise du coronavirus. Un véritable modèle d’entreprise a déjà été trouvé aux Pays-Bas: St(r)eaming Chefs, une nouvelle plateforme sur laquelle on peut réserver un cours privé avec un chef du Michelin.

Aux États-Unis, Chef Streams, une initiative similaire réservée à ses membres est en plein essor depuis quelque temps déjà. Et, toujours aux États-Unis, sur Chefsfeed, les utilisateurs déboursent sans sourciller 50 dollars pour une initiation numérique au roulage des tortillas de maïs, ingrédients non compris.

Toute cette agitation virtuelle nous rappelle ce qui nous manque tellement: un vrai restaurant avec des serviettes en tissu, des petits pains tout frais, du vin beaucoup trop cher, des conversations animées au dessert. La majorité des chefs n’hésiteront pas une seconde à troquer la caméra contre une salle pleine de convives. Considérez donc tout ceci plutôt comme une occasion unique: Bottura, Marcolini, Nobels et les autres n’auront bientôt plus de temps à perdre avec leurs marmitons virtuels et maladroits.

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