Le chef étoilé Sang Hoon Degeimbre ouvre à Bruxelles un restaurant consacré à la cuisine coréenne, "Anju", à la fin du mois de mai. Il a accepté qu'on le rejoigne lors de son voyage d’inspiration.
Confidences
Sang Hoon ouvre un nouveau restaurant coréen à Bruxelles dans le courant du mois de mai. "Anju" est un "casual" style bistro, avec des codes coréens, des surprises, du fun et surtout du goût.
"J’ai fait la carte du restaurant et créé les recettes qui seront suivies à la lettre par l’équipe en place. Je resterai le garant de la qualité de la cuisine du chef Victor, qui s’est familiarisé avec les goûts, mais aussi avec l’élégance et la pureté de la cuisine coréenne. Mon voyage en Corée m’a inspiré pour le restaurant, mais il m’a aussi conforté dans le concept.
Plusieurs plats coréens seront servis, bien entendu avec du kimchi (chou fermenté) fait maison. Anju désigne un repas durant lequel on mange des plats accompagnés de boissons. Je crée également la carte des vins et spiritueux, avec du soju et du makgeolli. Ce dernier est une boisson qui s’apparente à un vin et met un plat en valeur. À goûter aussi, le cheongju, qui est considéré comme un vin puisqu’il résulte de la sédimentation du makgeolli pour en récolter la partie translucide."
La sortie d’un livre est prévue pour la fin de l’année avec son complice, le journaliste et écrivain Jean-Pierre Gabriel, "365 jours à L’air du temps". Soit une année avec des plats nés de ses années d’influences, instantanés des saisons, mais aussi des plats signature d’hier avec le regard d’aujourd’hui, la part belle faite au végétal mais pas uniquement, car il y a celle qu’il fait à l’humain, capable de sublimer ce que la nature nous donne.
Accompagnons Sang Hoon Degeimbre pour son voyage en Corée en compagnie d’amis (qui l’appellent San). Nous explorons sa quête d’inspiration avant l’ouverture d’un nouveau restaurant coréen à Bruxelles en mai prochain. Il nous livre un témoignage très personnel sur sa vision de la Corée, illustré par des photos prises par ses soins.
C’est son huitième séjour au pays du matin calme. "Il y a toujours une bonne raison d’y revenir. Je me sens libre en Corée et affranchi des contraintes. Je ne suis pas tout à fait à ma place en Corée ni en Belgique d’ailleurs, mais j’aime ces deux pays dans leur complémentarité. Je suis fier d’être un ambassadeur de mes deux nations."
"Je me sens libre en Corée et affranchi des contraintes."Sang Hoon Degeimbre
Sang Hoon Degeimbre est né en Corée du Sud et a été adopté en Belgique. Il est chef et propriétaire du restaurant L’air du temps** à Liernu, dans la campagne hesbignonne. Sa cuisine contemporaine est basée sur la production de son potager et les produits d’agriculteurs et d’éleveurs belges.
Au fil du temps, elle s’est mâtinée d’influences coréennes. Le restaurant a été créé il y a 25 ans avec Carine Nosal, son ex-épouse, la mère de ses enfants et toujours son associée. Sang Hoon possède également les concepts restaurants SanSablon, Vertige, Korean Tiger et d’autres à venir. Et il a créé les boissons sans alcool Osan.
Qui est Sang Hoon Degeimbre?
- Il est né en Corée du Sud et a été adopté à l’âge de six ans par une famille belge.
- Il est le Propriétaire et chef du restaurant deux étoiles «L’air du temps» à Liernu. Sa cuisine est contemporaine, préparée avec les légumes de son potager et les produits de producteurs belges.
- Il est le propriétaire de SanSablon, Vertige, Korean Tiger et, bientôt, Anju.
- Il a créé et lancé les boissons non alcoolisées Osan.
Jour 1 | Soft landing
"D’une tentation à l’autre"
Dès son arrivée à Séoul, Sang Hoon aime retrouver les odeurs et les couleurs de la ville en déambulant dans les marchés, entre les verts des légumes, les blancs et les bruns des racines que les Coréens maitrisent parfaitement, les rouges des choux et des radis fermentés en kimchi, les jangajji (légumes marinés), les jangs (pâte de soja ou de piments fermentés).
La nourriture fait partie intégrante de la culture coréenne. C’est un équilibre des goûts et des textures, c’est l’importance visuelle des couleurs. Une soirée entre amis tourne autour de la nourriture, souvent en plusieurs étapes étalées sur le même soir; d’un restaurant de barbecue à un bar à bières pour repartir dans un restaurant de rue.
"On en voit de toutes les couleurs et le parfum de l’ail et du barbecue embaume l’air. Les tentations sont grandes et donnent envie de manger toute la journée et toute la nuit dans cette ville qui ne dort jamais. Je cherche les restaurants qui servent du bœuf Hanu, du porc noir de Jeju et des anguilles. De la nourriture réconfortante comme le poulet frit ou un doenjang jjigae (ragoût de pâte de soja).
Et dans les food stalls, je mange ce que les marchands proposent, des produits purs ou légèrement marinés (les Coréens sont les rois de la marinade), rapidement poêlés ou vivement cuits au barbecue, en beignets ou cuits au bouillon. C’est dans la rue qu’on perçoit l’âme gastronomique d’un pays."
Jour 2 | Le chef et la nonne
"Dans une vie antérieure"
Après la nourriture terrestre, la nourriture céleste: c’est en dehors de Séoul, au temple de la nonne bouddhiste Jeong Kwan découverte sur Chef’s Table, que se rend Sang Hoon. Cette rencontre s’est faite à l’occasion du tournage d’un documentaire de Thierry Loreau, qui sera diffusé en Corée et en Belgique à la fin de l’année. La cuisine des temples bouddhistes a une tradition végétarienne. Jeong Kwan ne se considère pas comme une cheffe au sens strict. Avant cette inoubliable rencontre avec la moniale, une certaine tension, entre angoisse et excitation, l’a envahie.
"Dès les premiers regards, le premier salut respectueux, Jeong Kwan a su me mettre à l’aise; il y a cette ouverture de l’âme qui réconforte le cœur, comme si on se connaissait déjà, d’une vie antérieure me dira-t-elle. J’ai ressenti une indescriptible connexion spirituelle et émotionnelle. En cuisinant avec elle, j’ai acquis des connaissances en peu de temps. Sa manière d’assaisonner des plantes pourrait passer pour une pure maîtrise technique, mais il s’agit d’un aboutissement, d’un assemblage d’ingrédients - et pas seulement de produits, mais aussi d’émotions.
Le ganjang (sauce soja) de 25 ans dont elle me révèle l’histoire, ne résonne pas de la même manière qu’une sauce soja achetée dans un supermarché. La plante cueillie en toute conscience de son rôle nourricier n’aura pas la même saveur. C’est précieux le temps passé auprès de ces produits, à les confectionner, à les planter, à les chérir. Jeong Kwan est la valeur de sa cuisine et c’est pour cela que sa cuisine est exceptionnelle et unique.
J’ai compris qu’on peut avoir un accès à son âme par la cuisine, c’est comme cela que je vois ma façon de cuisiner dans le futur. Même si j’ai cela au fond de moi, il fallait se procurer une clé. Cette clé c’est Jeong Kwan. Au moment de se quitter, elle me dira en confidence que j’ai l’aura d’un moine bouddhiste, la posture, la sagesse. Je ne sais toujours pas comment je dois interpréter cela, mais je le prends comme un compliment."
Jour 3 | Goûter l’art
"L’innovation sans limites"
Cette troisième journée dans la capitale est consacrée aux visites culturelles: musées, fondations et galeries d’art. La pop culture est une vague qui a déferlé dans tous les domaines et est une source d’inspiration infinie. Sang Hoon s’évade dans le quartier des galeries d’art: la Kukje Gallery, la Hyundai Gallery et le MMCA (le musée d’art moderne et contemporain). Une visite au musée Leeum s’impose aussi, avec ses magnifiques bâtiments de starchitectes.
"La Corée est une nation d’artistes qui excellent dans l’art contemporain, la musique classique et pop, le street art, le cinéma. Aujourd’hui, les regards se tournent vers la Corée par le biais des séries télé ou de la K-pop. Le monde pénètre un pays d’une abondance culturelle saisissante, ce qui en fait un pays hyper attractif et qui réserve des surprises. Les Coréens dictent les tendances.
Depuis bien longtemps, mes filles ont pris la Corée comme modèle pour la mode et la beauté. Et grâce à elles, je ne peux pas ignorer l’influence de la K-pop. Un vent nouveau souffle sur le septième art. L’art contemporain fait apparaitre une personnalité particulière avec un mode de pensée qui lui est propre et nous incite à une réelle ouverture d’esprit."
Jour 4 | Back to the future
"Plus vite: le saut technologique"
L’expression coréenne "pali-pali", qui signifie "plus vite", résume la manière de vivre à Séoul. Dans cette métropole technophile qui semble obsédée par l’idée de rattraper le temps perdu pour engranger encore plus d’avancées technologiques, de défis économiques. La meilleure manière d’appréhender ses différentes facettes est de se balader à pied. Sang Hoon se laisse aller dans des pérégrinations pour vivre le mouvement perpétuel de ses habitants.
"Le quartier Insadong est paisible et artistique, avec ses restaurants, ses magasins d’art, ses galeries. Gangnam et son quartier animé Apgujeong où l’on peut découvrir les nouvelles tendances. L’ancienne zone industrielle Songsu-dong est devenue hype. Chaque quartier a vraiment son attrait et son style. Certains vivent tôt, d’autres tard. On travaille beaucoup, mais on fait parfois autant la fête entre les bars karaoké, les cafés, bars et restaurants de barbecue ou de produits de la mer. La Corée vit entre tradition et modernité.
Le pays a grandi très vite et vit encore au rythme des traditions, avec un regard tourné vers l’avenir. Il existe encore des codes de politesse, mais la population moderne et urbaine tend à s’en émanciper. Souhaitons que ce respect de valeurs couplé à leur préoccupation actuelle continue à faire grandir cette nation moderne. La Corée a misé sur son développement économique, sur la technologie.
Il y a du réseau wifi en tout lieu, un réseau de navigation indépendant (Naver), des réseaux sociaux ou de communication (Kakao), des métros hyperperformants. Une nation très bien placée pour faire face au bond technologique."
Jour 5 | Visite à un ami, chef star
"Trois étoiles en toute simplicité"
Sang Hoon profite de cette dernière journée pour rendre visite à un ami, Sung Ahn Lee, chef du restaurant gastronomique Mosu***, un établissement à l’architecture moderne situé dans un quartier chic et calme, un environnement pleinement pensé pour un moment hors du temps. Mosu (fleur de cosmos en coréen) est le seul restaurant de Corée qui a décroché trois étoiles Michelin.
La diversité de la cuisine coréenne s’est encore vue amplifiée par l’arrivée du fine dining (haute gastronomie) et, par extension, du guide Michelin qui lui confère une dimension technique de savoir-vivre à la française. La Corée ayant disséminé plus de 500.000 de ses ressortissants à travers le monde suite à la guerre, elle possède autant d’ambassadeurs en puissance qui, enrichis d’autres cultures et d’autres codes, ressurgissent ici ou ailleurs pour transmettre une nouvelle dimension à la cuisine mondiale.
Le mode de vie des Coréens suggère aussi l’arrivée de nouvelles catégories de restaurants hybrides, dits «casual», entre bistro et gastro, table de partage et créativité pétulante. Ces restaurants se sont développés grâce à la capacité d’observation et d’adaptation dont font preuve les Coréens.
"Il y a cinq ans, j’avais entendu parler de Sung Ahn par Jean-Pierre Gabriel (critique gastronomique, NDLR) qui avait programmé un repas à quatre mains avec une future star de la cuisine en Corée. J’ai été accueilli dans son restaurant Mosu, un local de style californien, avec de grandes baies vitrées cerclées de fins châssis noirs, aux briques apparentes. D’entrée de jeu, on distingue les codes, entre confiance en soi et souci du détail qui frise la perfection.
On est impressionné par le «luxe» de l’accueil qui n’a rien d’ostentatoire, au contraire: tout est sobriété et justesse. Une forme de luxe est de se sentir privilégié de toucher ce genre de maison. Sung Ahn, au charisme tranquille, gère ses troupes de virtuoses: il guide, encadre, transmet et orchestre une partition de cuisine aux accents indigènes et à la technique qui joue sur son passé en Californie et ses racines coréennes.
Comme annoncé, Sung Ahn est venu à L’air du temps pour une incroyable symphonie à quatre mains, "Playfood". Partage et amitié. Récemment, il a accueilli avec une grande générosité une de mes filles en voyage en Corée. Sung Ahn ne renie en rien ses origines. Il est issu d’une famille coréenne exilée en Californie. Malgré son succès, il garde la tête sur les épaules et s’impose des limites. La famille fera partie de ses priorités."
Jour 6 | Le retour, le cœur et la valise pleins
"La connexion coréenne"
Après ce séjour en Corée, Sang Hoon retrouve L’air du temps, où le renouveau de la nature commence à révéler les poussées végétales. Pas le temps de reprendre son souffle, puisque le restaurant reprend du service dès le lendemain. Sang Hoon a ramené dans ses bagages: des ramyeons (nouilles), du doenjang (pâte de soja fermentée), du nuruk (pâton de fermentation) pour faire mes essais de makgeolli (vin de riz), des baies d’omija, de l’extrait de ginseng rouge, des jujubes (dattes), des carafes à eau en inox, des récipients pour la cuisine, un petit onggi (pot à fermentation) et les cadeaux reçus au temple, autant de traces pour réveiller et affirmer la part de Coréen en lui.
"Faire ce voyage avec des amis m’a laissé une impression encore plus conviviale de ce séjour, une certaine idée du «jeong» sans doute, ce sentiment tellement coréen de lien entre les individus, qui exprime cette réelle particularité qu’ont les Coréens quand la connexion est créée. Ce sont des passionnés aimants qui démontrent quotidiennement leur attachement, avec un style de fidélité quasiment indestructible.
C’est troublant sans être oppressant, c’est particulier sans être mielleux, c’est toujours digne et énergisant. Tout comme la journée avec Jeong Kwan qui a été une révélation: il est certain que cette rencontre aura un impact sur ma cuisine future. On peut dire que revenir régulièrement en Corée me permet, à chaque fois, de retrouver de plus en plus cette part de moi-même, spirituelle et culinaire."