Chaque semaine, elle livre des fleurs chez Dior ou chez les Beckham. Whitney Bromberg Hawkings s’est fixé un nouvel objectif: développer Flowerbx, son e-commerce de fleurs en plein boum, en dehors du monde de la mode.
Whitney Bromberg Hawkings n’a jamais voulu être fleuriste. "Aujourd’hui encore, je n’en rêve pas", nous confie cette ancienne directrice de la communication chez Tom Ford, que nous rencontrons au siège de Flowerbx, au nord de Londres, entourée d’une luxuriante forêt de tulipes jaunes.
Son entreprise a été lancée il y a quatre ans. Entre-temps, elle est devenue la fleuriste du monde de la mode -des clients exigeants tant en termes de qualité, que de quantité. Louis Vuitton est notamment son plus important client: c’est Flowerbx, qui a assuré la décoration florale de l’Orangerie de Versailles à l’occasion d’un grand dîner VIP l’automne dernier.
Dior est régulièrement au bout du fil et, dans le carnet d’adresses de Flowerbx, se trouvent aussi les numéros de Jimmy Choo, Tory Burch (Londres et Paris), le Cheval Blanc (le palace de la station de sports d’hiver de Courchevel) et du détaillant de luxe en ligne Farfetch. Victoria et David Beckham se font livrer des compositions florales chaque semaine, pour leur résidence mais également le studio de design de la marque de Victoria.
Pour la semaine de la mode à Paris, Flowerbx a fleuri la soirée Balmain et le showroom de Sonia Rykiel. Elle a aussi ouvert une petite boutique près de l’hôtel Chiltern Firehouse, à Londres, et prévoit une extension à New York cette année. L’ambition de sa fondatrice est claire: faire de Flowerbx le plus grand fleuriste en ligne au monde.
Pivoines blanches
Whitney Bromberg Hawkings a grandi au Texas. Sa mère était chef et son père, avocat. Aucun des deux ne jardinait, pas même le week-end. Et il n’y avait pas souvent des fleurs dans la maison familiale. À l’âge de 23 ans, diplôme en littérature française en poche, la jeune femme part à Paris, où elle travaille pour Gucci en tant qu’assistante personnelle de Tom Ford, alors directeur artistique. C’est là qu’elle découvre et apprend que les fleurs jouent un rôle crucial dans l’univers de la mode, qu’elles font "partie de son langage".
"Avec Tom, tout était toujours très clair!", s’exclame-t-elle. "S’il demandait qu’on lui envoie des pivoines blanches et qu’il en recevait des jaunes, il pouvait péter un câble. Cela m’a aussi permis de réaliser que les fleuristes ont parfois des interprêtations que je n’aimais pas."
La Texane constate également que Tom Ford recevait toujours le même genre de bouquets de fleurs, peu importe qui le lui faisait livrer. Et que ces fleurs en disaient long sur le goût de celui qui les avait offertes. "Riccardo Tisci envoyait toujours des roses blanches, Miuccia Prada, des roses roses. Et Karl Lagerfeld, des orchidées blanches. Quand j’étais reçue dans une maison chic, comme celle de Tom, il y avait toujours un vase d’hortensias verts, et rien de plus."
Ces observations lancent sa réflexion. "Pourquoi me limiter à l’univers de la mode et ne pas m’ouvrir au reste du monde? Pourquoi tous ceux qui n’ont rien à voir avec la mode choisissent-ils toujours des bouquets mixtes à l’ancienne qui rappellent les vieux hôtels majestueux?"
En 24 heures
En mai 2015, Hawkings pose l’équation suivante: quel serait le résultat d’un business de fleurs qui fonctionnerait comme un label de mode? Et qui proposerait des variétés choisies au sein d’un département artistique, labellisées avec un logo puissant (conçu par son mari, Peter Hawkings, vice-président senior de la mode homme chez Tom Ford). Elle y voit un moyen de démocratiser les fleurs et transformer une entreprise moussue en une activité branchée, cool et abordable.
Pourquoi tous ceux qui n’ont rien à voir avec la mode choisissent-ils toujours des bouquets mixtes à l’ancienne qui rappellent les vieux hôtels majestueux?
"Généralement, les fleurs vont du producteur au marché de gros, comme Covent Garden à Londres, où elles restent trois ou quatre jours. De là, elles partent chez les fleuristes, où elles restent encore quelques jours", explique Hawkings. Et à chaque étape, le prix augmente. Sauf chez Flowerbx. "Vous commandez des fleurs et nous les coupons pour vous, aux Pays-Bas. De là, elles partent directement chez vous, dans les 24 heures. Autrement dit, vous achetez les fleurs avant que nous ne les achetions nous-mêmes. Ainsi, nous livrons des fleurs plus fraîches à un meilleur prix, sans bloquer de liquidités dans le stockage de la marchandise. Et surtout, nous ne restons pas avec des invendus sur les bras."
Hawkings traduit alors toutes ses idées dans un business plan rigoureux et loue un petit entrepôt qu’elle définit plutôt comme un hangar à vélos, dans les environs de North Acton, d’où le centre de Londres est facilement accessible. Elle prend une camionnette en leasing, crée un site et finance le tout sur ses fonds personnels.
En mai 2016, elle annonce à Tom Ford qu’elle quitte l’entreprise, après 19 ans de bons et loyaux services. "Il s’est mis à pleurer", se souvient-elle. "Et je me suis mise à pleurer, moi aussi. Oui, les adieux ont été difficiles."
Mais le créateur devient très vite l’un de ses premiers et de ses plus importants clients. "Je lui demande des fleurs de saison", commente le créateur. "Des grandes fleurs ou des orchidées Cymbidium. Whitney connaît mes goûts."
Le créateur offre également des abonnements Flowerbx à ses amis et à ses clients: "Et tout le monde me dit que les fleurs sont magnifiques. Whitney s’est battue pendant des années pour obtenir exactement la commande que je souhaitais. Elle sait comment s’y prendre."
Commande géante
Dès l’ouverture de son entreprise, la fleuriste 2.0 envoie un bouquet à vingt de ses amis: Alexandra Shulman, alors rédactrice en chef de Vogue, Elizabeth Saltzman de Vanity Fair ou Graham Norton du talk-show éponyme à la télé britannique.
Certains publient une photo de leur bouquet Flowerbx sur Instagam et Norton va jusqu’à twitter sa livraison. Ce jour-là, le site de Flowerbx connaît 150.000 visites uniques. Deux semaines plus tard, Saltzman l’appelle. "Michael Kors voudrait que tu remplisses le River Café de pivoines." Hawkings est dans tous ses états: "Je me suis dit: et maintenant, qu’est-ce que je fais? Avec cette commande gigantesque, j’atteins mon objectif de chiffre d’affaires annuel."
Six mois plus tard, Flowerbx tourne à plein régime. Une deuxième camionnette s’avère nécessaire, ainsi que du personnel, Hawkings ne pouvant assurer seule la boutique et les appels téléphoniques.
Elle a aussi besoin d’un apport de fonds: elle décide d’appeler Natalie Massenet, la fondatrice de Net-A-Porter, qui maintenant gère un fonds de capital à risque. La business woman, cliente historique de Flowerbx, avait fait une promesse à Whitney, “Appelle-moi si tu as besoin d’argent”. Ce moment est venu. Non seulement la business woman y investit son capital, mais elle présente Hawkings à Mark Sebba, l’ancien CEO de Net-A-Porter.
Ce dernier ne se contente pas d’investir à son tour: il dote l’entreprise d’une base solide, en devient le président et joue le rôle de mentor auprès de l’entrepreneuse. "Il relevait tous les problèmes, me disait “Tes chiffres ne sont pas corrects, ou alors le procès-verbal de la réunion n’est pas exact”. Il nous a mis sur la bonne voie", ajoute Hawkings.
Centre Pompidou
Décédé des suites d’une crise cardiaque l’an dernier, Sebba n’a toujours pas de successeur mais en décembre 2018, Hawkings a tout de même réussi à lever 5 millions d’euros supplémentaires. L’an dernier, Flowerbx a vendu pour 2,2 millions d’euros de fleurs et Hawkings vise la barre des 5 millions pour 2019.
Et, d’après son plan, elle devrait réunir environ 27 millions de dollars d’ici 2021 -et réaliser un bénéfice. Pour ce faire, elle doit d’abord élargir sa clientèle au-delà des frontières de la mode, ce à quoi elle se consacre activement en ce moment.
"Récemment, j’ai eu une femme au téléphone", explique-t-elle. "Au sujet d’un événement au Centre Pompidou, à Paris. Elle voulait savoir si nous pouvions nous occuper des fleurs." Qui était-ce? Knorr, le géant des soupes en sachet.
Flowerbx livre également en Belgique.