La luxueuse odyssée crétoise de deux entrepreneurs bruxellois
Il a fait ses adieux à l’horlogerie-bijouterie Maison De Greef et elle, au restaurant Viva M’Boma. Jacques Wittmann et Katia Ruebens ont définitivement posé leurs valises en Crète, où ils vivent d’agrumes du jardin et de la location de leur villa de vacances.
On remarque tout de suite qu’il ne porte pas de montre. "À cause d’un problème musculaire", explique Jacques Wittmann (57 ans). Mais pas seulement: depuis qu’il a quitté la célèbre boutique bruxelloise d’horlogerie et de joaillerie de luxe Maison De Greef, en décembre 2018, sa perception du temps a radicalement changé. "J’ai enfin le temps de lire et d’étudier, ce qui me manquait depuis longtemps. Je me plonge dans l’architecture, la philosophie et la littérature." C’est ce qu’il fait pratiquement à plein temps à Chania, sur la côte ouest de la Crète. Dans la maison de vacances qu’il a fait construire avec son épouse Katia Ruebens (61 ans), il vit sans garde-temps. Et il y passe les plus belles heures de sa vie.
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Les amateurs d’horlogerie connaissent bien Jacques Wittmann et la Maison De Greef, l’enseigne bruxelloise qui, depuis 1848, soit six générations, s’est fait un nom grâce à l’horlogerie et à la bijouterie. Son épouse Katia Ruebens n’est pas en reste. Elle avait fait de son restaurant de triperie Viva M’Boma, fondé en 2004 à Bruxelles, une référence en matière de préparations d’andouillette, ris de veau et, surtout, de "choesels", un ragoût typiquement bruxellois à base de tripes, pancréas et animelles de taureau.
"En Crète, la triperie est difficile à trouver!", s’exclame-t-elle en riant. "Ici, les bouchers ont un style, disons, légèrement différent. Et, curieusement, on ne trouve pas beaucoup de poisson non plus. Nous mangeons donc principalement des légumes de saison. Et les agrumes du jardin. Notre petit-déjeuner se compose d’un jus de mandarines et d’une compote de qumquats maison."
Au milieu de nulle part
Pourtant, le couple n’avait pas prévu que leur exode bruxellois se transformerait en odyssée crétoise. "Lorsque Katia et moi partions en vacances, nous louions souvent une maison dans un endroit isolé, où nous ne croisions pas grand monde. En Thaïlande, à Bali, en Corse, à Ibiza… nous avons séjourné dans des endroits magnifiques, mais nous avions toujours un peu l’impression d’être à Disneyland. Jusqu’au jour où nous avons réservé une fabuleuse maison à Chania, une région épargnée par le tourisme. En basse saison, les restaurants sont ouverts comme d’habitude. La vie continue. C’est exactement ce que nous recherchions."
De Greef et Ruebens s’y sont senti si bien qu’ils ont cherché un terrain à bâtir. Au départ, ils voulaient faire construire une villa dans la ville portuaire de Souda, avec vue sur mer, mais ces terrains sont réservés aux Grecs. "Des agences nous ont présenté des dizaines d’autres terrains, mais rien ne nous paraissait idéal", explique Wittmann. "Jusqu’à ce qu’un après-midi, en faisant un tour en voiture, je me suis engagé sur un petit chemin de terre cahoteux. Cinq cents mètres plus loin, au milieu de nulle part, se trouvait le terrain parfait. Il était si isolé que les gens du coin ignoraient son existence."
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C’est là qu’au cours des quatre dernières années, le couple a fait construire une spacieuse villa de vacances de 440 m² sur un terrain de 51.000 m², ainsi qu’une deuxième villa, réservée à la location. Une troisième est en cours de construction et sera achevée au printemps 2024. "Nous vivons comme sur un bateau de croisière. Pendant la journée, nous vaquons à nos occupations, sans pression, Katia au soleil et moi à l’ombre. Nous profitons de l’architecture et de l’environnement. Et le soir venu, nous nous habillons pour aller dîner", confie Wittmann.
"J’ai toujours rêvé de vivre au soleil", se réjouit Katia Ruebens. Et d'ajouter: "Quand je suis fatiguée, je m’allonge au soleil pendant une heure: ça me ressource totalement. Nous vivons dans le plus grand calme, simplement troublé par le son des cloches des chèvres. De la terrasse, on voit les sommets enneigés. Nous avons envoyé une photo à nos enfants: ils ont cru que nous étions à Courchevel!"
Paysage naturel
Wittmann a tracé les grandes lignes de l’architecture de leur villa, délégant à un architecte local la conception technique. Une mission réussie, car elle a déjà fait la Une de plusieurs magazines en Grèce. "J’ai grandi dans des bâtiments de l’architecte bruxellois Jacques Dupuis, qui a également conçu notre magasin de la rue au Beurre. Je pense que j’ai une sensibilité innée pour l’architecture."
Son épouse s’est chargée de l’intérieur, des détails et des finitions. Le jardin était un projet commun. Bien qu’il ressemble à un paysage naturel, il a été soigneusement aménagé par les paysagistes français d’Atelier Clap. "Ils ont choisi un mélange d’espèces méditerranéennes et exotiques. Nous avons planté des eucalyptus et des oliviers, afin que la maison s’intègre encore mieux dans le paysage", détaille Wittmann.
Depuis qu’ils vivent en Crète, leur vie a radicalement changé. Ils sont devenus beaucoup plus sereins et vivent davantage au rythme des saisons. Pourtant, ils ont connu quatre années mouvementées, car les constructions ont demandé énormément de temps et d’énergie. "Le projet a été financé sur fonds propres", explique-t-il. "C’était un sacré pari: toutes nos économies y sont passées. Aucune banque n’aurait accepté de s’engager dans cette histoire, c’était trop risqué. Nous nous sommes engagés dans la concrétisation de notre rêve sans business plan. C’est dans notre nature: nous fonctionnons à l’instinct et au feeling. Nous agissons d’abord et réfléchissons ensuite. Nous sommes peut-être allés un peu trop loin dans les détails de la finition des villas. Mais bon, nous voulions que tout soit parfait. Dans tout ce que nous faisons, nous avons l’ambition d’aller jusqu’au bout."
Tandem familial
Jusqu’au 18 décembre 2019, Jacques Wittmann a tout donné pour faire de la Maison De Greef une référence en matière d’horlogerie et de bijouterie de luxe. Le représentant de la sixième génération de l’entreprise familiale y travaillait depuis 1993. Lui, en tant qu’expert horloger, et son frère cadet Arnaud, en tant que joailler. Un tandem familial idéal, mais opposé sur le plan professionnel et personnel. "Mon frère est très ordonné, alors que je suis plutôt bordélique. À la longue, ça ne marchait plus", reconnaît-il.
Désormais, Arnaud Wittmann est seul maître à bord. Au début de l’année dernière, Brice, le fils de Jacques Wittmann, a ouvert sa première boutique horlogère de luxe, Prosper, rue Antoine Dansaert. Le nom de l’enseigne a été choisi en l’honneur de François-Prosper De Greef, fondateur de l’entreprise familiale de la rue au Beurre, en 1848. "Je n’ai rien à voir avec Prosper. Brice voulait prolonger son histoire, ce que je comprends parfaitement. Lorsque mon frère et moi avons repris l’affaire de mon père, nous avons aussi adopté une approche différente et relevé le niveau du catalogue. Je n’ai jamais ressenti de pression familiale pour perpétuer De Greef. Au départ, je n’en avais même pas l’intention: à 25 ans, je voulais découvrir le monde, pas démonter des montres. Mais mon père a senti que j’étais un commerçant dans l’âme et il m’a impliqué de plus en plus dans l’affaire familiale. Et c’est comme ça que j’y ai fait mes premiers pas."
Trou noir
"Dans l’intervalle, 35 ans se sont écoulés. Si je n’avais pas quitté De Greef, je serais peut-être encore en train de faire la même chose, mais pour combien de temps encore? J’étais frustré de vendre des produits sans pouvoir participer à leur production. J’avais également du mal à concevoir ma vie sans changements majeurs. En allant vivre en Crète, mon épouse et moi pouvions changer de vie. Et bâtir de nos mains quelque chose à nous, en partant de zéro."
Le projet de villa de vacances à Chania était-il censé combler le trou noir après De Greef et Viva M’Boma? "Quel trou noir? J’avais pensé que cela m’affecterait davantage de ne plus recevoir d’e-mails, d’appels téléphoniques ou de commandes de montres. Mais, honnêtement, cela ne m’a fait ni chaud ni froid. Mon travail ne m’a pas encore manqué une seconde", déclare Wittmann. "Je travaillais comme un fou pour servir nos clients, sept jours sur sept. Au fil du temps, certains sont devenus des amis et me donnent encore de leurs nouvelles. Mon plus gros client a même fait construire une maison de vacances en Crète grâce à nous! Jusque là, il louait une suite à Capri tous les étés. Depuis qu’il s’est installé ici, il va déjeuner dans de simples tavernes et boit du retsina à 3 euros le verre, comme nous."
"Depuis que je suis ici, mon travail ne m’a pas encore manqué une seconde."
Jacques Wittmann
Ancien expert horloger de la Maison De Greef
Slow food
La Crète fait encore l’objet de nombreux préjugés tenaces. Le premier remonte à 600 ans avant Jésus-Christ. Épiménide, philosophe de Knossos, écrivait dans son poème "Cretica" que "les Crétois sont des menteurs, de méchantes bêtes et des ventres paresseux". Un cliché que les Wittmann réfutent avec véhémence. Et ceux qui associent la Crète aux tour-opérateurs des années 90 n’ont pas encore visité la région de Chania. "La générosité va de soi et l’hospitalité est authentique", déclare Wittmann. "On vous accueille sans penser au client suivant. Ici, slow food et économie circulaire ne sont pas une tendance à la mode: elles font partie de l’ADN de ses habitants."
"Nous ne voulions pas non plus venir ici pour jouer les touristes", ajoute Ruebens. "Nous nous intégrons autant que possible. En fait, nous ne connaissons que des Grecs. C’est pour cela que j’apprends à parler grec: je tiens à pouvoir faire mes courses et bavarder avec les locaux dans leur langue. Nous ne sommes pas venus en Crète pour parler français toute la journée avec nos amis expats."
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La villa de vacances de Jacques Wittmann et Katia Ruebens peut être louée à partir de 10.400 euros par semaine.
Infos et réservations: www.jks-project.com | hello@jks-project.com | +32/472.12.23.56.