La nouvelle génération d’artistes-tatoueurs la joue en finesse

Jusqu’à récemment, le tatouage, c’était souvent un grand motif coloré et flashy. Mais, une nouvelle génération de tatoueurs préfère la jouer en finesse en proposant des tatouages fins et délicats qui séduisent un public plus large.

“Si les tatouages classiques sont faits pour être remarqués, les tatouages contemporains sont, eux, faits pour se démarquer.” Sven Rayen et Ti Racovita résument bien l’évolution de l’univers du tattoo dans leur ouvrage, “Micro Tattoos”. Un micro-tatouage n’est pas nécessairement un tatouage de petite taille, car ce terme peut également faire référence à la technique utilisée pour le réaliser, soit à l’aide d’une seule aiguille ultra fine.

“Dans notre univers, les termes sont ambigus. Il n’existe pas un seul manuel proposant des définitions précises”, déclare Lenah De Wit, qui officie au salon Doe Ta Ni Tattoe. Cependant, chacun s’accorde sur un point: une nouvelle génération pratique son art à l’écart des tatouages old school, repérables à leur haute teneur en crânes memento mori, couleurs vives, lignes épaisses et ombres lourdes.

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“Avant, les tatouages avaient une image dark, mais cela a changé.”
Sven Rayen et Ti Racovita
Auteurs de “Micro Tattoos”

Les sujets ne sont pas très différents – animaux, coquillages, roses, souvenirs ou moments particuliers – mais la façon de les mettre en scène est différente. “La nouvelle génération fait des dessins plus soft, utilise plus de couleurs pastel ou même de l’aquarelle, ce qui met en valeur la finesse de l’ensemble”, précisent Rayen et Racovita. Un changement stylistique qui entraîne un changement d’image: “Avant, les tatouages avaient une image dark, mais cela a changé”, poursuivent Rayen et Racovita. La douceur séduit un public plus large. Une rose ne doit pas nécessairement couvrir tout le bras: elle peut aussi être une petite chose minuscule perdue sur le poignet. “Depuis quelque temps, les tatouages sont mieux acceptés et plus répandus. Les micro-tatouages sont parfaits pour cette nouvelle donne: ils sont accessibles et donc, désirables.”

Une seule ligne

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Doe ta ni tattoe | Anvers

©Alexander D'Hiet

Lenah De Wit est une illustratrice reconvertie en tatoueuse. Elle crée des “ignorant tattoos”, des tatouages sans signification précise.

Qu’est-ce qui vous a donné envie de tatouer?

“Des amis m’avaient demandé si je ne pouvais pas réaliser des tatouages à partir de mes illustrations. J’ai commencé par m’exercer sur moi avant de tatouer les amis qui me le demandaient. Je suis autodidacte; mon premier atelier se trouvait dans ma buanderie! C’est aussi à cette époque que j’ai trouvé le nom de mon studio, Doe ta ni tattoe: ma mère me disait: ‘Doe dat niet, een tattoo’ (‘Ne te fais pas tatouer’, N.D.L.R.)!”

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Avez-vous des tatouages?

“Oui, je suis couverte de tatouages d’essai! (rires) Mon corps est un carnet de croquis. C’est le bazar et pourtant ils vont tous très bien ensemble. J’ai aussi beaucoup de tatouages d’artistes que j’admire, comme Kraey, Eddy Prickstick, Jasper Van Gestel, Tomas Redrey ou Thenc_tat.”

Pouvez-vous décrire votre style?

“Naïf. Spontané. Aléatoire. Mes tatouages sont presque toujours tracés d’une seule ligne.”

Vous faites des “ignorant tattoos”. De quoi s’agit-il?

“Ce sont des tatouages fins avec un petit clin d’œil. Des dessins qui font sourire. Ils sont une réaction aux valeurs établies ou aux conventions dans le monde du tatouage. Je les appelle ‘délibérément’ naïfs.”

Vos tatouages sont noirs, alors que vos illustrations sont très colorées. Pourquoi?

“Mes illustrations sont des peintures sur toile alors que mes tatouages sont des dessins sur un corps, ce qui demande plus de subtilité.”

Vous arrive-t-il de réaliser des tatouages qui couvrent toute une partie du corps?

“Comme une manche tradi, vous voulez dire? Non, ce n’est pas mon style. Mais j’ai des clients qui reviennent si souvent qu’ils finissent par avoir une espèce de patchwork sur le bras. Cet ensemble de petits tatouages finissent par représenter un journal intime.”

Un tatouage doit-il avoir une signification?

“Je ne pense pas, non. Un tatouage peut plaire parce que l’on aime le motif. Dans le passé, un tatouage devait signifier quelque chose, comme une déclaration d’amour à sa maman, par exemple. Beaucoup de gens voulaient se faire tatouer, mais ils ne savaient pas trop quel motif choisir. En plus, son côté ‘dark’ en faisait un manifeste et le pas était difficile à franchir si l’on n’était ni marin, ni prisonnier. Aujourd’hui, les tatouages sont plus légers dans leur conception, mais aussi dans leur signification. Je les considère comme un accessoire ou un bijou de peau. Il ne faut pas toujours chercher un sens aux tatoos.”

Une idée sur papier

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Studio Palermo | Anvers

©Yaqine Hamzaoui

L’illustrateur Sven Rayen et son associée Ti Racovita dirigent le Studio Palermo. Ils sont les champions de la fine line.

Vous travaillez en binôme. Comment ça se passe?

Ti Racovita: “La préparation d’un nouveau tatouage demande de la réflexion, ce que nous faisons ensemble. Par contre, le dessin ou le tatouage, c’est le travail de Sven.”

Sven Rayen: “Elle a tout à fait raison à ce sujet. (rires) Une fois que je suis passé par ce processus, les tatouages viennent à moi et je me concentre sur le résultat final.”

Sven, comment êtes-vous entré dans le monde du tatouage?

Sven: “Ma mère s’est faite tatouer suite à son divorce, pour narguer mon père qui détestait ça! (rires) J’avais douze ans à l’époque et, depuis, je suis fasciné par cet art. Mon premier tatouage, en 1996, était un kanji (un signe astrologique japonais) sur la cheville. C’est à cette même époque que j’ai acheté mes premiers magazines, comme Skin Art, et que j’ai découvert le travail d’artistes comme Jack Rudy, Tim Hendricks et Tin-Tin. Je suis allé ensuite faire mes armes chez Sinsin Tattoo, où j’ai appris à dessiner des roses, entre autres.”

Le style fine line est-il une tendance actuelle?

Ti: “Je ne pense pas que le terme de tendance convienne au tatouage parce qu’il est permanent.”

Sven: “En fait, les tatouages fine line existent depuis longtemps, mais ces dernières années, ils sont devenus à la mode.”

“Dans le passé, un tatouage était polarisant alors qu’aujourd’hui, tout le monde se fait tatouer.”
Ti Racovita
Studio Palermo

Ti: “Dans le passé, un tatouage était polarisant alors qu’aujourd’hui, tout le monde se fait tatouer. C’est dû à son look, mais aussi à son image socioculturelle.”

Quelle est la différence entre fine line et micro-tatouage?

Sven: “Un tatouage fine line est réalisé avec des aiguilles fines, voire une seule aiguille. Et que signifie ce terme? S’agit-il de la taille du motif ou de l’épaisseur de ses lignes? Il a des significations différentes en fonction des personnes. Pour les clients, il évoque les minuscules tiny tattoos, alors que les tatoueurs pensent plutôt à la technique et aux aiguilles.”

Que trouve-t-on dans votre livre?

Ti: “Une sélection de la scène internationale contemporaine du fine line. Nous avons interviewé 32 grands noms et donnons un aperçu de leur univers.”

Les comptes Instagram, comme @new_jack_hipster, qui se moquent des tatouages new style vous dérangent-ils?

Ti: “Non: ils sont souvent très drôles. Certains tatoueurs plus âgés considèrent la nouvelle génération comme des hipsters, mais, pour nous, c’est juste un métier qui évolue.”

Pour prendre rendez-vous au Studio Palermo, les gens envoient leur idée de tattoo sur carte postale. Comment ça marche?

Sven: “Pour les nouveaux clients, nous demandons de décrire ou de dessiner leur envie sur papier, pour nous donner une idée de ce qu’ils souhaitent. Oui, c’est old school, mais nous privilégions une approche personnelle et ce premier dessin sur papier en fait partie.”

Une scène du Matildistan

Tattootilde | Bruxelles

©Yaqine Hamzaoui

Matilde Everaert est artiste et architecte. Elle fait des lithographies de bâtiments et dirige le bureau d’architectes Saffir et le studio de tatouage Tattootilde. Elle pratique le tatouage fine line.

Comment êtes-vous entrée dans le monde du tatouage?

“Une amie m’a demandé si je pouvais lui dessiner un tatouage, vu que je fais des lithos. Comme j’aime découvrir de nouvelles techniques, j’ai tenté le coup. Et là, j’ai réalisé à quel point ça me plaisait, surtout les contacts sociaux: j’ai alors décidé d’ouvrir mon studio de tatouage.”

L’architecture et l’impression influencent-elles votre style?

“Oui , et mon objectif est de faire fusionner de plus en plus intimement les trois. Je dessine souvent des natures mortes ou des espaces architecturaux, vu que c’est aussi mon travail.”

Pourquoi les fine line ont-ils tant de succès?

“Les tatouages fine line sont très accessibles. Quand ils les voient, les gens se disent: ‘Tiens, c’est sympa, je vais m’en faire faire un, moi aussi’. C’est une démarche tout à fait différente si on choisit un tatouage tribal, par exemple, nettement plus polarisant. Si le tatouage est subtil, les gens hésitent moins à passer le cap.”

Les tatouages petits et fins cicatrisent-ils plus vite?

“Oui, et c’est une autre explication de leur succès. Je les décris parfois comme la trace d’un coup de griffe de chat dans lequel on aurait versé de l’encre. Un fine line cicatrise en deux semaines.”

Vous pratiquez les tatouages flash only: de quoi s’agit-il?

“Ce sont des motifs que je dessine moi-même, inspirés par les flash sheets qu’affichaient les tatoueurs à l’époque. Je les partage ensuite sur les réseaux sociaux et, s’ils me sont commandés, ils disparaissent du catalogue: chacun de ces tatouages est unique. Le slogan de mon studio est: ‘Rien n’est éternel’.”

On ne peut pas se faire un tatouage qu’on a créé soi-même?

“Non, je considère les tatouages comme une forme d’art et la créatrice, c’est moi: c’est souvent le cas chez les jeunes tatoueurs. Je pars de mon inspiration. Et franchement, c’est plus facile pour les clients, car ils ne doivent plus se prendre la tête pour savoir ce qu’ils vont bien pouvoir se faire tatouer. Je leur évite ce choix cornélien, ce qui, en définitive, les soulage plus qu’autre chose.”

“Je considère les tatouages comme une forme d’art et la créatrice, c’est moi.”
Matilde Everaert
Tattootilde

Comment décririez-vous votre style?

“Mes tatouages sont des scènes d’un monde imaginaire que j’appelle le Matildistan. Ils vous emportent dans un univers onirique, avec une touche de mélancolie et de romantisme.”

En dehors de votre studio de tatouage, vous dirigez l’agence Saffir et vous êtes connue pour vos impressions d’art. Ces univers influencent-ils votre style de tatouage?

“Oui, certainement. Je dessine souvent des natures mortes ou des pièces dans des lieux d’habitation. En décembre dernier, j’ai travaillé en collaboration avec le KMSKA d’Anvers, pour lequel j’ai réalisé une lino d’une œuvre de Pierre Paul Rubens, que j’ai utilisée lors d’une séance de tatouage live au musée.”