Car la dernière chose que souhaite Maniera, c’est que les expositions se ressemblent toutes, car trop influencées par le décor chargé. “Si nos artistes veulent délimiter un espace épuré dans ces salons classiques, avec des toiles blanches par exemple, ils sont libres de le faire, tant que c’est réversible”, précise la galeriste. “S’ils veulent s’inspirer du papier peint d’époque que les chercheurs en matière de patrimoine ont découverte sous des couches de peinture, ne comptez pas sur moi pour les en empêcher.”
Certains des objets présentés dans la galerie, par exemple ceux de Studio Mumbai ou de Lukas Gschwandtner, s’intègreront parfaitement bien dans les pièces du rez-de-chaussée. “Par contre, les meubles plus conceptuels au look plus industriel seront mieux mis en valeur dans la cuisine”, déclare-t-elle. “Avec ses carrelages en damier rouge et blanc, elle a un cachet plus contemporain. La cuisine aussi fera partie des espaces d’exposition, tout comme la véranda et le jardin. Et nous avons déposé une demande pour convertir le garage en résidence d’artiste.”
Jean Danckaert, le maître d’ouvrage de la maison, était un industriel de la première moitié du siècle dernier. Il dirigeait une usine de production de machines-outils à Anderlecht. L’un de ses clients était un membre de la famille De Coene, qui dirigeait un atelier de menuiserie et de mobilier sur mesure à Courtrai, le très réputé Kunstwerkstede De Coene. Les deux hommes avaient décidé de faire de cette villa une sorte d’expérience. En effet, l’année précédant la construction, en 1921, l’architecte, Jean-Baptiste Dewin, s’est rendu à New York avec Jozef De Coene. Au cours de ce voyage, les deux hommes ont découvert le secret de fabrication du bois de placage à l’échelle industrielle. “Ils voulaient être les premiers à utiliser ces techniques en Europe, pour devancer la concurrence”, explique Noël Hostens, spécialiste de De Coene. Les boiseries en placage à l’intérieur de la Villa Danckaert, réalisées dans toute une série d’essences différentes, étaient une première pour les ateliers de De Coene.
Connaissez-vous l’architecte Jean-Baptiste Dewin? Vous n’êtes pas le seul. Bien qu’un peu oublié aujourd’hui, le Belge a réalisé de nombreuses habitations privées et immeubles à appartements à Bruxelles, notamment dans le quartier Molière, où il vivait. Sa réalisation la plus connue est la maison communale de Forest, classée depuis 1991. Il était aussi remarquablement actif dans le secteur médical: on lui doit l’Institut chirurgical Berkendael à Ixelles, l’hôpital Saint-Pierre à la Porte de Hal ainsi que l’Institut des maladies des yeux du docteur Coppez (1912) à Etterbeek, qui a été restauré avec grand soin par la banque Delen Private Bank pour y héberger son siège bruxellois.
Sur le plan stylistique, Dewin était très représentatif de son époque. Influencé par le mouvement de la Sécession viennoise, son Art nouveau était plus rectiligne qu’ondoyant. “Notre maison est un exemple bien préservé du mode de vie de la bourgeoisie industrielle dans l’entre-deux-guerres”, déclare Lavigne. “Les Danckaert avaient des domestiques, qu’ils appelaient en faisant sonner une clochette. Ils aimaient recevoir leurs amis dans les grands salons du rez-de-chaussée. En ce qui me concerne, je ne pourrais jamais vivre dans des pièces aussi chargées de décoration.”
Pour Jacobs et Lavigne, ce déménagement est un peu comme un retour aux sources. En 2014, ils ont organisé la première exposition Maniera chez eux, dans leur loft bruxellois. L’année suivante, ils ont présenté une exposition dans la Maison Wolfers construite par Henry Van de Velde en 1929 et qui était alors occupée par le collectionneur d’art Herman Daled. “Nous avons ensuite exposé dans la villa brutaliste Van Wassenhove de Juliaan Lampens, dans la Zwart Huis fonctionnaliste de Huib Hoste à Knokke, ainsi que dans la Maison Roelants de Willy Van Der Meeren à Lennik-Saint-Martin.” Jacobs poursuit: “Au vu de ce passé, il était logique de se retrouver un jour dans la maison d’un architecte! Nous avions de toute façon déjà une expérience de l’activation de patrimoine par le biais de meubles contemporains.”
Le travail des designers et artistes sera-t-il mis en valeur à la Villa Danckaert? La galeriste est optimiste: “Anne Holtrop était enthousiaste. Son travail – faux bois, faux marbre et pierre naturelle – s’intègre bien ici. Koenraad Dedobbeleer a suggéré un lustre en verre pour l’entrée. Kersten Geers et David Van Severen ont proposé un pavillon pour le jardin. Les pièces artisanales de Studio Mumbai et Lukas Gschwandnter seront parfaites dans le salon et les pièces plus industrielles, dans la cuisine, qui sera un espace d’expo comme le jardin et la véranda. Nous espérons transformer le garage détaché en résidence d’artiste. Voilà nos plans, mais, en attendant, place à l’expo et à la rénovation!”