La peinture était sa passion et le design, son gagne-pain. Pourtant, après une visite au Design Museum Brussels, force est de constater que c'est comme designer que Zéphir Busine excellait.
Un tapis géant aux formes abstraites d’un bleu éclatant. Des objets en verre soufflé à la bouche dans des couleurs douces. Des meubles au look scandinave. Des vitraux aux lignes épurées évoquant Mondrian. Des dessins à la gouache sur des couvertures de magazines, des peintures abstraites et des objets liturgiques: l’exposition «Zéphir Busine, Designer» semble présenter le travail de 10 artistes différents.
«Zéphir Busine (1916-1976) était l'un des nombreux artistes qui ont participé à la reconstruction du pays au lendemain de la Seconde Guerre mondiale», explique Sylvain Busine, commissaire de l’exposition et petit-fils de l’artiste. «Zéphir avait une mission: il considérait la beauté comme un devoir moral et voulait la rendre aussi accessible que possible au grand public.»
Caméléon de génie
Jusqu’à présent, Zéphir, né à Mons, était principalement connu pour son œuvre picturale. Ses tableaux abstraits et lyriques figurent dans de nombreux musées et collections privées belges. Ils ont aussi été exposés au BAM de Mons en 2021. Cette nouvelle exposition braque cependant les projecteurs sur une facette méconnue du Wallon, qui se révèle être un caméléon multidisciplinaire doté d’un talent exceptionnel pour le design. «Ses peintures et œuvres abstraites témoignent d’un certain talent, mais ses meubles et objets de design sont vraiment fantastiques. Dans ses créations et son travail du détail, on voit un génie à l’œuvre», s’enthousiasme Sylvain Busine.
Pourtant, ce talent multidisciplinaire est resté secret de son vivant, car il préférait se considérer comme un peintre. «Le design lui servait principalement à payer ses factures. C’est presque dommage. Je me demande ce qu’il aurait pu faire s’il s’y était consacré entièrement.»
Sylvain Busine n’a jamais rencontré son grand-père. «Il est mort assez jeune, à 60 ans. Je suis né cinq ans plus tard. J’ai découvert son travail de designer presque par hasard, quand ma grand-mère a déménagé, il y a six ans. Elle était sa plus grande fan et son archiviste: elle avait beaucoup de catalogues et de dossiers de dessins. Mon œil de designer a tout de suite été attiré et je me suis mis au travail.»
Bon sang ne saurait mentir: Sylvain Busine est designer et professeur de design à La Cambre à Bruxelles. Et il n’est pas le seul Busine à avoir choisi la voie artistique: son père, Laurent Busine, fils de Zéphir Busine, a été le directeur du MACS au Grand-Hornu pendant des années, un musée qu’il a dirigé avec beaucoup de talent, ce qui lui a valu d’être parfois surnommé le «Jan Hoet wallon».
Pour retrouver toutes les œuvres de son grand-père, Sylvain déclare avoir dû procéder à la manière d’un archéologue. «J’ai sillonné la Wallonie d’est en ouest», explique-t-il. «C’était presque un pèlerinage: j’allais frapper chez des gens pour leur signaler qu’ils avaient chez eux une partie de l’histoire du design belge.»
Burin et marteau
Le résultat de ce travail de recherche peut être admiré dans l’espace d’exposition temporaire, installé au rez-de-chaussée du Design Museum Brussels, à deux pas de l’Atomium. Les objets sont présentés sur une structure de briques grises et rugueuses, qui donnent l’impression de se promener dans un atelier, où Zéphir en personne pourrait surgir à tout moment, burin ou marteau à la main.
«Pour l’exposition, j’ai dû emprunter certains meubles à leurs propriétaires. Un monsieur n’a plus de bureau et une famille doit se passer de sa table.»Sylvain Busine
En effet, le Wallon était un artisan avant tout. Lorsque ses parents ont constaté que leur benjamin (Zéphir est le dernier d’une fratrie de quatre frères et sœurs) était doué pour le dessin, ils l’ont envoyé à l’Institut Saint-Luc de Tournai, où il a appris la religion et la liturgie, mais aussi à dessiner au fusain et à fabriquer des meubles en bois et en marbre. C’est ainsi qu’il est devenu ébéniste, architecte, peintre, typographe, menuisier et bien plus encore.
Cet «homo universalis» a connu une carrière mouvementée. Pendant la Seconde Guerre mondiale, il a fait des dessins pour le journal de la caserne, puis les couvertures de l’hebdomadaire humoristique Le journal de Spirou et du magazine Bonnes Soirées. Dans les années 1940, il a créé un atelier de céramique dans lequel il produisait des objets utilitaires et décoratifs, qui ont été commercialisés. Pour des dizaines d’églises abîmées pendant la Seconde Guerre mondiale, il a conçu des vitraux qu’il a posés lui-même. Les exemplaires exposés ont un caractère contemporain, tout en lignes horizontales et verticales. «De nombreux vitraux n’ont pas pu être exposés, car ils ornent toujours des églises du Hainaut. Ce n’est que la partie émergée de l’iceberg.»
Expo 58
Zéphir fabriquait des meubles principalement à la demande d’amis ou pour l’architecte Jacques Dupuis, ce qu’il fit notamment pour les pavillons de l’Expo 58. Sylvain a retrouvé la quasi-totalité des meubles conçus par son grand-père, à l’exception de la première table et des chaises conçues pour cette formidable Exposition universelle, qu’il a pu reproduire en se basant sur les dessins de son grand-père.
«J’ai été frappé par le niveau de précision de ses croquis. Les détails d’assemblage sont très visibles, les pieds de la table semblent asymétriques. Il attendait beaucoup des artisans qui devaient les fabriquer, ce qui, à l’époque, était beaucoup plus courant qu’aujourd’hui: lorsque je conçois des projets, je dois tenir compte des limitations des machines qui assembleront les meubles. C’est pourquoi notre style de conception est très différent.»
Emballage avec dépliant
C’est devant les pièces de verrerie que les visiteurs s’attardent le plus longtemps, car il y a énormément de tailles et de couleurs différentes. «Elles ont toutes été soufflées à la bouche, mais elles n’étaient évidemment pas produites en quantités industrielles», explique Sylvain. «Il a travaillé de 1958 à 1970 avec la manufacture de verre de Boussu, où 400 artisans ont donné vie à ses créations. Un œil averti les repèrera dans les brocantes. Il a réalisé une vingtaine de collections en tout. L’emballage d’origine contenait un dépliant indiquant que les verres avaient été conçus par un «célèbre artiste belge». À l’époque, on jugeait peu important de citer son nom. Quant à l’appréciation des designers, elle est venue plus tard.»
"Cette exposition est un pas de plus vers son inclusion dans le patrimoine des grands designers belges."Sylvain Busine
Comment Sylvain voit-il l’avenir du patrimoine de son grand-père? «Peut-être qu’un jour, nous pourrons reproduire ses créations à plus grande échelle, mais, pour le moment, il n’y a pas de projet concret. Je viens de publier une monographie sur son travail et cette exposition est un pas de plus vers son inclusion dans le patrimoine des grands designers belges.»
Quoi qu’il en soit, cette exposition ne peut pas durer éternellement. «Pour l’exposition, j’ai dû emprunter certains meubles à leurs propriétaires qui les utilisent encore tous les jours. Un monsieur n’a plus de bureau et une famille doit se passer de sa table: elle doit prendre ses repas sur une porte déposée sur quatre pieds!» ◆
- «Zephir Busine. Designer» | Jusqu’au 27 août
- Design Museum Brussels, Trade Mart Brussels, Place de Belgique 1, 1020 Bruxelles
- www.designmuseum.brussels