"À l’entracte, nous ne prenons pas de gants pour nous dire ce qui n’a pas été, au point de parfois choquer les gens autour de nous."
"À l’entracte, nous ne prenons pas de gants pour nous dire ce qui n’a pas été, au point de parfois choquer les gens autour de nous."
© Diego Franssens

Les vingt ans du duo belgo-japonais Wim Vanlessen et Aki Saito

Il est l'un des cinq meilleurs danseurs au monde. Elle a raflé toutes les distinctions au Japon. Wim Vanlessen et Aki Saito célèbrent le vingtième anniversaire de leur duo de danseurs du Ballet royal de Flandre. Entretien sur le partage des joies et des peines, du ballet vu comme un concert rock et d'un pas de deux qui dure depuis vingt ans. "Nous sommes tous deux des control freaks."

Ils célèbrent leur vingt ans, mais n'ont jamais été amoureux l'un de l'autre. Si Wim Vanlessen (39) et Aki Saito (40) dansent ensemble depuis si longtemps, c'est grâce à une entremetteuse. Et, plus précisément, grâce à Marinella Paneda, alors directrice de l'école de ballet d'Anvers. C'est dire s'il s'en est fallu de peu pour que Wim Vanlessen et Aki Saito ne soient pas ici aujourd'hui. Ou du moins, pas en tant que duo.

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Ensemble, 20 ans de couple à la scène mais pas à la ville.
Ensemble, 20 ans de couple à la scène mais pas à la ville.
© Diego Franssens

Les deux prodiges venaient de remporter le Prix de Lausanne, une récompense prestigieuse. Après avoir remporté toutes les distinctions possibles et imaginables au Japon, Aki Saito part à la conquête de l'Europe. Wim Vanlessen: "Je dansais à Anvers quand j'ai eu une proposition pour aller à Londres Mais le ballet d'Anvers ne l'entendait pas de cette oreille !" s'exclame-t-il en riant. "La directrice avait vu danser Aki et elle a pensé que nous serions bien assortis. Elle lui a donc demandé de venir à Anvers, dans l'espoir que j'y reste." Ils ont en commun le talent, mais aussi la sveltesse et la taille. Et voilà comment le Belge et la Japonaise, tous deux seize ans, se sont rencontrés. "Nous avons dansé ensemble dès le premier jour."

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Salle comble
Même Marinella Paneda ne s'attendait pas à ce que ce mariage arrangé soit un tel succès. Après avoir travaillé ensemble pendant trois ans à l'école d'Anvers, ils font leurs débuts au Ballet royal de Flandre, en 1994. Vingt ans plus tard, ils fêtent leurs noces de ballet, le 15 novembre, en donnant une représentation de gala à l'Opéra d'Anvers. Ces deux dernières décennies, le couple a dansé tous les grand rôles: La Belle au Bois Dormant, Le Lac des cygnes, Onéguine et In the middle somewhat elevated, une oeuvre de William Forsythe.

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Le duo fête ses 20 ans de ballet avec les rôles de Tatiana et Eugène dans l’histoire d’amour Onéguine.
Le duo fête ses 20 ans de ballet avec les rôles de Tatiana et Eugène dans l’histoire d’amour Onéguine.
© Hans Gerritsen

Ils collectionnent les distinctions: les Étoiles de Ballet 2000 (les Oscars de la danse) en 2007. En 2007 et en 2009, le magazine Dance Europe les a proclamés Meilleur Couple de danse d'Europe. Le New York Times les a qualifiés de fabulous dans Impressing the Czar. Et la chorégraphe Marcia Haydée a créé pour eux une version moderne du Lac des cygnes. Pourtant, ils doivent leur célébrité internationale au pas de deux qui clôt In the middle somewhat elevated, une pièce moderne qui évoque plus la gymnastique que le ballet classique qui est leur quotidien depuis neuf ans.

"Si nous devions danser cette pièce demain, devant les meilleurs danseurs du monde, nous assurerions !", s'exclame Vanlessen. "Nous excellons dans cette pièce." Même à Paris, "le public le plus critique du monde" confesse Aki Saito, ils ont été ovationnés. En effet, ils ont passé trois semaines au Théâtre Chaillot à Paris, un moment fort de leur carrière. "Tu te souviens ?" demande le Belge à la Japonaise. "C'était sold out tous les soirs. On aurait dit un concert rock !"

Chien sauvage
Autant lui est affalé dans son fauteuil, autant elle se tient bien droite. Il n'y a pas que quand ils dansent qu'ils sont comme le yin et le yang. Pourtant, ils ne forment pas un "vrai" couple - tous deux aiment les hommes - et ne tiennent pas particulièrement à danser en duo. Soit parce qu'ils dansent un solo, soit parce que l'un d'eux n'a pas été choisi pour une pièce ou un rôle. Par contre, les chorégraphes continuent à les mettre en scène ensemble jusqu'à cette célébration de leur jubilé au Ballet royal de Flandre par une représentation de gala d'Onéguine, une chorégraphié de 1965 de John Cranko.

Je ne fais CONFIANCE QU'À WIM. Avec un autre partenaire, JE ME RETIENS TOUJOURS.
Aki Saito
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Ils dansent les rôles-titres, en tant que principal dancers de la compagnie - qui sont au nombre de sept. "En tant que jeune danseur, vous voulez toujours grimper les échelons", témoigne Aki Saito. "Pour y arriver, vous montez sur scène comme un jeune chien sauvage. Mais une fois que vous êtes au sommet, ce stress ne disparait pas, au contraire: il est encore plus grand car l'échec n'est pas une option. Les gens viennent pour vous, il faut être parfait." "Et les jeunes danseurs brûlent de prendre votre place. On se sent seul au sommet", ajoute Wim Vanlessen. Mais ils ont aussi eu de la chance, affirme-t-il immédiatement. "Nous étions au bon endroit au bon moment. Danser ensemble pendant vingt ans, c'est rare. Il y a des couples de danse connus, mais la plupart du temps, ils ne dansent pas aussi longtemps ensemble car l'un des deux part dans une autre compagnie." Pourquoi sont-ils restés ? "C'est quelque chose de très personnel", explique Vanlessen. "Où vous sentez-vous bien ? Où vous donne-t-on des opportunités créatives ? Pour nous deux, c'était ici." "Ce n'était pas une obligation", acquiesce Saito. "Mais, voilà, nous sommes restés ensemble. "

Une demi-heure avant le lever de rideau. Saito se retire dans sa loge. Vanlessen fait son check-up habituel du sol et de la lumière. Il se frictionne une dernière fois les mains avec la poudre blanche qu'utilisent aussi les gymnastes pour absorber la sueur. "Je veux absolument éviter d'avoir les mains glissantes ! Je vérifie toujours ma prise sur le costume d'Aki. Cette prise est vitale. Si vous vous réceptionnez mal, vous êtes certain de vous blesser. Ce genre de chose peut ruiner toute une saison, voire toute une carrière. Certains danseurs doivent prendre leur pension anticipée suite à un pied mal positionné."

"Je ne fais confiance qu'à Wim" affirme Saito. "Avec un autre partenaire, je me retiens toujours un peu." "C'est aussi un avantage pour les chorégraphes", explique Vanlessen. "Nous pouvons aller un petit peu plus loin. Je peux, par exemple, la lancer plus haut. Parce que nous nous sentons l'un l'autre."

Nous nous sentons l'un l'autre: ce n'est pas un hasard si c'est la phrase avec laquelle ils s'encouragent mutuellement, comme une formule magique juste avant de monter sur scène. "Quand nous dansons, nous pensons comme une seule et même personne", explique Saito en formant un cercle de ses petites mains. "Nous sommes en harmonie. L'ensemble est supérieur à la somme des parties."

Saito et Vanlessen interprètent la très exigeante pièce de Forsythe, Artifact, une des prestations qui leur a apporté la renommée sur le plan international.
Saito et Vanlessen interprètent la très exigeante pièce de Forsythe, Artifact, une des prestations qui leur a apporté la renommée sur le plan international.
© Johan Persson

Jamais satisfaits
Non que chaque représentation soit toujours nickel. Alors, à l'entracte, en coulisses, Saito et Vanlessen commencent par énumérer ce qui aurait pu être mieux. "Si vous voulez être bon, c'est nécessaire d'être lucide", affirme Saito. "Si je fais une remarque, c'est pour que nous nous améliorions." Vanlessen acquiesce: "Nous ne tournons pas autour du pot. Nous disons simplement ce qui n'était pas bon. Je pense que c'est choquant pour les gens qui travaillent avec nous pour la première fois." Cette aspiration à s'améliorer sans cesse, voilà ce qui les unit.

Perfectionnistes et control freaks sont des termes récurents. "Nous ne sommes jamais satisfaits. Il y a toujours quelque chose à améliorer. C'est cette recherche de la perfection qui nous distingue. Ce sont des petites choses: la façon de monter sur scène, de saluer, de jouer. C'est comme un sac mal cousu comparé à un sac qui l'est soigneusement", commente Vanlessen. Y a-t-il une émulation entre eux ? Il n'hésite pas une seconde: "Absolument. Nous craignons tous les deux que le public pense que seulement l'un de nous deux est au top ! (rires). Nous essayons de nous surpasser." "Voilà pourquoi nous sommes toujours là", intervient Saito. "Après toutes ces années, nous avons toujours une ambition dévorante. Ce n'est pas notre genre de penser: à quoi bon ? Nous avons encore soif de plus et de mieux. Soif de perfection."

Aki Saito et Wim Vanlessen danseront Onéguine ces 15 et 22 novembre à l'Opéra d'Anvers. www.operaballet.be

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