Mode: le luxe fait la part belle à la discrétion et à la sobriété
Le luxe discret s'impose comme la nouvelle tendance des milieux aisés. Comme dans la série "Succession", ceux qui pourraient exhiber des diamants et des fourrures préfèrent désormais jouer la carte de la sobriété.
Si le diable s’habillait encore en Prada de nos jours, personne ne le remarquerait, car il porterait une tenue sobre, sans logo tape-à-l’œil ni fioritures inutiles. Il suffit de regarder le premier épisode de la quatrième et dernière saison de "Succession", la série à succès de HBO. Au cours des saisons précédentes, les tenues des membres de la famille Roy ont été commentées au moins aussi abondamment que les intrigues au sein de ce clan assoiffé de pouvoir et de son empire médiatique mondial. Aucune autre série n’est autant scrutée dans le milieu de la mode, ce qui est assez remarquable, car les vêtements que portent les personnages de "Succession" sont extrêmement discrets. À première vue, le défilé de basiques monochromes n’a pas grand-chose d’original: costumes sur mesure, T-shirts et robes voguent dans un océan de beige, de gris et de grège. Les Roy sont d’élégants loups déguisés en moutons, qui évoluent avec aisance dans un cardigan Brunello Cucinelli à 1.690 euros.
Comme chaque look a été disséqué sur des comptes Instagram comme @successionfashion, nous savons que ces pièces sans logo sont issues des collections des marques les plus chères, comme Tom Ford, The Row, Armani et Brunello Cucinelli. Les casquettes de baseball bleu nuit qui coiffent incognito Roy et son fils Kendall sont devenues cultes dès que leur pédigrée a été rendu public: il s’agissait de casquettes en cachemire Loro Piana (590 euros), une maison fondée il y a 99 ans.
Code secret entre riches
Voilà comment le "Succession chic" est devenu le code vestimentaire contemporain des plus riches, soit des basiques classiques dans des matières précieuses. Un look pour ceux qui n’ont pas besoin de faire d’effort pour impressionner les autres. Ceux qui pourraient arborer diamants et fourrures choisissent cette sobriété toute relative, justement parce qu’elle est facile et impressionnante à la fois. Selon les experts, ce "luxe discret" est la tendance de l’année. Malgré leur discrétion, ces tenues envoient des signaux sans ambigüité sur les hiérarchies de pouvoir sous-jacentes et les intentions et préoccupations des protagonistes.
Logan, le fils à papa, ne porte ni cravate ni veste de costume avec une nonchalance évidente. Ne pas respecter les codes vestimentaires en vigueur n’est permis qu’à ceux dont la richesse et le pouvoir ne risquent pas d’être questionnés. Par contre, un personnage comme Tom Wambsgans, membre de la famille par alliance, ne peut cacher qu’il ne boxe pas dans la même catégorie.
Michelle Matland, la costumière de la série, révèle les petits détails qui font toute la différence dans The Guardian: "Ses chaussures sont trop brillantes". Quelles que soient les dépenses de cet ambitieux personnage, son épouse et ses beaux-frères se moquent de son gilet Moncler un peu trop voyant et de ses costumes qui ne dégagent pas le je-ne-sais-quoi dont les Roy ont hérité.
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Matland qualifie le style des Roy d’anti bling-bling, mais cette apparente sobriété cache autant si pas plus de snobisme. En effet, seuls les insiders remarquent cette sophistication; pour les outsiders, c’est un code secret qu’ils ne pourront jamais vraiment maîtriser. Le plus grand "succession" faux pas est d’en faire trop. "C’est aussi subtil que l’épaisseur d’une rayure tennis sur un costume", conclut Matland.
Ne pas respecter les codes vestimentaires en vigueur n’est permis qu’à ceux dont la richesse et le pouvoir ne risquent pas d’être questionnés.
Le succès monstre de «Succession» montre une fois de plus à quel point on est accro aux histoires qui se déroulent sur le terrain de jeu des ultra riches: trahisons, soif de pouvoir, corruption et cupidité se lâchent dans un décor photogénique de penthouses, jets privés et yachts de luxe.
Le "wealth porn" est devenu un genre à part entière, ainsi qu’en attestent des séries comme "Suits", "Billions" et "Industry", qui, toutes, se déroulent dans les sommets les plus escarpés et les plus inaccessibles de la haute finance new-yorkaise et londonienne, là où les coups bas sont de règle.
Mais ce qui caractérise "Succession", c’est que personne ne semble profiter de cette richesse infinie. Un personnage comme celui de Lukas Mattson - T-shirt usé, chino et slippers - soupire d’ennui dans sa villa du lac de Côme. Pour un milliardaire comme Logan Roy, rien n’est plus chic que déclarer qu’il n’aime pas les possessions matérielles au point de faire la fine bouche devant la montre Patek Philippe qu’on lui offre.
La série HBO dépeint ainsi l’air du temps et il est tout le contraire de celui qui régnait dans les années 80, grande époque de l’univers impitoyable et du glamour criard des séries "Dallas" et "Dynastie".
Les années 90 ont mis à l’honneur les tenues voyantes de Carrie Bradshaw dans "Sex and the City", qui ne sont évidemment pas à la hauteur du chic de la garde-robe de l’ambitieuse Shiv Roy. Voici deux femmes, du même âge, portant des vêtements de marque hors de prix, menant des vies de luxe à New York: les points communs s’arrêtent là. Il y a un quart de siècle, une femme faisait figure de modèle à suivre en se baladant dans la rue en débardeur rose et tutu. La période faste de Carrie fut une ode à la vie hédoniste dans un clash d’imprimés signés Galliano, Vivienne Westwood et Roberto Cavalli. Aujourd’hui, l’icône de style du petit écran est une carriériste impitoyable qui impose son pouvoir et ses tenues sobres.
No logo
Autre cas intéressant et surtout révélateur que les temps changent: il suffit de comparer les mocassins Gucci avec leur logo voyant en forme de mors de cheval argenté de Jordan Belfort, le flamboyant trader du 3Loup de Wall Street" avec les discrets mocassins en daim Loro Piana dans lesquels déambule Kendall Roy. Ces deux pièces affichent un prix similaire, mais si les premiers sont identifiables au premier coup d’œil, les seconds ne sont reconnaissables que des initiés.
"Ces derniers semblent dire 'Peu m’importe, mais en fait si', une attitude qui sous-tend ce fameux style discret", écrivait le Financial Times dans un article intitulé The rise of the "Stealth wealth" slipper.
Le luxe est discret
Cette "stealth wealth" ou richesse discrète est aujourd’hui le maître mot: ceux qui sont vraiment très fortunés préfèrent marcher à l’ombre. Discrétion, sécurité et vie (très) privée sont les nouveaux marqueurs de statut social. Exit les sacs aux logos voyants, les voitures m’as-tu-vu ou les bijoux bling-bling. Pour vivre heureux, vivons cachés. Et voilà pourquoi les nouvelles villas de luxe sont à moitié enterrées: il ne faut pas qu’elles soient visibles sur Google Street View.
"L’étalage de l’opulence est devenu déplacé", déplore Bobby Axelrod, le gestionnaire de fonds spéculatifs corrompu de l’autre série "wealth porn" à succès, "Billions". Et il ajoute: "Autrefois, on respectait l’homme en limousine. Aujourd’hui, on lui jette des tomates."
"L’étalage de l’opulence est devenu déplacé."
Bobby Axelrod
Personnage de la série "Billions"
"Stealth spending" et luxe discret sont les tendances mode de l’année. Au cours des dernières semaines de la mode, Milan, longtemps considérée comme la sœur ennuyeuse de Paris l’avant-gardiste et de Londres la créative, a enthousiasmé les insiders. Dans un monde de fast fashion, de tendances TikTok et de logomania Balenciaga, le public en a soupé de la mode. Et qui rafle la mise? Les marques discrètes comme Bottega Veneta et Max Mara qui s’appuient sur la qualité des matières, le luxe des finitions et la précision des coupes. "Ces vêtements ne crient pas: ils chuchotent", écrivait le New York Times. "En ces temps de crise économique mondiale, on n’est pas très à l’aise à l’idée de montrer que l’on a un mois de salaire sur le dos."
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La saison 4 de "Succession" sera sur Streamz à partir du 27 mars.