Ramy Moharam Fouad, réalisateur: "Je n’ai pas l’impression d’être dans l'ombre de mon frère Tamino"
À 23 ans, Ramy Moharam Fouad est réalisateur, acteur et mannequin. Il a réalisé le dernier clip de son frère Tamino "Sunflower", un duo intimiste avec Angèle. Entretien avec ce jeune cinéaste prodige.
Cheveux bruns mi-longs, pantalon noir ample et cardigan rayé: Ramy Moharam Fouad ressemble à son frère Tamino. Sans parler de ses yeux noisette chaleureux. Avec ce même regard (et sa voix enivrante), Tamino séduit des centaines de milliers de fans à travers le monde. Il perce en 2017 avec la chanson "Habibi". Il fait alors de son frère cadet Ramy son photographe et directeur de création attitré. Ramy a réalisé le premier clip de Tamino pour la chanson "Cigar". "À 16 ans seulement je devais diriger des professionnels de 30 ans; bien sûr que c’était angoissant."
Ramy y prend goût. Après ses humanités, il étudie la réalisation à Bruxelles et tourne quatre autres clips pour Tamino, mais aussi pour Blackwave, Selah Sue et Emma Bale. Pour le rappeur Zwangere Guy, il a tourné le court métrage documentaire "The Year of the Fat Man".
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Son dernier fait d’armes est le clip de "Sunflower", un duo intimiste de Tamino et Angèle. Dans cette vidéo aux allures de conte de fées, Tamino, un marin solitaire, part à la recherche de sa bienaimée. Angèle part, elle, en mission sur la Lune. "Je l’ai réalisé avec Jonathan Van Hemelrijck et Bastiaan Lochs", explique Ramy. "Trois réalisateurs sur un plateau, ça peut être intense, mais aucun d’entre nous n’aurait pu le faire seul. Notre plus grand défi a été de combiner les univers d’Angèle et de Tamino: leur musique et leur style sont complètement différents. Nous nous sommes inspirés de la collaboration entre Kylie Minogue et Nick Cave en 1995. Parce que Nick Cave est un modèle pour nous, et surtout pour Tamino, mais aussi parce que je pense que "Sunflower" a le potentiel pour devenir un aussi grand classique que 'Where the wild roses grow'."
Électron libre
Ramy parle d’une voix douce et donne l’impression d’une personne tranquille, voire timide. Pourtant, son CV raconte une tout autre histoire: on pourrait presque le qualifier d’électron libre. En effet, le jeune Anversois est impossible à épingler sur le plan créatif. Courte liste non exhaustive: outre des clips, il a réalisé plusieurs courts métrages, dont "Till I Return", nommé au Festival international de court métrage de Louvain. Il a aussi photographié les musiciens Warhaus, Oscar and the Wolf et Trixie Whitley.
Quand il n’est pas derrière la caméra, il est devant: dans la série "F*** you very, very much", diffusée sur Play 4 en 2021, il incarnait un chef cuisinier ambitieux. Il réalise des films pour les collections du designer belge Jan-Jan Van Essche, dont deux en collaboration avec le chorégraphe Sidi Larbi Cherkaoui. Et il a aussi fait ses débuts en tant que mannequin: début janvier, il a ouvert le défilé de Van Essche à Pitti Uomo à Florence. Entretien avec cet homme d'une remarquable polyvalence.
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Avez-vous encore le temps de travailler avec Tamino?
Ramy Moharam Fouad | "Pour le premier disque, "Amir", j’étais très impliqué: chaque choix visuel ou presque passait par moi. Mais, après ce premier succès, Tamino a décidé de faire une pause de deux ans et s’est coupé du monde. De mon côté, j’ai continué à travailler, mais je suis toujours son photographe de tournée, quand c’est possible. Et je suis aussi responsable de ses clips et de beaucoup de ses images. En même temps, je travaille sur le merchandising de Tamino avec un graphiste."
Ne risquez-vous pas d’être considéré comme le "frère de"?
Ramy Moharam Fouad | "Je n’ai pas l’impression d’être dans son ombre. J’ai fait mes preuves. Et le fait que certains me voient comme le frère de Tamino ne me dérange pas. Mon frère a une base de fans fidèles qui semblent me connaître et apprécier mon travail."
"Le fait que certains me voient comme le frère de Tamino ne me dérange pas."
Ramy Moharam Fouad
Réalisateur
Quand vous sentez-vous le plus dans votre élément?
Ramy Moharam Fouad | "En tant que réalisateur. J’ai commencé à 16 ans et j’étais déjà très affirmé à ce moment-là. Je n’ai pas connu de moments où j’ai senti que je devais complètement changer de style."
Liberté perdue
Il a tourné son tout premier court métrage en 2016: "Damonia" raconte l’histoire d’une femme démente qui attend en vain le retour de son mari. Un thème étonnant pour un jeune homme de son âge. Ses deux courts métrages suivants portent également sur la solitude et l’abandon. Avec son amie, l’actrice Violet Braeckman, Ramy a écrit "Shadow, till you return" sur une femme qui attend que son mari revienne du front. Et dans "Till I return", il raconte l’histoire d’un groupe de jeunes conscients qu’ils doivent partir et qui décident comment passer leur dernière soirée de liberté.
Ramy Moharam Fouad | "Mes films sont nés d’une question existentielle: que se passe-t-il quand toutes les certitudes s’effondrent? Lorsque vous devez renoncer à tous vos rêves? La pandémie et la guerre en Ukraine ont donné une douloureuse charge d’actualité à mon film. Je suis quelqu’un de très mélancolique et plutôt introverti. C’est pourquoi, dans mon travail, je cherche des histoires profondes qui, je l’espère, susciteront une réaction chez le spectateur. J’aimerais un jour aussi faire une comédie, ce qui peut aussi avoir une touche dramatique: il n’y a pas de rires sans larmes.»
"Mes films sont nés d’une question existentielle: que se passe-t-il quand toutes les certitudes s’effondrent?"
Ramy Moharam Fouad
Réalisateur
Vos courts métrages parlent de l’abandon. Cela a-t-il un rapport avec votre père, reparti en Égypte quand vous étiez très jeunes?
Ramy Moharam Fouad | "Je ne peux pas dire que j’en étais conscient pendant l’écriture du scénario, mais le fait que mon père soit retourné en Égypte très peu de temps après ma naissance m’a certainement marqué."
Pourtant, on sent une influence égyptienne dans les chansons de Tamino.
Ramy Moharam Fouad | "Je m’appuie beaucoup moins sur cet héritage que mon frère. Il a passé les premières années de sa vie avec notre père et a vécu en Égypte pendant son enfance: ça lui colle à la peau. Moi, j’ai grandi à Mortsel, pas en Égypte. Mais, bizarrement, j’ai toujours l’impression de rentrer à la maison et je sens un sentiment de paix m’envahir quand j’atterris là-bas. Ma seule manière d’intégrer mes racines dans mon travail, c’est peut-être la recherche de chaleur: je préfère les couleurs chaudes aux couleurs froides. Dans les pays d’Orient, la lumière est dorée. Ici, en Belgique, je sors rarement mon appareil photo un jour ordinaire, alors qu’en Orient, je n’arrête pas de photographier ce qu’il y a autour de moi."
Dans quelle mesure connaissez-vous l’œuvre de votre grand-père Moharam Fouad, le Frank Sinatra égyptien? Il a joué dans 13 films et chanté quelques 900 chansons.
Ramy Moharam Fouad | "Je n’ai pas encore vu tous ses films, mais j’ai hâte de découvrir son oeuvre. Je suis certain que cela m’inspirera."
Tamino et vous avez été élevés uniquement par votre mère?
Ramy Moharam Fouad | "Je peux dire sans hésiter que je ne serais pas la personne que je suis aujourd’hui sans ma mère. Nous avons été élevés de manière très libre et avons toujours pu faire notre truc. Rien n’était obligatoire et lorsque nous étions passionnés par quelque chose, c’est elle qui nous encourageait le plus. C’est pourquoi je me suis toujours senti en sécurité dans mes choix. D’ailleurs, elle est aussi très créative. Elle est anthropologue, elle joue du piano et fait des photos vraiment magnifiques. J’ai appris à connaître beaucoup d’autres esprits créatifs grâce à elle. L’ancien modèle et photographe Michel De Windt a été comme un père pour moi: il m’a montré qu’il est possible de faire de sa passion son métier."
Plus assuré et plus beau
Ramy est représenté par l’agence Noah Mgmt et pose pour des publications comme Fucking Young et 212 Magazine. Et le créateur de mode Jan-Jan Van Essche est son mentor en matière de style. "Jan-Jan m’a appris à m’habiller. Je préfère ne pas vous dire quel genre de jeans skinny j’ai portés pendant des années! Jan-Jan, mais aussi Ann Demeulemeester, m’ont fait comprendre ce que la mode peut faire pour la confiance en soi, à quel point on se sent plus assuré et plus beau."
Au début de l’année, Ramy a ouvert le défilé de Van Essche au salon Pitti Uomo à Florence. "Juste avant de monter dans l’avion, je me suis senti mal: c’était un de ces moments où le corps vous dit 'Arrête, c’est trop'. J’ai quand même tenu bon et ça a été une expérience incroyable."
Vous sentez-vous dépassé par les événements?
Ramy Moharam Fouad | "Parfois, c’est un peu trop, c’est vrai. Et c’est encore tabou de le dire. On en parle beaucoup entre nous, Tamino et moi. En tant que débutant à qui l’on offre énormément d’opportunités, vous ne m’entendrez pas me plaindre. 'Tous les jeunes de ton âge en rêvent, non?', voilà ce qu’on me dit. C’est vrai, et j’en suis reconnaissant, mais pour l’instant, mon travail ne me rend pas toujours heureux. C’est difficile de profiter de la fin de certains projets parce que la prochaine deadline m’attend déjà. Je demande parfois à des amis plus âgés quand ils ont trouvé la sérénité, ils répondent 'Jamais'. D’autres disent que l’on apprend à tout relativiser une fois qu’on a des enfants. Je trouve ça beau."
"Parfois, c'est un peu trop. Mon travail ne me rend pas toujours heureux."
Ramy Moharam Fouad
Réalisateur
Vous travaillez depuis l’âge de 16 ans, vos clips ont été vus des millions de fois: seriez-vous en train de faire fortune?
Ramy Moharam Fouad | "Pas du tout! L’âge d’or de MTV, quand le budget des clips pouvait atteindre des millions d’euros, semble définitivement révolu. Quand un clip marche bien sur YouTube, en tant que réalisateur, ça ne vous rapporte pas un centime. En ce qui concerne les droits d’auteur, il y a encore beaucoup de choses à corriger. J’ai récemment dû demander le statut d’artiste, car sans cela, je n’arriverais tout simplement pas à garder la tête hors de l’eau. On me dit souvent que tel ou tel autre projet serait une belle opportunité pour moi; très bien, mais je ne pense pas que cela doive faire obstacle à une rémunération correcte."
Les réalisateurs font souvent des clips musicaux avant de se lancer dans un projet plus important. Les considérez-vous également comme un tremplin?
Ramy Moharam Fouad | "Absolument pas. Chercher avec un artiste la traduction visuelle de ses chansons, c’est vraiment incroyable et je tiens à continuer à le faire. Bien sûr, c’est plus facile avec certains qu’avec d’autres. Dans le travail de Tamino, on peut trouver une infinité de niveaux, mais ce n’est pas le cas avec tout le monde. Une collab de rêve? Si Frank Ocean m’appelait, je ne dirais pas non."
"Une collab de rêve? Si Frank Ocean m’appelait, je ne dirais pas non."
Ramy Moharam Fouad
Réalisateur
Vous avez quand même décidé de faire une école de cinéma alors que vous travailliez déjà...
Ramy Moharam Fouad | "Ce n’était pas une décision facile. Mon style et mes goûts étaient déjà largement affirmés à l’époque. Je n’étais pas non plus d’accord avec la façon dont ce genre d’école commence par casser les gens pour ensuite les remodeler. Et là-bas, les clips vidéos n’étaient pas pris très au sérieux."
La réalisation est-elle votre vocation?
"Oui, mais aujourd’hui j’aimerais jouer davantage: je passe beaucoup d’auditions. En fait, j’ai toujours voulu être acteur, depuis mon enfance même. C’est Tamino qui mettait en scène nos petites pièces de théâtre à la maison. J’ai suivi des cours d’art dramatique et de théâtre de 8 à 17 ans. Tamino écrivait déjà des pièces de théâtre à l’âge 10 ans et me les faisait ensuite jouer. J’adorais ça! En tournant "F*** you very very much", j’ai retrouvé ma passion de jouer. Non que je ne veuille plus m’assoir dans le fauteuil du réalisateur: dans cinq ans, je voudrais travailler sur mon premier long métrage. J’ai quelques scénarios dans le tiroir, mais aucun dont je sois encore assez sûr. Je connais mes limites et je sais quand je suis prêt ou pas. Mais quand j’ai le bon script, je me lance."