Âgée de 24 ans à peine, elle est depuis près de deux ans à la tête d’un empire de la mode, Diane von Fürstenberg (DvF). Une entreprise qui a connu des succès, mais aussi des échecs. Comment Talita von Fürstenberg compte-t-elle marquer de son empreinte la marque fondée par sa grand-mère il y a 50 ans?
Talita von Fürstenberg a de longs cheveux blonds, des yeux de biche et un sourire discret. Sa page Instagram, parfaitement orchestrée, est une merveilleuse succession de souvenirs de voyages et d’événements mondains. Nulle trace du froid et pluvieux Bruxelles et, pourtant, elle est dans la capitale pour l’exposition consacrée à Diane von Fürstenberg au Musée Mode & Dentelle, qui vient de rouvrir ses portes.
Ce matin, la grand-mère et sa petite-fille - la première a fondé sa marque de mode il y a 50 ans, la seconde en est la coprésidente depuis près de deux ans - ont visité l’établissement où Diane a passé ses tendres années, l’école primaire Henriette Dachsbeck. En fin d’après-midi, elles se feront photographier sur la Grand-Place au sein d’une armada de femmes vêtues de l’iconique "wrap dress" DvF. Des femmes qui sont autant de modèles inspirants, car l’émancipation est le sujet de prédilection de la créatrice, ainsi que la promesse de la marque.
"Je voulais commencer le plus rapidement possible, afin de pouvoir utiliser mon nom à bon escient."Talita von Fürstenberg
Une famille puissante
Talita nous accueille dans la Suite Diane von Fürstenberg de l’hôtel L’Amigo, le pied-à-terre de Diane au cœur de Bruxelles. Le week-end dernier, elle était à Nice pour assister à un mariage, accompagnée de son chéri, Rocco Brignone de Brabant. Même si elle ne s’en réclame pas, Talita est officiellement princesse. Sa grand-mère Diane, née à Bruxelles, a épousé en 1969 un aristocrate allemand, le prince Egon von Fürstenberg. Leur fils, le prince Alexander, est le père de Talita. Elle descend donc à la fois de la maison royale allemande et de l’empire industriel fondé par la famille Agnelli. Par sa mère, elle est également héritière de la fortune bâtie par Robert Warren Miller grâce aux boutiques hors-taxes DFS.
Ce pédigrée est tel que Talita a déclaré en plaisantant qu’elle avait "gagné à la loterie des ovaires". Elle est parfaitement consciente du fait que cela lui offre de nombreux avantages, mais elle est également déterminée à en faire quelque chose. Sa grand-mère a élaboré un plan pour elle.
"J’ai tellement de privilèges que d’autres n’ont pas!", témoigne Talita. "La pression est énorme. C’est pourquoi je voulais commencer le plus rapidement possible, afin de pouvoir utiliser mon nom à bon escient." Notamment en veillant à ce que la marque de sa grand-mère, fondée il y a exactement un demi-siècle, reste pertinente en termes de contenu. "Non que j’aie l’intention de m’adresser à un groupe ultra jeune", précise Talita. "DvF s’adresse aux femmes puissantes, quoi qu’elles fassent. L’âge n’a aucune importance à cet égard et nos clientes viennent aussi bien de Chine que de Belgique ou des États-Unis. Ce qui compte, c’est l’état d’esprit: je pense que nos clientes partagent toutes la même joie de vivre."
Lorsque ses parents se sont séparés en 2002, Talita n’avait que trois ans. C’est alors que sa grand-mère a commencé à jouer un rôle plus important dans sa vie. "Comme elle n’a jamais voulu qu’on l’appelle grand-mère, je l’appelais Dee Dee". Dee Dee lui a apporté la stabilité dans une période chaotique. Quand sa mère est partie vivre à Los Angeles, elle l’a suivie, ce qui fait qu’elle a passé son enfance entre New York et la Californie. Aujourd’hui, à 24 ans, elle se tient aux côtés de Diane von Fürstenberg en tant que coprésidente à la tête de son empire de mode.
Assurer la pérennité
Un empire qui a pris de l’ampleur grâce à une pièce iconique, la robe portefeuille ou "wrap dress", et qui a connu des hauts et des bas. Lors du dernier creux financier, juste avant la pandémie, l’entreprise a été restructurée de façon drastique. Elle a été délestée de nombreuses boutiques trop coûteuses, mais les flasgship stores de Bruxelles et Knokke sont restés ouverts. En même temps, l’accent a été mis davantage sur les ventes en ligne ainsi que sur une nouvelle joint-venture avec la société chinoise Glamazon. "Si je garde l’entreprise, c’est parce que Talita va la reprendre", avait déclaré Diane à l’époque.
Devoir assurer la pérennité de la marque n’est-il pas un poids trop lourd pour les épaules d’une jeune femme de 24 ans? "Honnêtement, oui", répond Talita. "C’est beaucoup de travail et de responsabilités, mais c’est aussi très excitant de pouvoir participer au redressement d’une marque avec un tel héritage et d’aussi riches archives. La moderniser pour la nouvelle génération et la rendre à nouveau pertinente, c’est passionnant. La marque DvF est passée du succès fou à un intérêt plus mitigé: c’est inhérent à la mode. Pourtant, la robe portefeuille est toujours là. Les femmes veulent toujours la porter. Et c’est passionnant de faire partie d’une telle histoire, mais c’est aussi très intéressant de travailler avec ma sage grand-mère."
Il y a quatre ans, Diane avait permis à la jeune Talita de créer ses premières collections capsule sous l’appellation "TvF for DvF". Dans l’intervalle, la jeune femme a appris à mieux connaître l’entreprise. "J’ai toujours été passionnée par la mode et la marque. J’y ai fait un stage tous les étés depuis l’âge de 11 ans. Il n’y a pas un seul département dans lequel je n’ai pas travaillé. Et mes collections capsule ont été un excellent moyen d’apprendre comment créer et se faire livrer un produit de mode."
Relations internationales
La jeune femme a fait ses armes, et ce, dans de nombreux domaines. En 2015, elle a été en couverture du magazine britannique Tatler. En 2017, elle a défilé pour Dolce & Gabbana et a été mannequin pour Teen Vogue, où elle a également fait un stage. Elle a été l’une des stagiaires de l’équipe de campagne d’Hilary Clinton. De toute évidence, son nom lui ouvre des portes. Mais, selon Diane, elle a une discipline de fer et une éthique de travail admirable.
De plus, elle a étudié les relations internationales à l’université de Georgetown à Washington DC, une orientation qui combine la résolution des conflits et la philanthropie. Un jour par semaine, elle prenait le train pour New York pour se rendre à son travail chez DvF. "À la longue, ce voyage en train de trois heures à l’aller et autant pour le retour était devenu une perte de temps", explique Talita. "Ma vie était à New York et je me suis donc inscrite à la School of Foreign Service pendant deux ans et, ensuite, à l’université de New York où j’ai suivi le cours "Future of Fashion and Sustainability" (avenir de la mode et durabilité, NDLR) pendant deux ans aussi. Ce n’était pas une formation créative. J’ai toujours eu le sens du style et une bonne compréhension de l’aspect créatif: j’ai pensé qu’il était plus important d’étudier le côté commercial de ce business."
"J’ai toujours eu le sens du style et une bonne compréhension de l’aspect créatif."Talita von Fürstenberg
Talita a commencé sa carrière dans une entreprise entièrement restructurée. Le rôle de présidente n’était-il pas un cadeau empoisonné? "Nous existons depuis 50 ans déjà et travaillons depuis un certain temps sur la manière de fonctionner le plus efficacement possible", réfute Talita. "Nous avons décidé de nous concentrer davantage sur nos ventes en ligne et nos activités en Chine avec les partenaires que nous avons là-bas depuis 20 ans déjà. Lorsque la pandémie a compliqué les expéditions entre la Chine et les États-Unis, nous avons décidé d’assurer toute la production en Chine. Une bonne façon de découvrir ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas."
Se recentrer sur son ADN
Par conséquent, la marque DvF ne propose plus que des vêtements: toutes les autres licences ont été abandonnées. Ce choix de limiter la gamme est-il pérenne? Talita hausse les épaules en souriant et déclare avec fierté: "Depuis deux ans que je suis présidente, nous sommes bénéficiaires. Nous plaçons ce critère au premier plan de nos décisions. Dans le passé, le problème de DvF était que nous avions trop de contrats de licence et de catégories de produits. Nous produisions des collants, des tasses, des assiettes, des produits pour la maison, des parfums, du maquillage, des bijoux, des bagages, etc. À un moment donné, cela a dilué l’authenticité de la marque. Celle-ci était devenue un simple logo apposé sur un objet."
"Vous devez sentir si un produit vaut la peine d’être associé à votre nom, sinon, vous affaiblissez l’ADN de votre marque. Nous avons l’intention de nous limiter à la mode pour femme, mais il ne faut jamais dire jamais! Je pense à la décoration ou à la beauté: si nous recevons une offre incroyable d’un distributeur formidable qui fabrique d’excellents produits et a une superbe histoire, pourquoi pas? Nous sommes ouverts à toute idée, il faut juste qu’elle soit bien exécutée avec un partenaire en qui nous avons confiance."
Influenceuse avant la lettre
L’émancipation est la promesse que Diane von Fürstenberg a faite aux femmes. En cela, elle a été influenceuse et activiste avant la lettre, sans pour autant monter sur les barricades du féminisme. Comment devons-nous comprendre cette "empowered community" aujourd’hui, cinquante ans après la fondation de la marque? Talita explique: "Vous savez, le marché de la mode est saturé. Les gens peuvent faire leurs achats en ligne et il y a énormément de marques qui proposent des robes imprimées comparables aux nôtres. La question est donc la suivante: en quoi la marque DvF est-elle différente? La réponse est simple: notre communauté. Les femmes sont fières de porter notre marque parce qu’elles sont fières de faire partie d’une histoire. C’est la raison pour laquelle elles continuent à venir chez nous, parce que nous leur offrons un moyen de se sentir autonomes et sûres d’elles".
Votre grand-mère, Diane von Fürstenberg, est aujourd’hui âgée de 75 ans, mais semble encore tenir fermement les rênes. Exerce-t-elle toujours une grande influence sur les décisions quotidiennes de l’entreprise? "Oui. L’entreprise est son bébé; elle ne la lâchera jamais tout à fait", répond Talita.
"Nous offrons aux femmes un moyen de se sentir autonomes et sûres d’elles."Talita von Fürstenberg
Mais cela ne complique-t-il pas votre position de coprésidente? Talita hésite: "Nous avons parfois des points de vue différents. J’ai 24 ans, elle en a 75. Nos goûts diffèrent. Et nous avons aussi des opinions différentes concernant les attentes des clientes. Chaque jour a lieu une discussion à bâtons rompus. Il faut donc savoir bien argumenter. Pour moi, c’est important d’écouter son point de vue. Et je trouve qu’elle doit connaître le mien. J’apprends et j’évolue chaque jour. Avoir ma grand-mère comme modèle est à la fois passionnant, stressant et inspirant. Elle m’appelle 25 fois plus souvent que n’importe qui d’autre sur ma liste de contacts".
- L’exposition "Diane von Fürstenberg – Woman before fashion" est présentée jusqu’au 7 janvier 2024 au Musée Mode & Dentelle, Rue de la Violette 12 à Bruxelles.
- www.fashionandlacemuseum.brussels