Elle est l’une des influenceuses les plus suivies du Benelux sur Instagram. Negin Mirsalehi a fondé la marque de cosmétiques Gisou avec son compagnon Maurits Stibbe. Ils se sont adressés à l’agence Framework Studio pour la décoration de leur duplex à Amsterdam.
Difficile d’imaginer que dans ce bâtiment presque quelconque d’Amsterdam se cache un duplex cossu et que l’un "it-couple" y vit. "Maurits Stibbe et Negin Mirsalehi sont tellement absorbés par Gisou, leur label de produits de beauté, qu’ils ont voulu créer ici un havre de paix", explique Thomas Geerlings, fondateur de l’agence Framework Studio. Cet autodidacte a étudié l’immobilier à la TU Delft.
"Pourtant, je n’avais aucune envie de devenir agent ou promoteur immobilier", explique-t-il. Il se lance dans la conception d’intérieurs en parallèle de ses études. En 2003, il fonde son agence de design à Amsterdam, qui compte désormais des succursales à Paris et à Ibiza. La reconnaissance ne s’est pas fait attendre et le studio fait partie du "Top 100" du magazine de décoration AD France. "C’est une récompense pour tous ceux qui travaillent ici. Cela signifie que nous sommes sur la bonne voie."
Autre signal positif: après leur habitation, Stibbe et Mirsalehi viennent de faire appel à lui pour un second projet: les nouveaux bureaux de Gisou. "Un projet de rénovation de 1.000m² sur la Nieuwe Spiegelstraat, un emplacement de choix à Amsterdam. Cet endroit ressemblera également à un foyer chaleureux, de sorte que les télétravailleurs seront heureux de revenir au bureau après la pandémie."
Mélange de design et de vintage
Ce n’est pas parce que Gisou s'est fait une réputation grâce à ses produits pour les cheveux à base de miel que Framework Studio a opté pour des tons "mielleux". Les pièces et le mobilier sur mesure de l’habitation sont baignés de gris-blanc et vert poudre, des couleurs intermédiaires indéterminées, qui respirent avant tout la sérénité. Le côté plus nerveux réside dans le mélange contrasté de pièces de design contemporain et vintage. Ainsi, on peut croiser un coussin miroir "In Hale" du designer belge Ben Storms (2017), une chaise "Miss Dorn" (1982) de Philippe Starck et l’iconique chaise longue "C5" rouge de Klaus Grabe, datant des années 50.
"Je ne veux pas dessiner des maisons lisses, dans lesquelles chaque détail a été mûrement réfléchi. Pour moi, un intérieur doit être légèrement éclectique, comporter des éléments de différents styles et époques. Cela peut paraître un peu désordonné, mais la vie est, elle aussi, imparfaite. J’aime quand un intérieur n’est pas tout à fait ‘parfait’. C’est la force de nos habitations: lorsque vous y entrez à l’improviste, elle ressemble plus ou moins aux photos."
7 millions d’abonnés
Negin Mirsalehi et Maurits Stibbe ont créé Gisou dans la cuisine de leur précédente maison, en 2014. Stibbe était alors consultant chez PwC et Mirsalehi avait fait carrière en tant qu’influenceuse après des études de marketing. La Néerlandaise d’origine iranienne réalisait des "stories authentiques" sur la mode, les accessoires et les cosmétiques. Avec 7 millions d’abonnés sur Instagram et 513.000 sur YouTube, elle est ajourd’hui l’une des plus grandes influenceuses du Benelux. "La plupart des abonnés sont aux États-Unis où nous réalisons la moitié du chiffre d’affaires de Gisou", précise Stibbe.
Personal branding, talent entrepreneurial et histoire familiale ont ouvert la voie à Gisou. Mirsalehi se plaît à expliquer que sa famille est active dans l’apiculture depuis six générations. Son père s’installe en 1985 dans la ville néerlandaise d’Almere, où elle naît et grandit. À la maison, on utilisait du miel pour à peu près tout. Sa mère, coiffeuse, se lance dans l’élaboration de produits de soins capillaires à base de miel dont Negin est la première et la plus grande fan. En 2015, après deux ans de recherche, elle réussit à trouver une formule permettant de produire à échelle industrielle le soin magique de sa mère. C’est ainsi que naît le premier produit: l’huile capillaire au miel aux vertus réparatrices, nourrissantes, et fortifiantes, bientôt suivi par un deuxième produit, un spray. La ligne compte aujourd’hui 15 produits, dont des masques, de l’huile pour les lèvres et le peigne "parfait", fabriqué à la main en Suisse.
"En tant que Belge, vous trouverez peut-être nos projets trop décorés, alors que les Néerlandais nous trouvent trop minimalistes."
En termes de marketing, Mirsalehi et Stibbe n’ont rien à apprendre. En 2016, Forbes place Mirsalehi sur sa célèbre liste "30 under 30". À l’époque, une vingtaine de personnes travaillaient déjà pour elle; elles sont septante aujourd’hui. Gisou (qui signifie "cheveux d’or" en persan) a d'abord été disponible sur sa propre boutique en ligne, mais, depuis 2020, la marque est également distribuée via le réseau mondial des boutiques Sephora, Selfridges, Niche Beauty, Mecca et Revolvers.
Le couple vise un chiffre d’affaires de 100 millions d’euros d’ici 2023, ni plus ni moins. Après un premier investissement externe réalisé en 2020 par le fonds privé Vaultier7, basé à Londres, un deuxième tour de financement est en préparation. "Nous ne visons pas une stratégie de ‘Pump & Dump’: nous préférons le long terme et, surtout, bâtir une marque forte. Gisou est une entreprise familiale, liée à l’histoire personnelle de Negin. Sa vente n’est pas à l’ordre du jour."
Confort et provocation
Framework Studio affiche également un beau parcours international. L’agence néerlandaise travaille actuellement sur deux grands hôtels à Paris. De nombreuses missions résidentielles, de l’Espagne à l’Allemagne, en passant par le Liban, sont également sur la table. Et le studio a récemment conçu des boutiques pour des clients tels que Vlisco, Karl Lagerfeld et Pauw. Comment l’agence gère-t-elle toutes ces commandes si différentes? Quel est son secret? "Nous ne nous cramponnons pas à une palette de matériaux reconnaissables et récurrents. Je considère une signature comme une limitation", déclare Geerlings.
"Nous ne sommes pas liés à un modèle ni à un style. Au contraire, nous voulons être très libres. Si nous décidons demain de peindre tout un intérieur en rose, personne ne pourra dire que ce n’est pas notre style. Qu’est-ce que cela vous apporte si votre signature est, disons, des ‘poignées de porte noires’? Cela ne fera que vous freiner. Bien sûr, nous avons des préférences esthétiques, mais, au final, le client et le lieu déterminent le résultat. Si vous entrez dans un de nos intérieurs les yeux bandés, vous devez, une fois la vue retrouvée, pouvoir sentir immédiatement où vous vous trouvez: dans une ville, sur une plage, sur une île, dans un climat chaud ou froid", ajoute-t-il.
"Confort et provocation": voilà comment Framework Studio résume son travail. Mais qu’y a-t-il de si provocant dans l’intérieur de Maurits et Negin? "Aux Pays-Bas, le style de conception n’est pas du tout le même qu’en Belgique. Chez vous, on opte souvent pour un intérieur minimaliste et chaleureux, avec de belles pièces de design du passé. Aux Pays-Bas, par contre, nombreux sont ceux qui recherchent le confort d’une maison à l’aménagement cossu, avec un plan de travail en marbre, un parquet en point de Hongrie et une façade en acier. C’est un monde de différence! En tant que Belge, vous trouverez peut-être nos projets trop décorés, alors que de nombreux Néerlandais nous trouvent trop minimalistes. C’est précisément dans cette zone d’entredeux que nous opérons. La différence, c’est aussi que la quasi-totalité de nos collaborateurs sont des architectes. Et ça se sent. Nous concevons des espaces, nous ne les décorons pas."
La rançon du succès? À l’exception notoire de Mirsalehi et Stibbe, Geerlings n’est pratiquement jamais autorisé à mentionner le nom de ses clients. "Nous sommes de plus en plus souvent liés par des accords de confidentialité. C’est vrai, c’est difficile parce que si vous n’êtes pas autorisé à présenter votre travail, à quoi bon le faire? Cela donne l’impression que vous n’avez réalisé une mission que pour l’argent alors que, pour moi, faire fortune n’est pas une motivation suffisante. Ce qui me motive, c’est venir travailler ici et m’installer à mon bureau avec le sourire. Et nous espérons qu’il en va de même pour nos collaborateurs. Si je voulais gagner de l’argent, je ferais mieux de retourner à l’immobilier."