Heidi Valkiers et Klaas Storme travaillent encore sur leur toute nouvelle forêt alimentaire: "Nous n'avons pas encore récolté une seule boule".
Heidi Valkiers et Klaas Storme travaillent encore sur leur toute nouvelle forêt alimentaire: "Nous n'avons pas encore récolté une seule boule".
© Alexander D'Hiet

Deux pionniers des forêts nourricières en Belgique

Des champignons aux herbes aromatiques, en passant par les mûres, les pommes et les abricots: on récolte toute l’année. Le jardin d’Eden? Non, juste la forêt nourricière, dernière tendance outdoor. Entretien avec deux pionniers belges à propos de leur petit coin de nature regorgeant de poires, de cerises, de noisettes et d’orties. "Les huit premières années, il faut surtout attendre."

01. Apprentis mains vertes: Forêt nourricière "De Grond", Ranst

Qui? Klaas Storme (dessinateur) et Heidi Valkiers (podologue).

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Quoi? Une forêt nourricière d’un hectare, aménagée sur 2,2 hectares de terres agricoles.

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Stade? Phase initiale et de conception.

© Alexander D'Hiet

"Nous n’avons encore rien récolté!" Heidi Valkiers m’accueille à la porte de sa forêt nourricière à Ranst, "De Grond". "En décembre, nous avons participé à un atelier sur la greffe des champignons sur du bois. Nous espérons bientôt récolter nos premiers pleurotes."

Il y a deux ans, Heidi Valkiers et Klaas Storme ont acheté un terrain pour en faire une forêt nourricière. "De Grond" est situé le long d’une route de campagne. À première vue, tout semble en jachère. "Quand nous sommes arrivés, le terrain était envahi de ronces d’environ trois mètres de haut", explique Storme. "À l’aide d’une débroussailleuse, je défriche les 2,2 hectares de terrain au fur et à mesure: nous visons une forêt nourricière d’un hectare. Il faut parfois jusqu’à 15 ans pour que ce type de forêt arrive à maturité et nous n’en sommes qu’à la phase de démarrage. Pour l’aménager, il faut surtout de la patience, tout le monde me le dit, mais ce n’est pas mon fort!"

"Il faut parfois jusqu’à 15 ans pour qu’une forêt nourricière arrive à maturité." Klaas Storme et Heidi Valkiers devront être patients.
"Il faut parfois jusqu’à 15 ans pour qu’une forêt nourricière arrive à maturité." Klaas Storme et Heidi Valkiers devront être patients.
© Alexander D'Hiet

La main verte

Le terrain se trouve tout de même à 6 kilomètres de leur domicile. "Alors que je passais par là à vélo, j’ai vu un panneau ‘à vendre’ tout abîmé", raconte Storme. "C’était un beau cas de sérendipité: nous n’étions absolument pas à la recherche d’un tel projet, mais c’était exactement ce dont nous avions besoin."

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Lorsque Valkiers et Storme achètent cette parcelle, ils n’ont jamais entendu parler de forêt nourricière. "C’est un ami architecte qui nous en a donné l’idée", poursuit Valkiers. "Maintenant, nous y passons environ trois jours par semaine, et encore plus en été alors qu’au départ, nous n’avions pas du tout la main verte!"

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© Alexander D'Hiet

Dans l’intervalle, il y a une petite serre, dans laquelle le couple range son matériel. Autour d’un braséro, Valkiers et Storme ont installé quelques meubles de jardin. Et ils ont accroché une balançoire pour le fils de Valkiers, âgé de 10 ans, à une grosse branche d’arbre. Malgré le froid de l’hiver, les flaques d’eau et la boue, résultat de la pluie incessante, l’endroit est convivial.

Au beau milieu de la cour se trouve une petite prairie avec un poulailler. Lorsque le couple est là, les poules peuvent se promener en toute liberté. "Nous avons également eu des contacts avec le berger de la ville d’Anvers, qui pourra bientôt laisser quelques-uns de ses moutons pâturer ici", ajoute Valkiers.

Il nous montre une petite parcelle déjà débroussaillée. "Nous voulons y aménager un étang naturel qui recueillera l’excédent d’eau. Dans notre enthousiasme, nous avions planté quelques arbres fruitiers, mais, dès qu’il pleuvait, ils avaient les pieds dans l’eau! Alors, nous les avons surélevés sur des petites buttes pour les protéger, mais c’est une solution temporaire."

Essais et erreurs

"Aménager une forêt nourricière comme celle-ci, c’est faire des essais et des erreurs", confie Valkiers. "J’apprends sur le tas et je suis des ateliers de formation, ce qui me permet de rencontrer des gens qui peuvent m’aider." Et, oui, cultiver la terre, c’est un vrai métier qui ne s’improvise pas.

"Il y aura peut-être aussi des amandiers, même si nous visons surtout les essences indigènes."
Heidi Valkiers

Pour la conception de leur projet, le couple travaille en collaboration avec Ona Meirlaen. Une forêt comme celle-ci doit "imiter" les différentes couches d’une lisière fertile. "La canopée est constituée d’arbres hauts, comme des noyers ou des noisetiers", détaille Valkiers. "À terme, je voudrais avoir une production stable de noisettes, dont je pourrai même tirer un petit revenu. Un peu plus bas, il y aura des arbres fruitiers - pommiers, poiriers et abricotiers. Sur la couche inférieure, les souches et le sol, nous espérons qu’il y aura des champignons. Nous planterons peut-être aussi quelques amandiers, mais nous visons surtout les essences indigènes, qui s’épanouissent dans notre climat. Nous voudrions tout acheter et planter cet été."

Planter une forêt nourricière, c’est faire des essais et des erreurs. En participants à des ateliers de formation, Heide Valkiers a aussi fait connaissance avec d’autres personnes qui partagent ses idées.
Planter une forêt nourricière, c’est faire des essais et des erreurs. En participants à des ateliers de formation, Heide Valkiers a aussi fait connaissance avec d’autres personnes qui partagent ses idées.
© Alexander D'Hiet

Four à pizza en argile

"De Grond" ne sera pas seulement une forêt nourricière. "Nous voudrions que ce soit avant tout un lieu de rencontre, un endroit où nous pourrons organiser des ateliers sur la nature. Nous avons déjà des contacts avec l’organisation Bos+, qui travaille avec des entreprises qui participent à la plantation de ce type de forêts nourricières sous forme de teambuilding. Ainsi, de plus en plus de personnes apprendront le mode de fonctionnement des forêts-jardins."

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© Alexander D'Hiet

Autrement dit, il s’agit d’un double projet: une forêt nourricière doublée d’une forêt d’inspiration. Le couple précise son projet: "Nous avons déjà étudié une foule d’idées", déclare Storme. "Au début, je voulais faire quelque chose dans l’esprit du Labiomista de Koen Vanmechelens à Genk ou de la Verbeke Foundation à Kemzeke. Je connais pas mal d’artistes qui pourraient exposer leurs œuvres ici."

Pour Valkiers, le site peut aussi être une forêt de jeux. "Mon fils vient ici pour grimper dans les arbres avec ses copains. Le plus important pour moi, c’est que ce soit un lieu de rencontre. Nous allons bientôt installer un four à pizza en argile pour terminer les journées avec un morceau de pizza toute chaude et un bon verre de vin."

02. Du vrai, du bon, du beau: Forêt nourricière "Le Jardin d’Ève", Ittre

Qui? Ophélie Goemaere (géologue) et son père, Damien Goemaere (fondateur et CEO à la retraite de Distec International, une entreprise spécialisée dans la distribution de concepts de santé, de beauté et de bien-être).

Quoi? Forêt-jardin de 10 ares.

Démarrage? En 2017.

Stade? Phase de production.

Damien Goemaere est CEO à la retraite. Sa fille Ophélie, géologue de formation, a quitté son emploi pour se consacrer à plein temps à leur projet de jardin.
Damien Goemaere est CEO à la retraite. Sa fille Ophélie, géologue de formation, a quitté son emploi pour se consacrer à plein temps à leur projet de jardin.
© Alexander D'Hiet

"Certaines forêts nourricières ressemblent à un désert vert et chaotique", explique Damien Goemaere, qui a créé avec sa fille Ophélie "Le Jardin d’Ève". "Ce n’est pas le cas ici. Nous voulions que notre forêt-jardin soit placée sous le signe d’un équilibre biologique et écologique sain, mais aussi esthétique. D’où notre slogan: du vrai, du bon, du beau." Leur mission semble réussie: même au cœur de l’hiver, sans fleurs ni feuilles sur les arbres, "Le Jardin d’Ève" à Ittre, dans la région vallonnée du Brabant wallon, fait plaisir à voir et réjouit les amoureux de la nature. Avec ses rangées soignées d’arbustes à baies, d’arbres fruitiers et de noyers, son sol recouvert d’écorces, la forêt ressemble davantage à un verger ou à un potager, mais on m’assure que cette parcelle a été aménagée selon les principes de la forêt nourricière.

Patience!

"La première année, nous n’avons pas planté une seule graine ni un seul arbre", explique l’ancien entrepreneur. "Pendant quatre saisons, nous avons juste dû observer, ce qui était nouveau pour moi. Chaque mois, nous prenions des photos pour voir où il y avait le plus de soleil et notions la direction du vent dominant. Nous prélevions également des échantillons de sol afin d’en savoir plus sur sa structure et sa composition."

Au bout d’un an, le père et la fille décident de recouvrir le sol de 30 centimètres de fumier et de paille, afin de le nourrir et de l’alléger. "Sur cette base saine, nous nous sommes mis au travail. Le terrain est légèrement en pente et orienté au sud. Comme nous avons planté de grands arbres à l’arrière pour faire paravent, il fait généralement 1 ou 2 °C de plus dans notre forêt-jardin que sur le reste de la parcelle."

Ophélie et Damien Goemaere ont recréé une lisière de forêt fertile selon le système multicouche en vigueur. De haut en bas, on trouve la canopée, puis une couche intermédiaire, une couche d’arbustes, des herbes aromatiques, des couvre-sols, des plantes grimpantes et enfin, des racines et des tubercules. "Une forêt nourricière est au maximum de sa productivité quand toutes les couches sont en parfaite harmonie, mais ça peut prendre jusqu’à huit ans."

© Alexander D'Hiet

Tisanes et herbes aromatiques

Les couches d’arbustes et d’herbes aromatiques relèvent du domaine d’expertise d’Ophélie, qui, en tant que tisanière, est spécialisée dans la préparation d’infusions. "Les tisanes sont des infusions comme le thé, sauf que nous n’utilisons pas de feuilles de thé pour les préparer", explique-t-elle. "De nombreuses tisanes ont des propriétés préventives ou médicinales."

"Le Jardin d’Ève" vend sa production telle quelle ou transformée. Par exemple, du sel aromatisé avec leurs récoltes d’herbes.
"Le Jardin d’Ève" vend sa production telle quelle ou transformée. Par exemple, du sel aromatisé avec leurs récoltes d’herbes.
© Alexander D'Hiet

Comme sa "tisane Immunity", à base d’origan, de thym et de lavatère, pour apaiser  les symptômes du rhume et de la grippe, par exemple. La "tisane Detox", à base de pissenlit et d’ortie, nettoie les filtres de notre organisme (le foie et les reins), ce qui n’est pas une mauvaise idée en vue du printemps. "Je suis géologue de formation, mais j’ai quitté mon emploi pour me consacrer à plein temps au jardin", confie-t-elle. "Nous voulons montrer qu’il est possible de rendre les jardins alimentaires productifs et économiquement rentables. Outre les tisanes, nous vendons également nos fruits, frais ou sous forme de confiture et de compote. Et avec nos herbes aromatiques, nous faisons du sel aromatisé."

Comment font-ils pour s’assurer d’avoir une bonne récolte sans lutter contre les maladies, les mauvaises herbes et les ravageurs? "On peut éviter certaines maladies en ne pratiquant pas la monoculture", explique Damien. "Dans notre magasin, vous ne trouverez que cinq sortes de pommes, mais il y en a environ 500 en réalité. Dans un verger traditionnel, composé d’une seule et unique variété, si un arbre est attaqué par les ravageurs, toute la récolte est fichue. Comme nous avons énormément de variétés différentes, s’il y a une maladie, elle n’affectera pas tous les arbres."

© Alexander D'Hiet

Connaissances partagées

C’est lors d’un stage de formation dans le village du Bec-Hellouin, dans le nord de la France, que Damien a appris les bases de sa nouvelle activité, ainsi que d’autres éléments nécessaires à la pratique de l’agriculture biologique. La ferme de Perrine et Charles Hervé-Gruyer est une sorte d’académie de la permaculture, une forme d’agriculture écologique inspirée de la nature.

"Outre les tisanes, nous vendons également nos fruits, frais ou sous forme de confiture et de compote."
Ophélie Goemaere

"J’ai été CEO pendant 35 ans avec beaucoup de plaisir", explique-t-il. "Mais le monde des entreprises a généralement tendance à ne pas communiquer les informations et les innovations, afin de garder une longueur d’avance sur la concurrence. Dans le monde des forêts nourricières et de la permaculture, c’est le contraire: les connaissances se transmettent facilement et librement. Cela change tout!"

Ophélie Goemaere a appris son métier chez une tisanière à Bruxelles, où elle a été apprentie. "Aujourd’hui, moi aussi je partage mes connaissances, en donnant des ateliers et des formations. Ceux qui sont intéressés peuvent même venir travailler ici deux jours par semaine, pendant six mois. Des entreprises et des organisations s’adressent également à nous: Bruxelles Environnement est venu nous voir pour obtenir davantage d’informations sur les principes régissant les forêts nourricières."

"Une forêt-jardin est toujours basée sur les trois mêmes principes", conclut Damien Goemaere. "Tout d’abord, une forêt nourricière vous permet de prendre soin de la nature. Travailler dans et avec la nature est également bon pour la santé, physique et mentale. Et en partageant les connaissances et les fruits de votre travail, vous pouvez aussi prendre soin des autres."