Lâchez-le dans un hôtel anversois vide, en pleine jungle colombienne ou sur un volcan argentin et Nils Verkaeren en reviendra avec des peintures chatoyantes. "Ne me faites pas travailler dans mon atelier; je serai malheureux", dit-il.
Au début du mois d’avril, si tout se passe comme prévu, l’Hôtel Flora ouvrira ses portes au cœur d’Anvers. Un boutique-hôtel installé dans une maison de marchand du XVIe siècle, décorée par Gert Voorjans. En coulisses, l’équipe de Pieter Robert, qui fait ses premiers pas dans l’hôtellerie, teste les lieux.
Mais, il y a exactement un an, Nils Verkaeren (né en 1980) y était déjà, allongé dans sa baignoire, dans une pièce entièrement vide. "Je regardais le plafond et je me suis dit ‘qu’est-ce que cette vue est ennuyeuse!’ Je me suis levé, j’ai pris mes pinceaux et, à moitié couvert de mousse, je me suis mis à peindre le plafond."
En une semaine, l’artiste anversois a peint des dizaines de cheminées et de murs. Des paysages suggestifs, de vibrants cytises, un ciel nuageux. C’est Voorjans qui a eu l’idée de laisser faire Verkaeren dans l’hôtel. Par le plus grand des hasards, la famille Robert avait des œuvres de Verkaeren dans sa collection privée.
"Les murs et les plafonds avaient été peints dans les couleurs choisies par Gert. Il m’a demandé d’ajouter des ‘tatouages dosés’, comme si un peintre y avait vécu et laissé son empreinte", explique Verkaeren. "J’étais d’un enthousiasme enfantin lorsque, en plein confinement, on m’a lâché dans l’hôtel encore vide. Je me sentais comme un gamin dans un château hanté, qui pouvait dessiner partout sur les murs."
Ivre de Peinture
"The wall is my sketchbook" est le titre qu’a donné Verkaeren à son œuvre d’art. Pourtant, ces tatouages impressionnistes ne sont pas représentatifs de son travail. En effet, il ne peint généralement pas des paysages à partir de son imagination, mais de la réalité. À noter qu’il ne suit pas pour autant la tradition de Monet, Renoir ou Sisley. "Je pense que l’impressionnisme en tant que tentative de capturer la lumière, le paysage et l’instant est voué à l’échec. Au moment où vous avez mélangé vos couleurs, le nuage que vous vouliez peindre a disparu", explique-t-il.
"Ce qui est amusant, c’est que, même si mes tableaux traversent toutes sortes d’épreuves en chemin, dans ma galerie, on les manie avec des gants blancs."Niels Verkaeren
Nils Verkaeren est un peintre paysagiste qui crée à partir de conditions de travail aventureuses: une sorte de croisement entre Monet et Indiana Jones. Il pose son chevalet à des endroits qui rendent la peinture presque impossible. Le week-end où la tempête Eunice a balayé notre pays, il a réalisé une performance sur la plage d’Ostende. "J’ai dû fixer ma toile sur un poteau pour travailler. Dans cette peinture, on sent l’instinct de survie." Une semaine plus tôt, il s’était enfermé pendant trois jours dans un conteneur en verre pour réaliser trois paysages en grand format. "Je voulais y passer la nuit, mais l’odeur de la peinture à l’huile m’a tellement pris au nez que j’ai dormi dehors."
Lutter contre la nature
Pendant le confinement, l’artiste a été contraint de réaliser ses projets en Belgique. "La commande pour l’Hôtel Flora est arrivée à point nommé", sourit-il. "Mais j’aspire à nouveau à l’aventure et à la couleur." Avant la pandémie, tel un ermite des temps modernes, il allait régulièrement en pleine nature pour peindre. Lors d’un roadtrip en Argentine, il a escaladé un volcan de 1.000 mètres d’altitude avec une toile de 2 mètres et un pot de peinture pour carrosserie. À 150 kilomètres de toute civilisation, il y a peint son expérience dans ce paysage.
Dans la jungle colombienne, il a dû se battre contre la nature et lui-même. "Il arrive qu’une averse tropicale transforme ma peinture en outre d’eau. Ce qui est amusant, c’est que, même si mes tableaux traversent toutes sortes d’épreuves en chemin, dans ma galerie, on les manie avec des gants blancs."
Du pur masochisme? Ou bien ces aléas rendent-ils ses œuvres meilleures? "Je pense que oui, car ces événements inattendus influencent ma façon de travailler", répond-il. "Dans les régions tropicales, j’ai dû utiliser d’épaisses couches de peinture, sans quoi elle séchait trop vite. Du coup, je travaille plus souvent avec de la peinture humide. En créant des situations difficiles, je fais ressortir mon instinct. Je peins avec mes tripes: je veux travailler de manière impulsive et réagir directement à ce qui se passe autour de moi. Dans un tel moment, vous n’avez pas le temps de penser aux canons de l’art, car vous essayez de vous adapter en permanence. Les impressionnistes n’ont jamais recherché ces difficultés. Ils réalisaient des peintures qu’ils achevaient dans leur atelier. Des circonstances aussi faciles me rendraient paresseux. Pourquoi les chaises d’église sont-elles aussi dures? Pour que vous puissiez mieux vous concentrer, bien sûr! Si on remplit une église de fauteuils moelleux, on s’endormirait."
"J’aime quand les choses peuvent mal tourner. Que faire si une averse tropicale détruit ma toile? Comment réaliser un tableau de 5 mètres sur 3 sous le soleil écrasant des Pouilles?"Nils Verkaeren
Antidote à l’autodestruction
Nils Verkaeren est issu d’une famille de créatifs. Ses parents sont graphistes, mais, lui, il a choisi une autre voie et étudié la peinture à l’académie d’Anvers. Deux ans plus tard, il se retrouve dans la vie nocturne anversoise: il arrête ses études et ouvre un bar d’artiste. Au bout de quatre ans, lassé de cette vie de bâtons de chaise, il reprend ses études à l’académie, où il décroche son diplôme en 2016. Le décorateur Gert Voorjans et le galeriste Paul Kusseneers le repèrent et organisent des expositions de son travail, ce qui permet à Verkaeren de rapidement se faire un nom. Et une cote.
"Si vous m’enfermez dans mon atelier, je serai malheureux comme les pierres", déclare-t-il. "Il s’y passe si peu de choses inattendues… J’ai besoin de mouvement et de défis! J’aime quand les choses peuvent mal tourner. Que faire si une averse tropicale détruit ma toile? Comment réaliser un tableau de 5 mètres sur 3 sous le soleil écrasant des Pouilles? Je tiens à me mettre en danger, car seul le danger me pousse à me réinventer. La conséquence: toutes mes peintures n’y survivent pas."
Pourtant, il ne s’agit pas d’extreme painting, affirme-t-il. Il s’intéresse davantage à l’isolement et à la concentration, deux états qu’il recherche délibérément. "Un beau jour, Henry David Thoreau, un auteur américain qui a écrit ‘Walden’, a déclaré: Je suis tout sauf un ermite. Mettez-moi dans un café et je serai probablement le dernier à rentrer chez moi’. Je suis aussi comme ça: j’ai connu la vie nocturne dans tous ses excès. M’enfermer pendant deux mois avec mon matériel de peinture dans une exploitation de café abandonnée en Colombie est tout aussi extrême. Mais, au moins, cela va générer des peintures plutôt qu’une bourse plate, une gueule de bois et une mauvaise santé", explique Verkaeren.
"C’est une sorte d’autothérapie. M’isoler me permet de travailler de manière concentrée, sans autodestruction et de façon presque maniaque, du matin au soir, non-stop. Je comprends que les peintres puissent sombrer dans la folie. En raison de mon extrême concentration, je suis moins enclin à me perdre dans d’autres distractions. C’est mon salut, mais, au bout de quelques semaines, j’en ai assez de l’isolement et j’ai envie de refaire la fête, de sortir, de faire des expositions et des livres. Je suis toujours en train de balancer entre ces deux extrêmes: c’est dans ma nature."
Danser sur les tables
En effet, Verkaeren a une énergie inextinguible, ce qui a surpris même son galeriste bruxellois, Kusseneers. "Je suis en train de faire un livre, mais je peins tellement vite que les chapitres s’accumulent", explique Verkaeren. "En tant qu’artiste, je ne veux pas faire la même chose toute ma vie. Il y a des artistes qui réalisent mille versions de la même idée. Pourquoi devrais-je toujours sauter à travers le même cerceau? J’ai encore trop d’idées et trop d’énergie pour me limiter à ça. Aujourd’hui, je constate que mon travail évolue vers l’abstraction. De même, je donne plus d’importance à l’aspect performance. C’est en moi: j’ai envie de danser sur les tables. Pourquoi devrais-je le faire uniquement quand je suis complètement bourré dans un bar? Ici, au moins, il y a un beau résultat!"
Nils Verkaeren est représenté par la Kusseneers Gallery à Bruxelles, www.kusseneers.com
Hôtel Flora, Korte Nieuwstraat 12 à Anvers. de 240 à 320 euros la nuit et peut être entièrement loué, www.hotelflora.be