Le casino de Knokke, créé par Léon Stynen dans les années 30, va vivre sa plus grande transformation. Rencontre avec les architectes : Barozzi Veiga, de Barcelone, et Tab Architects, de Gand.
Qu’aviez-vous accompli à 26 ans? C’est à cet âge que l’architecte belge Léon Stynen (1899-1990) remporte le concours d’architecture organisé en vue de la conception du Casino-Kursaal de Knokke. Cinq ans plus tard, le 5 juillet 1930, le prestigieux bâtiment ouvre ses portes après seulement six mois de construction. Léon Stynen a 30 ans lors de l’inauguration.
"Je me souviens parfaitement de ce à quoi je travaillais à son âge: la Philharmonie de Szczecin, en Pologne, le projet qui nous a valu jusqu’à présent la plus grande notoriété et le plus grand nombre de récompenses. Apparemment, 30 ans, c’est un bon âge pour réaliser un bâtiment important!", plaisante Fabrizio Barozzi, cofondateur italien de l’agence d’architecture espagnole Barozzi Veiga. Comme Stynen, nous avons remporté ce concours en tant que jeune bureau. Ce projet a marqué les premières années de notre cabinet, alors que nous nous trouvions encore dans un mini-appartement de location à Barcelone."
Il était temps de rénover le casino: l’infrastructure est obsolète, l’architecture incohérente.
Vision commune
Aujourd’hui, l’agence emploie 30 personnes et fête ses 20 ans d’existence. Quand nous appelons Fabrizio Barozzi, il se remet de la fête d’anniversaire. "Dans ma tête, nous avons commencé hier. Pourtant, cela fait déjà deux décennies que nous travaillons", déclare-t-il. "En ce moment, nous sommes très occupés. Nous travaillons simultanément sur plusieurs grands projets internationaux." Pas moins de trois d’entre eux sont en Belgique: la transformation du Musée Juif à Bruxelles, le site d’exposition de l’abbaye de Groeninge à Courtrai et le casino de Knokke, tous trois réalisés en étroite collaboration avec le bureau d’architectes gantois Tab Architects.
"Pourquoi sommes-nous si actifs en Belgique? Parce qu’il y a beaucoup de concours publics d’architecture!", explique Barozzi. «Depuis nos débuts, notre bureau repose sur ces concours de grande envergure. Nous aimons nous concentrer sur les musées, les centres culturels, les bâtiments d’entreprises et les écoles."
C’est, en partie, pour cette raison qu’outre son envergure internationale, Barozzi Veiga constitue un lauréat intéressant pour Knokke. Son palmarès est pertinent pour le programme complexe du casino, qui doit devenir un lieu hybride entre site d’événements, club, restaurant, palais des jeux et salle d’art. "Nous n’avions jamais conçu de casino auparavant, mais nous avons réalisé de nombreux bâtiments de types similaires. Nous savons comment organiser la logistique et connaissons les exigences spécifiques de ces bâtiments. Le casino de Knokke est une combinaison de tout cela."
"Nous ne voulons pas construire à Knokke une icône, mais un monument, qui résiste à l’épreuve du temps."
Nouvelle figure de proue
Il y a tout juste un an, Barozzi Veiga et Tab Architects ont appris qu’ils avaient remporté le concours pour la conception du casino de Knokke. Si leur ambitieux projet est approuvé, il s’agira là de la transformation la plus radicale jamais réalisée dans l’histoire du bâtiment. Et elle arrive à point nommé, car l’infrastructure est fortement vieillissante et l’architecture est devenue très inégale.
Après le Royal Zoute Golf Club, l’hôtel La Réserve, le pavillon d’entrée du Zwin et la place Albert, c’est au tour du bâtiment le plus emblématique de Knokke d’être rénové. Cependant, il ne s’agira ni d’une rénovation totale ni d’une reconstruction.
Les admirateurs de Stynen n’auront pas à protester dès que la demande de permis de bâtir officiel sera introduite, d’ici octobre 2024. En effet, le projet respecte l’esprit de son créateur. Du moins pour ce qu’il en reste, car le bâtiment moderniste des années 30 est devenu une macédoine, surtout à l’arrière, en raison de nombreuses rénovations malheureuses menées après la Seconde Guerre mondiale.
Barozzi Veiga et Tab Architects sont tous deux connus pour leur "monumentalité sensible". Bert Bultereys, cofondateur de TAB, décrit le nouveau casino comme une nouvelle figure de proue, mais aussi un prolongement du Kursaal existant: "Le bâtiment doit devenir une présence appropriée, et non une entité étrangère. Il doit ajouter une nouvelle histoire à ce qui existe déjà. Ce sont ces missions que nous aimons entreprendre: nous recevons beaucoup de contexte et d’histoire avec lesquels travailler."
Barozzi partage cet avis: "Nous travaillons en continuité avec l’existant, jamais en rupture. Nos bâtiments sont toujours étroitement liés à leur contexte. Ce ne sont pas des sculptures indépendantes qui semblent surgir de nulle part: ils s’inspirent de leur environnement et lui apportent quelque chose en retour. Un bâtiment doit être bien plus qu’une machine performante: il doit entrer dans une relation empathique avec son contexte. Le casino doit devenir un espace social poreux, ouvert et transparent."
"Aujourd’hui, la baie côté Nord est fermée, mais nous allons la restaurer pour avoir à nouveau la vue sur la mer. Cet espace sera réservé aux événements et il y aura une terrasse sur le toit."
Voilier mégalomane
Barozzi ne se souvient que trop bien qu’en 2006, Knokke avait déjà lancé un concours pour le casino. "À l’époque, notre bureau était encore trop jeune pour soumettre un projet. Le concours était arrivé trop tôt, mais j’ai réalisé qu’il s’agissait d’un concours important, car beaucoup de grandes agences y avaient participé (notamment Steven Holl, Zaha Hadid, Neutelings et Jakob+MacFarlane, NDLR.). C’est gratifiant de constater que, 17 ans plus tard, nous avons eu notre chance."
Le bureau new-yorkais Steven Holl Architects avait remporté le concours en 2006 avec une tour en forme de voilier de près de 100 mètres de haut, qu’il prévoyait de planter au sommet du bâtiment moderniste de Stynen. Son phare excentrique et mégalomane était parfaitement en phase avec la tendance de l’époque pour l’architecture emblématique, des bâtiments extravagants conçus principalement pour attirer l’attention (et donc les visiteurs). Le projet de Daniel Libeskind pour la Boerentoren à Anvers appartient également à cette catégorie, comme le Havenhuis de Zaha Hadid, également à Anvers – qui ressemble moins à un voilier qu’à un diamant tombé sur le bâtiment historique.
"Notre projet pour le casino est beaucoup plus humble et réaliste que celui de Steven Holl", déclare Barozzi. Tom Debaere, cofondateur de Tab Architects, ajoute: "Nous ne voulons pas construire à Knokke une icône, mais un monument. Une icône accapare toute l’attention et n’a aucun lien avec son environnement. Un monument, en revanche, est durable et résiste à l’épreuve du temps."
Atmosphère optimiste
À Knokke, on semble l’avoir bien compris. D’après nos sondages, il règne une ambiance d’optimisme unanime autour du projet lauréat. Contrairement au voilier de Steven Holl, ce projet est très largement soutenu par le public knokkois, les responsables politiques et les riverains. Ce dernier point est d’ailleurs crucial, car les protestations des riverains peuvent bloquer d’importants dossiers, ainsi qu’en témoigne le complexe de golf de Paul Gheysens. "Le projet fait l’objet d’un consensus, tout le monde le soutient. On a pu le constater lors de l’exposition de la maquette au centre culturel Scharpoord", explique Bultereys.
Joost Vanhecke, expert du design et de l’architecture à Knokke, attend également avec impatience le nouveau bâtiment, en particulier pour son architecture. "Le travail de Barozzi Veiga dégage une puissance monumentale. Grâce à l’utilisation de la lumière, aux détails précis et aux matériaux expressifs, il est grandiose et raffiné. Je n’oublierai jamais ma visite d’un de leurs bâtiments, le Musée cantonal des Beaux-Arts à Lausanne."
Actuellement, une visite du casino de Knokke ne présente rien d’inoubliable. Le bâtiment paraît très hermétique et n’incite pas à y mettre les pieds. "À l’intérieur, c’est devenu une espèce d’espace baroque avec de faux murs, des miroirs et des moulures. L’esprit moderniste et la pureté du projet de Stynen ont complètement disparu", déclare Tom Debaere. "Même le contact avec la mer a été en grande partie perdu: la magnifique baie vitrée côté Nord a été presque entièrement obturée. Nous allons évidemment complètement le restaurer: ce belvédère doit reprendre tout son sens et à nouveau offrir une vue sur la mer. Ce sera un espace événementiel important, avec une nouvelle terrasse sur le toit."
Autre joyau caché, la salle Magritte est une salle unique arborant une fresque monumentale du surréaliste belge René Magritte. Cette œuvre exceptionnelle de 72 mètres de long pourrait avoir le même statut que les fresques des Nymphéas de Monet au musée de l’Orangerie à Paris, mais pour l’instant, la salle est très mal mise en valeur. "Nous voulons donner à cette salle l’importance qu’elle mérite dans notre projet. Elle doit retrouver sa place légitime. Étant donné que la symétrie et la pureté étaient importantes dans le projet de Stynen, nous allons reproduire la forme de la salle Magritte dans un nouvel espace. Ce contrepoids contemporain sera une salle d’art ultramoderne, qui accueillera des expositions ou des spectacles. Bien entendu, le casino ne possède pas de collection d’art, mais des expositions peuvent être organisées dans cet espace, par exemple en collaboration avec des musées ou des centres d’art, ou même des galeristes ou des collectionneurs d’art, ce qui ne manque évidemment pas à Knokke."
Casino souterrain
L’architecture du bâtiment étant devenue très incohérente, la partie sud sera démolie, à l’exception de la salle Magritte, bien entendu. "La nouvelle façade sud sera l’antipode de la façade nord, comme un faux miroir, en référence aux reflets dans l’œuvre de René Magritte", explique Debaere. "Côté Sud, un nouvel escalier monumental sera installé, également en miroir de la salle des lustres existante, avec son escalier monumental. Il s’agit en réalité d’un espace de circulation, mais il est si vaste qu’il pourra servir à diverses fonctions, comme des événements, des défilés de mode ou des expositions. Son affectation est libre."
Ce qui est remarquable, c’est que la partie casino disparaîtra du bâtiment d’origine. Les salles de jeu, exploitées par Napoleon Games, seront installées sous la nouvelle aile du bâtiment, sous le square Canada. "Il y aura également un restaurant, un bar à vin et un club", précise Debaere. "Le bâtiment sera actif nuit et jour, un thème également présent dans l’œuvre de Magritte. Le parking et la circulation logistique (par exemple pour les camions des traiteurs ou des organisateurs d’événements) seront souterrains, répartis sur trois niveaux. Ainsi, le casino sera beaucoup plus grand qu’actuellement, mais l’empreinte au sol restera la même. C’est important pour les proportions du bâtiment et pour le paysage urbain."
Lieu démocratique
Si les installations du casino sont (obligatoirement) souterraines d’ici à 2029, le terme "casino" sera-t-il encore pertinent pour qualifier ce nouveau bâtiment? Que signifie encore un casino au XXIe siècle? "En effet, le casino proprement dit ne représente que 10% du programme", explique Bultereys. "Ce bâtiment offrira de nombreuses autres expériences. C’est cette diversité de fonctions qui fera vivre le casino pour tous les habitants de Knokke. Qu’il s’agisse de passants, de personnes souhaitant prendre un lunch, visiter une exposition ou faire la fête, le casino doit devenir un catalyseur pour Knokke et ses environs." Ou, comme le formule l’architecte Fabrizio Barozzi, "nous voulons réinventer le casino, car il n’est plus attrayant aujourd’hui. La perception du bâtiment va changer du tout au tout. Le casino doit devenir un lieu démocratique. Nous voulons donner le bâtiment aux habitants."