Au Japon, la maison minimaliste du directeur artistique de Kenzo

Nigo, le directeur artistique de la maison Kenzo, a fait construire une retraite minimaliste où l’océan Pacifique est presque littéralement une caractéristique architecturale.

Il est le fondateur des marques de streetwear A Bathing Ape et Human Made, ainsi que le directeur artistique de la marque Kenzo. Il est également designer et producteur de musique. Bref, Nigo (53 ans) s’est imposé comme l’un des talents esthétiques du Japon les plus respectés au cours des 30 dernières années.

Ainsi, lorsqu’il décide de construire un abri en béton près de la mer, il aurait certainement pu faire appel à Tadao Ando, Kengo Kuma, Shigeru Ban ou une autre pointure de l’architecture du pays pour ce genre de structures. Au lieu de cela, comme l’explique Nigo, par l’intermédiaire d’un traducteur lors d’une matinée grise, il voulait plutôt mandater quelqu’un "qui n’avait jamais construit de maison au Japon mais qui disposait néanmoins d’une expérience dans ce type de maisons de plage".

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Debout dans la vaste pièce principale basse qui compose le niveau inférieur de la maison de 160 mètres carrés, il paraît évident qu’il entend par là une maison qui ne réduit pas l’océan Pacifique à un ‘plus’, mais comme une caractéristique architecturale centrale à part entière.

L’océan, qui devient plus tumultueux à l’approche d’une tempête, semble faire partie intégrante de la propriété.

Un panneau de verre de trois mètres sur sept, fabriqué sur mesure et rappelant à la fois un tableau de Piet Mondrian et un paravent japonais shoji, offre une vue imprenable sur l’extérieur. Il s’ouvre en accordéon, donnant accès à une terrasse en béton au bord de l’eau, sans aucune rambarde. La mer, qui devient de plus en plus agitée à l’approche d’un orage d’après-midi, semble faire partie intégrante de la propriété. À tel point qu’on se prend à considérer l’océan Pacifique comme une arrière-cour.

À l’intérieur, les sols en terrazzo brillant reflètent chaque mouvement des vagues. Dans la cuisine métallique, derrière les meubles vintage en bois du salon et de la salle à manger, une crédence en acier inoxydable poli et réfléchissant a été installée au-dessus de l’évier. Bien qu’assez éloignée de l’eau, elle parvient à projeter le reflet des vagues dans la pièce, créant l’illusion d’une fresque murale ondulante et dynamique.

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Le séjour donne sur l’océan pacifique. Les fauteuils sont de Pierre Jeanneret et la table basse est de Isamu Noguchi.
Le séjour donne sur l’océan pacifique. Les fauteuils sont de Pierre Jeanneret et la table basse est de Isamu Noguchi.
©Anu Kumar / The New York Times Licensing Group / Redux

Caractère maritime

Nigo fait l’acquisition en 2019 de ce petit morceau de terrain — juste assez grand pour accueillir la maison elle-même et un espace de stationnement à l’avant. Même s’il se situe à côté d’une route animée et de quelques constructions maladroites, il voit son potentiel en deux raisons: sa proximité avec la côte (son bateau est à l’ancre non loin de là) et l’isolement qu’il procure, notamment comparé à Tokyo et Kyoto, où le designer possède d’autres résidences dans lesquelles il séjourne lorsqu’il ne se trouve pas à Paris pour son travail.

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Il préfère ne pas révéler le nom de la ville où est situé son refuge, se limitant à préciser qu’elle se trouve à quelques heures au sud de Tokyo et qu’elle est "bien située, car difficile d’accès". Il n’y a même pas de gare, ce qui est assez inhabituel au Japon.

Ainsi, malgré son caractère maritime et industriel plutôt sombre, le lieu est très prisé par des personnalités comme le créateur de mode Jun Takahashi d’Undercover, qui vient souvent y prendre son lunch. "La première fois que je suis venu ici, j’ai tout simplement adoré l’environnement et l’atmosphère", confie Nigo, qui est aussi un passionné de pêche.

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©Anu Kumar / The New York Times Licensing Group / Redux

West Coast

Comme la plupart des polymathes, Nigo avait une vision précise de ce qu’il voulait mais devait simplement trouver la bonne personne pour concrétiser sa vision. Après de longues recherches, il découvre Takashi Yanai, associé chez Ehrlich Yanai Rhee Chaney Architects, un cabinet basé à Los Angeles et San Francisco, qui avait publié une monographie en 2019 intégrant de nombreux détails recherchés par Nigo: des plans avec des aménagements reliant intérieur et extérieur, agrémentés d’ouvertures audacieuses et de vues naturelles, mais aussi des structures et des proportions épurées, rigides, presque monolithiques.

Lorsque Yanai, né au Japon et naturalisé américain, 55 ans, reçoit l’appel pour organiser une rencontre à une réunion, il se trouvait à Tokyo, où il avait exercé plusieurs années comme journaliste spécialisé dans le design avant de se marier, d’avoir deux enfants, de s’installer aux États-Unis et de de se lancer dans la création architecturale, plutôt que de se limiter à l’écriture à son sujet. "C’était comme un don du ciel", se souvient Yanai, "mais ce projet est survenu alors que je venais d’exprimer à mes collaborateurs mon désir de centrer notre travail sur ce dialogue entre la Californie et le Japon."

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La table de bibliothèque et les chaises «Chandigarh» de Pierre Jeanneret datent des années 1950.
La table de bibliothèque et les chaises «Chandigarh» de Pierre Jeanneret datent des années 1950.
©Anu Kumar / The New York Times Licensing Group / Redux

Japonisme californien

Depuis les débuts du modernisme californien à Los Angeles il y a près d’un siècle, les espaces minimalistes, l’utilisation parcimonieuse des matériaux et les agencements ouverts caractéristiques des propriétés japonaises sont devenus de plus en plus courants dans l’architecture.

L’architecte autrichien R.M. Schindler a étudié à Vienne au début du XXe siècle, alors que la ville était sous le charme du mouvement visuel connu sous le nom de Japonisme. En 1922, il construit à West Hollywood la «Kings Road House», avec une façade en béton inclinée, des boiseries rouges et un flux informel inspiré des studios, autant d’influences venues d’Extrême-Orient. Au départ, Schindler s’était établi en Californie pour travailler avec Frank Lloyd Wright, qui avait visité Tokyo pour la première fois en 1905.

Il partageait avec Richard Neutra un lien avec le design japonais, ainsi qu’en témoignent ses maisons pavillonnaires Case Study. Lorsque Charles et Ray Eames ont achevé leur propre "Case Study House (No.8)" à Pacific Palisades en 1949, ils ont opté pour des meubles bas, une cour intérieure centrale et de grandes ouvertures sous forme de portes coulissantes et d’habillages de fenêtres — leur manière de faire évoluer le style de construction américain inspiré des idées japonaises.

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©Anu Kumar / The New York Times Licensing Group / Redux

Précurseur

Ce langage interculturel a finalement trouvé son chemin vers l’Europe avant de revenir de l’autre côté du Pacifique. Les meubles modernistes iconiques de cette époque sont depuis des décennies très prisés lors des ventes aux enchères à Tokyo. Nigo lui-même échangeait des chaises Eames avant de rassembler des pièces de Isamu Noguchi, Jean Prouvé et Pierre Jeanneret — bien avant les Kardashian, précise son interprète. Certaines de ses pièces favorites occupent d’ailleurs une place d’honneur dans sa résidence secondaire de deux étages, où l’espace salon-salle à manger du rez-de-chaussée est aménagé comme un "conteneur pour sa collection", selon les termes de Yanai.

À l’étage, dans la chambre principale et l’unique chambre d’amis, quelques fauteuils en cuir, des chaises longues capitonnées, des tables de travail en bois et des tabourets sont disposés de manière presque poétique, orientés vers l’horizon de l’océan. Le seul meuble neuf est un ensemble formé par une table de travail et un lit en chêne, avec des matelas séparés pour le designer et son épouse, l’actrice Riho Makise (52 ans), avec qui il aime prendre le thé de manière cérémonielle dans leur machiya (maison japonaise traditionnelle en bois) à Kyoto.

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Dans le salon, une lampe "Jieldé" est posée sur une table entourée de tabourets de  Charlotte Perriand.
Dans le salon, une lampe "Jieldé" est posée sur une table entourée de tabourets de  Charlotte Perriand.
©Anu Kumar / The New York Times Licensing Group / Redux

Jardin luxuriant

Huit sacs de couchage de L.L. Bean sont mis à la disposition des hôtes, pliés comme dans un hôtel capsule japonais. Il est facile d’imaginer des soirées conviviales ici — l'escalier extérieur permet aux invités de monter directement se changer après une journée sur le bateau. Seulement, aucun invité n’est encore venu ici jusqu’à présent. Certes, Pharrell Williams, ami et parfois collaborateur de Nigo, est bien passé récemment, mais Nigo avait tempéré son enthousiasme en amont: "Tu es le bienvenu, mais il n’y a absolument rien à faire ici".

Pour Nigo, la maison près des vagues est avant tout un lieu où il laisse son esprit souvent débordant se vider paisiblement, explique-t-il. "C’est bénéfique pour l’âme." Yanai, qui mentionne que Nigo communique avec "des images et des phrases très concises", raconte comment, dès le départ, son client avait une image précise en tête: une maison anonyme qu’il avait aperçue quelque part, spacieuse et donnant sur un jardin luxuriant.

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Dans la suite principale, les matelas et les oreillers sont juste posés sur un cadre en chêne.
Dans la suite principale, les matelas et les oreillers sont juste posés sur un cadre en chêne.
©Anu Kumar / The New York Times Licensing Group / Redux
Nigo a engagé une équipe d’artisans qui, pendant sept mois, a recréé les tourbillons et les mouvements du béton qui avaient disparu sous la couche de peinture.

Moustiques

Aujourd’hui, de nombreux architectes japonais rendent hommage au modernisme américain, souvent avec une focalisation obsessionnelle sur les matériaux et techniques qui confèrent à ces structures une impression de plus grande légèreté et pureté. "Nous savions que l’artisanat et la qualité de la construction au Japon sont d’un niveau qu’on ne retrouve pas toujours en Californie, surtout avec le béton", explique Yanai.

Bien entendu, la perfection s’accompagne de son lot de défis cachés. Initialement, la paroi coulissante en verre n’offrait aucune protection contre les moustiques et a donc été refaite, cette fois avec une moustiquaire invisible. Presque partout dans la maison, des murs en béton coffré attirent l’attention non seulement sur l’extérieur, mais aussi sur les magnifiques veines des boiseries à l’intérieur.

Cependant, au moment de peindre les murs dans un gris subtil, les entrepreneurs ont malencontreusement utilisé une peinture trop opaque qui masquait la texture des murs. Nigo trouve directement une solution: il engage plusieurs artisans qui ont passé sept mois à reproduire, à l’aide de petits pinceaux, les tourbillons et mouvements du béton cachés par la peinture. Naturellement, les efforts en valaient bien sûr la chandelle, même si Nigo est le seul à percevoir la différence.

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