La Villa Bloc est la demeure préférée de l'architecte français Claude Parent, posée au sommet du Cap d'Antibes comme une invitation à surfer en surface.
La Villa Bloc est la demeure préférée de l'architecte français Claude Parent, posée au sommet du Cap d'Antibes comme une invitation à surfer en surface.
© De Pasquale + Maffini

Bienvenue dans la Villa Bloc, la maison Lego au sommet du Cap d'Antibes

Nous avons visité en exclusivité la demeure préférée de l'architecte français Claude Parent, la Villa Bloc. Elle trône au sommet du Cap d'Antibes comme une invitation à surfer en surface.

Il faut grimper jusqu'au point culminant du Cap avant de suivre un étroit chemin de terre pour rejoindre la maison, près du phare de la Garoupe. Un endroit secret et bien gardé, tout droit sorti d'un film de James Bond, quand il rejoint son repère. On sonne, le portail glisse lentement et dévoile un panorama spectaculaire sur la mer Méditerranée.

Nous devons emprunter une passerelle suspendue pour rejoindre la maison qui domine la grande bleue. À tout moment, on s'attend à voir surgir Sean Connery dans le rôle de l'espion le plus iconique de tous les temps. Construite à flanc de roche, la construction prend des allures de Fallingwater de Franck Lloyd Wright, totalement ouverte au paysage avec ses immenses baies vitrées. Une ode à la géométrie, à l'épure et à la transparence. Seul le jeu des volets coulissants extérieurs permettait l'opacité d'une partie de la maison, dont aujourd'hui un seul est conservé. La villa reflète la lumière comme un diamant aux multiples facettes.

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"Ce n’est pas une maison, c’est une œuvre d’art. La nature, le calme, la vue infinie; tout ça n’a pas de prix."
La propriétaire belge de la Villa Bloc
La villa est posée sur trois niveaux. Un grand escalier en colimaçon, beau comme une sculpture, relie les deux niveaux supérieurs au rez-de-chaussée.
La villa est posée sur trois niveaux. Un grand escalier en colimaçon, beau comme une sculpture, relie les deux niveaux supérieurs au rez-de-chaussée.
© De Pasquale + Maffini

Villa "Ex"

En 1959, l'architecte et sculpteur André Bloc (1896-1966) fit appel à Claude Parent pour la conception de sa villa de vacances sur un terrain offert par une amie artiste, dans le Midi. Elle devait accueillir son atelier de sculpture et constituer une "habitation expérimentale". À l'époque, les deux architectes se connaissent déjà bien, tous deux engagés dans une modernité inventive. Créateur atypique et polyvalent, Bloc fonde en 1930 la revue "L'Architecture d'Aujourd'hui" qu'il dirige et anime pendant de nombreuses années. Il invite Parent à rejoindre le comité de rédaction, avant de le rallier au groupe Espace qu'il crée en 1951. Cette formation défend une nouvelle synthèse des arts, dans une tendance proche de Theo van Doesburg et du néoplasticisme des années 20. Plusieurs artistes et architectes de l'époque en feront partie, dont Ionel Schein, Sonia Delaunay et Jean Prouvé.

La villa "Ex", pour "expérimentale", comme elle sera nommée plus tard, est située sur un terrain très escarpé difficilement constructible, sur une crête du Cap d'Antibes. La situation exceptionnelle offre une vue à plus de deux cent degrés sur la mer, s'étendant du château des Grimaldi à Monaco jusqu'à la plage de la Garoupe, au Cap. Les contraintes du site ont mené à l'usage d'une ossature en dalles de béton armé et de poutres IPN très élancées, bleues comme la mer et le ciel, qui dessinent un cadre ton sur ton sur le paysage. Une maison conçue comme un Lego, sur trois niveaux: l'espace d'habitation à l'étage, le solarium au niveau intermédiaire et l'atelier dans la partie basse.

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Un grand escalier en colimaçon relie les deux niveaux supérieurs au rez-de-chaussée.
Un grand escalier en colimaçon relie les deux niveaux supérieurs au rez-de-chaussée.
© De Pasquale + Maffini

Deux grands portiques fichés dans le rocher portent le volume habitable et un plateau libre, tous deux en suspension dans les airs. Dans un geste sculptural, un escalier hélicoïdal extérieur surdimensionné relie au sol ces deux niveaux. Dessiné et conçu par André Bloc, ce morceau de bravoure incarne sa conviction: seule la sculpture pouvait permettre à l'architecture de se renouveler. Enfin, l'atelier de l'artiste solidement ancré dans le sol équilibre son porte-à-faux. À ses pieds, une piscine, ajoutée plus tard par le troisième propriétaire des lieux, un Américain.

L'architecture est très inspirée de Ludwig Mies van der Rohe, "mais plus dynamique" comme le disait Parent lui-même: "L'escalier en dehors de l'habitation apparaît comme une spirale baroque par rapport au cube minimaliste: contradiction volontaire. Nous étions obsédés par Ludwig Mies van der Rohe et nous tentions à ce moment-là de renouveler son expression pure, mais trop rigide."

"Au départ, on cherchait un palazzo en bord de mer, en Italie, mais on s’est vite rendu compte que c’était trop loin de la Belgique."
La propriétaire belge de la Villa Bloc
L'escalier a été conçu par son premier propriétaire, André Bloc. L'artiste était convaincu que seule la sculpture pouvait permettre à l'architecture de continuer à innover.
L'escalier a été conçu par son premier propriétaire, André Bloc. L'artiste était convaincu que seule la sculpture pouvait permettre à l'architecture de continuer à innover.
© De Pasquale + Maffini

Architecte agitateur

Dans un entretien en 1970, Claude Parent confiait: "Ce qui m'a sauvé de l'architecture ambiante, ce sont les artistes. C'est grâce à eux que je suis vivant." Né en 1923 à Paris, ce touche à tout travaille dans plusieurs domaines avant de venir à l'architecture: "Jeune, je rêvais d'avions, de belles voitures, de bateaux. Je voulais être ingénieur. J'ai échoué. J'ai alors essayé tous les métiers: de dessinateur de mode à publicitaire, en passant par illustrateur de livres et critique d'art." Après des études d'architecture inachevées, il fait partie des huit professionnels inscrits à l'Ordre des architectes sans posséder de diplôme. Indépendant et libre, il est le premier à rompre avec le Modernisme, dès les années 50. La construction de la Villa Bloc coïncide avec la période où il collabore avec le chef de file du Nouveau réalisme, Yves Klein, entre 1959 et 1962: "Yves Klein m'a libéré de tout!", disait-il.

C'est au même moment qu'outre-Atlantique, l'architecte John Entenza lance le programme des Case Study Houses, des maisons modernes à coût limité, adaptées au climat californien, qui offraient un environnement idéal dans le contexte post war. On ne peut s'empêcher de faire le rapprochement entre la Villa Bloc et les Case Study Houses américaines, et avec la maison sur la cascade de Wright, pour son contexte escarpé et son intégration en pleine nature. Avec le philosophe Paul Virilio, Parent crée la "fonction oblique", un ensemble de recherches sur le plan incliné, qui aboutit à la construction de l'Église de Nevers (1963-1966).

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Les contraintes du site ont mené à l'usage d'une ossature en dalles de béton armé et de poutres IPN très élancées, bleues comme la mer et le ciel, qui dessinent un cadre ton sur ton sur le paysage.
Les contraintes du site ont mené à l'usage d'une ossature en dalles de béton armé et de poutres IPN très élancées, bleues comme la mer et le ciel, qui dessinent un cadre ton sur ton sur le paysage.
© De Pasquale + Maffini

En 1974, à l'heure de la généralisation mondiale de l'énergie nucléaire, il s'associe avec EDF pour un projet d'insertion paysagère de centrales nucléaires. Un vaste projet que Parent coordonnera pendant près de vingt ans, où il cherchera à créer une architecture-paysage, pour établir des correspondances entre centrale et paysage de plaines, de dunes, de falaises ou de plages, pour une meilleure intégration. Sa quête de déséquilibre et de mouvement se retrouve dans plusieurs projets publics comme l'aéronef de Roissy (1989-1996), marqué par la diversité des matériaux, des couleurs et des effets, qui tend vers une esthétique plus proche de la déconstruction. Ou le pavillon français de la Biennale de Venise, un bâtiment néoclassique qu'il habille avec deux blocs de béton massifs scindés par une ligne de faille (1996).

En 2001, il énonce "douze actes subversifs pour éviter le système" dont "surfer en surface", "vivre à l'oblique" ou "déloger l'immobile". Parent était le maître de la contradiction, il nous faisait volontairement perdre l'équilibre dans ses constructions pour mieux le retrouver.

"Ce n'est pas une maison, c'est une œuvre d'art. La nature, le calme, la vue infinie; tout ça n'a pas de prix", commente la propriétaire.
"Ce n'est pas une maison, c'est une œuvre d'art. La nature, le calme, la vue infinie; tout ça n'a pas de prix", commente la propriétaire.
© De Pasquale + Maffini

Un esprit frondeur et indépendant qui a reçu une reconnaissance tardive. "Ce fut une lutte permanente, ô combien fatigante! J'ai payé cher ma mise au purgatoire par un infarctus et une longue dépression", confiait-il en 1979, quand il reçut le Grand Prix National d'Architecture. À l'annonce de sa mort, en 2016, Jean Nouvel, son ancien élève et fidèle ami, confiait: "Dans la situation française d'aujourd'hui, où l'architecture est de moins en moins respectée, Claude Parent était toujours le résistant, la conscience, l'humour lié à l'humanité et l'élégance." Un humour présent jusque sur les plans de la Villa Bloc, où l'on peut lire ses annotations: "La dalle terrasse a été construite par le même architecte idiot et voyou."

Un destin

Il existe des histoires de destin, d'évidence. "Nous recherchions une maison de vacances", raconte la propriétaire actuelle des lieux. "Je souhaitais tout d'abord un palazzo en bord de mer, en Italie. Mais on s'est vite rendu compte que c'était trop loin de la Belgique." En visitant la région de la French Riviera, le couple belge tombe à trois reprises sur une annonce immobilière pour la Villa Bloc. "C'est comme si la maison était pour nous!", sourit-elle. "Après avoir visité une dizaine de maisons au Cap d'Antibes, nous n'étions pas convaincus, les fenêtres étaient toujours trop petites. Celle-ci était totalement différente, en pleine nature, avec la mer à perte de vue. Elle était unique", se souvient-elle.

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Comme la Villa Bloc avait été construite entre 1959 et 1962, il était nécessaire de la restaurer en profondeur.
Comme la Villa Bloc avait été construite entre 1959 et 1962, il était nécessaire de la restaurer en profondeur.
© De Pasquale + Maffini

Une nature luxuriante avec l'azur en toile de fond: "Par beau temps, les piliers ont la même couleur que le bleu de la mer, c'est magnifique!", poursuit-elle. Classée aux Monuments historiques en 1992, la Villa Bloc est la première maison contemporaine de la Côte d'Azur. Bâtie entre 1959 et 1962, elle nécessitait d'importants travaux de restauration. "Peu après l'achat, en 2010, nous avons téléphoné à Claude Parent et sommes allés le voir à Paris, pour lui demander conseil pour la restauration."

Ainsi, plusieurs aménagements ont été ajoutés, comme un ascenseur qui relie chaque niveau. "Il était très content de la rénovation. Il nous a écrit une lettre où il expliquait que c'était sa maison préférée, et qu'il pouvait mourir tranquille, car elle était en de bonnes mains." Cela fait douze ans que le couple est tombé amoureux de cette demeure exceptionnelle, et on les comprend. "Ce n'est pas une maison, c'est une œuvre d'art", commente la propriétaire, avant de conclure: "Je voudrais remercier Claude Parent pour cette œuvre. La nature, le calme, la vue infinie; tout ça n'a pas de prix."

La nature, le calme, la vue infinie; tout ça n'a pas de prix.
La nature, le calme, la vue infinie; tout ça n'a pas de prix.
© De Pasquale + Maffini
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