L'architecte d'intérieur Frederic Hooft s'est installé dans une demeure emblématique de Laethem, la Villa Arca, œuvre de l'architecte Jean Van den Bogaerde.
"Savez-vous quelle est la première question que posent les visiteurs lorsqu'ils entrent dans Villa Arca? 'Vous parvenez à la chauffer?'" s'amuse l'architecte d'intérieur Frederic Hooft (44 ans), en déposant une bûche dans son poêle. "Je dois sans doute chauffer un peu plus que les autres, car je vis dans un espace ouvert. De plus, comme cette maison est classée, elle n'est pas très bien isolée. Mais voulons-nous vraiment des maisons étanches, ultra-isolées, où il fait constamment 23°C partout? En tout cas, pas moi. J'étouffe là-dedans!"
La deuxième question que Frederic Hooft entend souvent est pratique: est-il agréable de vivre ici? "Oui, bien sûr, pourquoi pas? C'est vrai, ma chambre à coucher se trouve derrière les panneaux coulissants du coin salon, ce qui est un peu inhabituel. La salle de bain est compacte et un peu vétuste, mais c'est logique, car dans les années 60, on n'y accordait pas autant d'attention qu'aujourd'hui. La cuisine est très compacte, surtout comparée aux cuisines actuelles. Ce n'est pas un laboratoire de cuisine avec un îlot en marbre, comme on en voit tellement: l'architecte Jean Van den Bogaerde a conçu cette cuisine comme un bar situé au centre de la maison. Ça fonctionne parfaitement. Je m'y installe souvent pour travailler. Et lorsqu'il y a des visiteurs, nous passons tout notre temps au bar de la cuisine, comme nous le faisons en ce moment."
"Dans cette maison, les fonctions et les espaces ne correspondent pas à la norme. Ils sont moins délimités, moins prédéterminés, moins cliché. C'est ce qui rend la maison intéressante, et c'est aussi ce que j'ai envie de montrer à mes clients. Même si ce n'est pas moi qui l'ai conçue, elle est la preuve qu'on peut aussi vivre d'une manière différente."
Construction circulaire
Depuis trois ans qu'il vit dans la Villa Arca, Frederic Hooft a pris conscience de ses avantages et de ses inconvénients. "La maison est pleine d'amiante et il n'est pas facile de la désamianter, car elle est classée. J'ai peut-être un peu moins de luxe que dans une maison neuve où la cuisine et la salle de bain seraient mieux équipées, mais je vis dans une maison unique qui m'inspire chaque jour", déclare-t-il. "Je n'ai jamais rêvé de vivre dans une habitation neuve, où il faut tout concevoir à partir de zéro. De nombreux projets de construction neuve manquent d'âme et de vision. Vivre dans un bâtiment classé est un choix. C'est vrai, il y a des défis à relever, mais je m'adapte à la maison, et non l'inverse", explique-t-il.
"Tout le monde parle toujours de durabilité, d'écologie et de construction circulaire. Je vis dans une maison ancienne, j'aime les vieilles voitures et je collectionne les meubles anciens. On ne peut guère être plus durable! Bien sûr, cette maison n'est pas neutre sur le plan énergétique et je me chauffe au mazout. Mais au moins, je n'ai pas évacué de conteneurs remplis de matériaux de démolition, ni introduit de nouveaux matériaux de construction polluants."
Entre le Japon et Jean Prouvé
La Villa Arca était une maison très expérimentale pour l'époque (1966). L'architecte Jean Van den Bogaerde (1929-2023) a réalisé la construction à ossature en bois en six mois seulement. Et ce, sur un terrain marécageux bon marché qu'il avait trouvé à Laethem-Saint-Martin (près de Gand), un village d'artistes le long de la Lys. "Cette maison n'est absolument pas typiquement belge ni flamande. Je la trouve plus proche d'un ryokan japonais ou des maisons sur pilotis de Le Corbusier. Elle a aussi quelque chose d'une Case Study House ou des habitations préfabriquées de Jean Prouvé", commente Hooft. "La maison est également très rafraîchissante en termes d'agencement et de circulation. Le bureau de Jean, où il recevait ses clients, se trouvait au rez-de-chaussée et il vivait à l'étage avec son épouse italienne et leurs trois enfants dans un très bel appartement donnant sur la verdure."
Hooft y vit et travaille avec sa compagne, Eva. Autrement dit, une situation familiale totalement différente. "Et pourtant, la taille de la maison est parfaite. En tous points, cette maison est faite pour moi. Bien sûr, trois cent mètres carrés, c'est spacieux pour deux personnes. Mais ici, cela ne paraît pas trop grand. La maison est à échelle humaine."
Retour à Laethem
Frederic Hooft a vécu pendant quinze ans dans un bâtiment historique du centre de Gand, mais il connaît l'iconique maison d'architecte de Jean Van den Bogaerde depuis son enfance, car il a grandi à Laethem-Saint-Martin. "Je connais le coin comme ma poche. Autrefois, cette maison offrait une vue dégagée sur les prairies et les champs. Le terrain n'était pas clôturé, il n'y avait pratiquement aucune autre maison. Petit à petit, j'ai vu la rue se remplir de nouvelles constructions, certaines plus réussies que d'autres. Jamais je n'aurais pensé que je reviendrais un jour à Laethem. Sauf pour cette maison", déclare-t-il.
Il y a douze ans, il a fait la connaissance des ex-propriétaires de la Villa Arca, l'écrivain Oscar van den Boogaard et l'acteur Steven Van Watermeulen. "Depuis ce jour, j'ai su que si je pouvais me le permettre financièrement, je viendrais vivre ici." Les premières négociations ont commencé il y a six ans. Après une longue attente, Hooft a finalement pu acquérir la propriété en 2020.
"J'ai hésité un moment à acheter une maison classée, pour laquelle chaque modification doit être effectuée en concertation avec le service des monuments historiques. Mais lorsque j'ai appelé un architecte à ce sujet, il m'a directement posé la bonne question: 'Voulez-vous changer quoi que ce soit dans cette maison?' Non, j'ai de bonnes intentions pour cette maison. Bien sûr, je souhaite la préserver, la traiter avec respect, mais je dois l'adapter légèrement – en concertation – aux besoins d'aujourd'hui."
L'électricité, par exemple, a déjà été entièrement remplacée par un système domotique intégré. "Nous allons bientôt nous attaquer à la salle de bain, car avoir un bidet et une douche de 1,90 mètre de hauteur, ce n'est plus d'actualité. Pour rénover une maison classée, il faut beaucoup de patience. Et un peu plus de moyens financiers, parce que cela prend plus de temps et qu'il faut trouver des solutions créatives."
"Ce n'est pas un musée. De toute façon, la maison va continuer à s'user. Je vais y vivre, y travailler, y faire la fête, y danser et y accueillir des gens avec autant d'ardeur que Jean à l'époque. Et il arrive que les choses se cassent. Je ne suis pas un nostalgique qui voudrait vivre comme en 1966. Ma cuisine est toujours d'origine et elle fonctionne, mais elle devra être remplacée un jour. Et si les toilettes se cassent, je ne vais pas remettre une cuvette des années 60; j'en installerai tout simplement une neuve. Dans une voiture de collection, il faut parfois aussi remplacer le moteur si on veut continuer à pouvoir la conduire pendant des années."
Essais et erreurs
La Villa Arca est un des points culminants de l'œuvre de Jean Van den Bogaerde, qui était également professeur à Sint-Lucas Gent. "Ce que je trouve génial dans sa maison, c'est cette double circulation, à la fois verticale et horizontale. Ce flux est très intéressant. Tout bien considéré, c'était un coup de chance dans la carrière de Jean. Ce n'était pas un grand architecte, il n'atteint pas le niveau d'un Juliaan Lampens, par exemple. Et il le savait très bien", déclare Hooft.
Dans d'anciennes publications, on trouve des photos de l'intérieur de Van den Bogaerde. Étonnamment, il y avait une table de ping-pong à l'étage et la pièce du bas, à côté du bureau, était recouverte de miroirs, car ses filles s'en servaient comme studio de danse. Pour le reste, son intérieur était assez classique, composé principalement d'antiquités et de tableaux anciens.
La décoration choisie par Oscar van den Boogaard et Steven Van Watermeulen s'inscrivait dans la même lignée, mais ils avaient créé un univers particulier. L'intérieur de Hooft est décontracté, intemporel et éclectique. Il a réussi à apposer son empreinte sophistiquée sur la maison classée sans rien modifier à la structure, une prouesse en soi. De sculpturales chaises en bois, des tapis et des tabourets usés par le temps semblent négligemment combinés avec des pièces vintage de Le Corbusier, Charlotte Perriand, Lucien Engels, Maarten Van Severen, Carlo Scarpa, Willy Van Der Meeren, Joe Colombo, George Nakashima, Jules Wabbes ou Pierre Chapo. "Je possède la plupart de ces meubles depuis des années. Pourtant, il n'a pas été facile de leur trouver une place adéquate dans la maison. Parfois, ils n'allaient pas du tout ensemble et, d'autres fois, ils se mariaient à la perfection. C'était vraiment un processus par essais et erreurs."
Pour sa table de nuit, Hooft ne pouvait cependant se permettre aucune erreur, car ce colosse de pierre signé Pierre Culot pèse exactement 380 kilos. "Avec six hommes et un monte-charge, nous avons réussi à monter la table à l'étage. Jean Van den Bogaerde ne comprenait pas que je veuille mettre une table basse carrée de 1,40 mètre dans ma chambre à coucher!"
Quinze minutes de gloire
"Les rares fois où il est venu ici, il ne tarissait pas d'éloges sur sa propre architecture plutôt que sur ma décoration, car ce que j'avais fait de sa maison ne l'intéressait guère. Par contre, étonnamment, il était tout de même content que je vive ici. Et que je sois aussi lyrique à propos de son Arca."
Frederic Hooft appartient à cette catégorie d'architectes, architectes d'intérieur et paysagistes qui ne communiquent guère à propos de leur travail. Ils ne publient pas souvent de photos sur les réseaux sociaux et sont très sélectifs en matière de reportages sur leurs intérieurs. "J'ai une clientèle qui apprécie la confidentialité. Je tire plus de satisfaction d'un client heureux à la fin de la rénovation que d'une centaine de likes sur un post Instagram", déclare-t-il.
Pourtant, la Villa Arca a déjà eu ses quinze minutes de gloire, quand elle a été largement présentée dans la série "Latem Leven" diffusée sur VTM en 2020. Oscar van den Boogaard – qui y résidait à l'époque – y avait été suivi pendant une saison en tant que personnalité du village. La série de télé-réalité confirmait les clichés sur le style de vie des habitants fortunés de Laethem, dont on disait qu'ils allaient à la boulangerie en Porsche.
"Je remarque que beaucoup de gens ont un problème avec Laethem. Mais quel est exactement le problème? C'est vrai, il y a de belles maisons. Et c'est vrai, il y a plus de personnes aisées qu'ailleurs. C'est verdoyant et la qualité de vie y est élevée. Mais il y a aussi beaucoup de gens ordinaires qui ne sont pas riches à millions. Nous vivons bien, et nous en profitons."
"Je ne veux pas non plus garder cette maison pour moi. La maison Hermès l'a déjà louée une fois. Récemment, j'ai collaboré avec quelques marques de design scandinaves. Les personnes qui souhaitent visiter la maison sont les bienvenues. Quand je vais à Los Angeles, j'adore aussi pouvoir entrer chez l'homme d'affaires Jim Goldstein, dans sa légendaire maison conçue par l'architecte John Lautner."
Retournera-t-il un jour en ville? "Peut-être à Bruxelles, mais plus à Gand. J'y ai eu mon bureau et mon showroom pendant un certain temps, mais je suis mieux ici. En vieillissant, je me rends compte que j'ai besoin de plus de verdure. Ici, je vis le nez dans la cime des arbres. En été, ma terrasse est entourée de bambous, on se croirait presque à Bali."
| Site web | frederichooft.be
| Instagram | @frederichooft