Fin avril, la marchande de mobilier vintage Céline Hellin sera présente au Brussels Design Market. L’Anversoise est partie il y a 15 ans à Miami pour y travailler avec la célèbre architecte d’intérieur Lorraine Letendre. Mais elle n'a pas abandonné Anvers pour autant.
Si vous prévoyez de vous rendre au Brussels Design Market les 23 et 24 avril prochains, ne ratez pas le stand de Céline Hellin (40 ans). Pour plusieurs raisons. Tout d’abord parce qu’elle est l’une des rares marchandes de mobilier vintage, ensuite parce qu’elle fait partie des trend-setters qui captent la tendance actuelle "bohemian rural", sans oublier que la Belge peut compter sur une clientèle internationale et enfin parce que sa carrière est particulière, mais peu connue. Celle-ci se déroule principalement à Miami, mais l’histoire a commencé en mars 2004, dans la boutique Flamant à Anvers où elle travaillait.
"Il y a une raison pour laquelle nous nous sommes rencontrées. Cela va changer votre vie." Imaginez entendre ça à 25 ans de la bouche d’une femme inconnue, sapée en Hermès de la tête aux pieds. Qui est donc cette étrange Américaine qui vient d’entrer? Et qu’est-ce qui motivait sa prédiction? Hellin n’en a pas la moindre idée. Pourtant, elles engagent la conversation.
Cette femme s’appelle en réalité Lorraine Letendre, elle est une imminente architecte d’intérieur, elle vit à Miami où elle travaille pour une clientèle de tous horizons. Inutile de chercher son site ou son compte Instagram: elle est ultra discrète et se penche dans l’ombre sur des projets pour des célébrités ou des personnalités du monde des affaires, le genre de clientèle qui n’a pas la moindre envie de voir son habitation dans des livres ou des magazines. Les seuls noms de clients qui circulent? On parle notamment de l’icône de la mode Calvin Klein et du cinéaste Michael Bay, pour qui elle a aménagé des maisons dans les Hamptons et à Los Angeles.
L'associée de Belgique
"Lorsque j’ai rencontré Lorraine à Anvers, elle m’a expliqué qu’elle venait en Belgique presque tous les mois", explique Hellin. "Elle avait même un appartement à Anvers, dans le Vlaeykensgang, la rue où Axel Vervoordt a créé son entreprise. Pour ses projets, Lorraine fait régulièrement l’acquisition de pièces de mobilier chez Vervoordt, qui est toujours un de ses amis."
La prophétie de Letendre se réalise: après cette visite chez Flamant, il y a 18 ans, elle change effectivement la vie d’Hellin. "Ce jour-là, Lorraine m’a demandé si je ne voulais pas travailler pour elle. Un ou deux jours par semaine, en tant qu’assistante basée en Belgique."
Céline Hellin accepte et fait la navette entre Miami et Anvers pour devenir la première assistante de Letendre. La petite équipe travaille sur des projets résidentiels de premier plan, principalement à New York et Los Angeles. "Vous me faites penser à moi, lorsque j'étais plus jeune", me disait-elle. "Comme elle, je n’avais pas de diplôme en décoration d’intérieur. Je savais à peine dessiner des plans quand j’ai commencé à travailler pour elle, mais elle a immédiatement remarqué à quel point j’étais passionnée. Elle m’a donc rapidement emmenée à des rendez-vous avec des clients, des architectes et des entrepreneurs de premier plan. Lors de ces réunions, elle ne me présentait jamais comme ‘mon assistante’, mais comme ‘mon associée de Belgique’.
Je ne travaillais pas sous sa direction, mais à ses côtés", se souvient Hellin. "Je me souviendrai toujours de cette leçon. J’ai une équipe, mais je ne la considèrerais jamais comme mes assistants: je les vois comme mes collègues."
Pourquoi Céline Hellin bénéficie-t-elle immédiatement de tant de confiance et d’opportunités? "Le fait que je vienne de Belgique a certainement aidé. Nous ne réalisons pas assez que la Belgique est vraiment un label de qualité ici, aux États-Unis. Axel Vervoordt a mis notre pays sur la carte internationale de l’architecture d’intérieur. Et la nouvelle génération - pensez à Vincent Van Duysen, Nicolas Schuybroek, Nathalie Deboel ou Benoit Viaene -, nous apporte un talent et une qualité telle que nous pouvons continuer à miser sur le style belge pour en faire notre marque."
Les derniers moments
Il y a six ans, on découvre que Letendre a un cancer, un moment douloureux que
Céline Hellin vit de près. "Il y a six mois, elle m’a appelée pour me dire que son état se détériorait rapidement. Elle m’a demandé de terminer son dernier grand projet. Ces dernières semaines, je l’ai aidée à régler ses papiers, à faire l’inventaire de sa collection, à organiser sa fondation et à planifier les donations. Elle n’a pas d’enfants, et n’a jamais été mariée. Elle voit parfois en moi la fille qu’elle n’a jamais eue. Comme nous avons beaucoup voyagé ensemble et travaillé jusque tard dans la nuit presque tous les jours, nous avons également développé une relation personnelle très étroite. Nous avons partagé beaucoup de choses. Le processus d’adieu est très difficile, mais je suis heureuse de pouvoir le faire pour elle, afin de la remercier de tout ce qu’elle a fait pour moi. Elle a cru en moi à un moment où elle était pratiquement la seule."
Pourtant, reprendre le bureau de Letendre n’est pas du tout dans l’intention de Céline Hellin. En effet, elle a fondé, il y a quelque temps, sa propre agence à Miami, Design Studio JAC, avec deux collaborateurs de Letendre. Bien qu’elle n’ait pas encore décroché de projets du calibre de ceux de Letendre, son équipe a déjà réalisé des projets d’aménagement d’intérieur se chiffrant à plusieurs millions de dollars, des montants exceptionnels selon les normes belges. Et les projets ne manquent pas: "Nous travaillons actuellement avec JAC pour développer une première collection outdoor qui devrait être prête d'ici à la fin de l’année."
Des débuts remarqués
Pendant un certain temps, le covid a menacé de jouer les trouble-fêtes dans la carrière de Hellin à Miami. "Comme mon visa arrivait à expiration, j’ai dû rentrer en Belgique en février 2020. Je voulais y rester trois semaines, pour rendre visite à ma famille et mes amis, avant de repartir. Mais la pandémie a éclaté et les frontières se sont fermées", explique-t-elle.
Elle ne parvient pas à rentrer à Miami, ce qui la force à passer le confinement à Anvers. "Les premières semaines, je me suis reposée. J’ai mis de l’ordre dans ma maison, car, en tant que collectionneuse de design, j’avais accumulé pas mal de choses. J’ai mis quelques chaises en vente sur Instagram. À l’époque, je n’avais que 200 abonnés, principalement des marchands de vintage et de design à qui j’achetais déjà des objets et du mobilier pour les projets de Lorraine aux États-Unis. C’est alors qu’on m’a demandé si j’étais devenue antiquaire."
Comme elle est de toute façon coincée en Belgique, elle décide de participer avec sa mère au Brussels Design Market organisé à la fin du mois de septembre 2020 à Tour & Taxis. On leur attribue un stand de 45m², trop grand pour le nombre de pièces qu’elles avaient à présenter. "Ma mère et moi avons donc écumé des sites comme 2ememain.be et marktplaats.nl à la recherche de pièces de qualité. La veille de la foire, j’ai publié sur Instagram un teaser de notre sélection et deux marchands ont directement acheté un quart de notre marchandise: j’ai donc été obligée d’apporter des pièces de ma collection privée à Tour & Taxis. Notre stand a attiré de nombreux visiteurs et nous avons très bien vendu. Et, à la fermeture, une architecte d’intérieur française est venue acheter le reste de notre stand. Le lendemain, elle était devant ma porte car elle en voulait encore."
Un Entrepôt de 2.000 m²
Céline Hellin ne regrette pas le moins du monde d’avoir participé au Brussels Design Market: son investissement initial a été largement rentabilisé. Et elle a senti qu’il y avait une demande pour des pièces correspondant à son goût, du vintage patiné avec un grand sens de la texture et des matériaux naturels. "Comme j’étais coincée en Belgique, j’ai décidé de continuer dans ce segment. Avec ma mère, j’ai donc à nouveau loué une camionnette pour aller chercher des pièces vintage et les revendre, principalement à des marchands. Comme je n’avais pas de galerie, j’ai d’abord tout stocké à la maison. Très vite, mon hall s’est rempli, puis mon salon, puis la chambre, jusqu’à ce que ça devienne intenable et que, via un ami, je puisse disposer d’un entrepôt de 1.000 m² qui est, lui aussi, rapidement devenu trop petit. Maintenant, j’ai un entrepôt de 2.000 m²."
"De là, nous livrons à des dealers en Belgique, dans le reste de l’Europe, mais aussi en Amérique et en Australie.", ajoute-t-elle. "Notre secret? Garder une offre cohérente, entretenir nos contacts, rester discrets, fixer des prix justes. La pandémie nous a aussi très certainement aidés: les gens sont restés si longtemps chez eux qu’ils ont enfin voulu faire quelque chose pour améliorer leur intérieur."
En deux ans, l’activité de la Belge a considérablement évolué. Elle a commencé avec des pièces non signées qu’elle vendait à des prix très raisonnables pour ensuite élever le niveau. Avec une équipe de trois personnes, elle traite aujourd’hui des pièces du calibre de Perriand, Chapo et Prouvé. "Je collectionnais déjà le design avant de rencontrer Lorraine, mais, grâce à elle, je suis devenue une passionnée. Lorsque j’étais dans ses bureaux de Miami, j’emportais des livres de sa collection pour les lire chez moi. C’est ainsi que j’ai appris tant de choses sur l’Art déco et le design du XXe siècle."
New York-Miami
Maintenant que les voyages aux États-Unis sont de nouveau autorisés, un nouveau dilemme va se poser: retournera-t-elle définitivement à Miami pour diriger sa propre agence de design d’intérieur, en hommage à Letendre? Ou bien va-t-elle continuer dans le business du vintage et, à terme, le transférer à Miami? "Je vais continuer à combiner les deux. Comme je n’ai plus le temps de parcourir moi-même les sites internet de seconde main, ce sont les autres qui me tuyautent sur les bonnes pièces", ajoute-t-elle.
"Miami est en train de changer, paraît-il. Le corona et le télétravail obligatoire ont poussé beaucoup de gens à fuir New York. Ils ont réalisé que la qualité de vie à Miami est nettement meilleure qu’à New York. Il y a déjà un afflux d’hommes d’affaires et d’avocats, mais en termes de marchands de vintage et d’agences de décoration d’intérieur, il n’y a pas encore grand-chose à Miami. Peut-être que dans le futur, je pourrai être le chaînon manquant entre la Belgique et les États-Unis."
instagram @celinehellin
Brussels Design Market: les 23 et 24 avril, à la Gare Maritime à Tour & Taxis à Bruxelles. www.designmarket.be