Daniel Heer, matelassier de père en fils depuis 1907

Dans cette rubrique, nous donnons la parole à ceux qui pratiquent la beauté du geste au quotidien. Cette semaine: entretien avec le matelassier Daniel Heer à propos de daybeds, de luxe en 1907 et d’un doigt cassé.

Ça le fait?

Daniel Heer: "Oui, à part que je me suis cassé le doigt cet été lors d’une randonnée dans les Alpes suisses. Je ne peux donc pas fabriquer de matelas pour le moment. Mes parents sont venus de Suisse pour me donner un coup de main pour finaliser les commandes en cours. Notre entreprise familiale a été fondée en 1907. Aujourd’hui, nous faisons toujours les matelas à la main, comme le faisait mon arrière-grand-père. Mais à l’époque, les lits king-size n’existaient pas. Je dors sur un matelas que mon grand-père a fait dans les années 50. Ce type de matelas doit être rénové tous les 20 ans, mais pas pour remplacer les fibres de crin de cheval: cette opération permet au crin de respirer à l’air libre. Le vieux crin peut parfaitement servir à faire un nouveau matelas. Il est réutilisable à l’infini."

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Avez-vous fait votre chemin?

"J’ai bien peur que ce soit un work in progress. Je m’appuie sur l’héritage de mes ancêtres. J’ai appris le métier auprès d’eux et je n’ai jamais fait autre chose dans la vie. Mon objectif n’est pas de réinventer notre produit, mais plutôt d’affiner sans cesse notre savoir-faire. Autrefois, il était tout à fait courant de dormir sur un matelas en crin de cheval. Ce qui était une évidence à l’époque de mon arrière-grand-père est aujourd’hui considéré comme écologique et durable. Je me demande parfois comment un objet aussi utilitaire a pu devenir un produit de luxe au fil du temps, alors qu’il n’a absolument pas changé."

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L’art du sommeil

Daniel Heer vit et travaille à Berlin, où il est possible de visiter son atelier et de passer la nuit dans sa chambre d’hôtes, sur un de ses matelas en crin de cheval confectionnés à la main.

En Belgique, l’artisan travaille en partenariat avec l’architecte d’intérieur Gert Voorjans et le concept store Graanmarkt 13, tous deux à Anvers.

Cette année, grâce à Voorjans, le Suisse a fabriqué un matelas en crin de cheval en public à l’occasion de Collectible, la foire bruxelloise dédiée au design contemporain de collection.

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"Le crin de cheval est souple et respirant: il procure une sensation de chaleur en hiver et de fraîcheur en été", explique le matelassier. "Le crin provient exclusivement de la queue des chevaux. Nous l’achetons à la filature Toggenburger & Co., en Suisse, où il est d’abord bouilli dans de l’eau avec du savon naturel, séché et, enfin, filé en fines mèches."

Site web | www.danielheer.com

"Notre entreprise familiale a été fondée en 1907. Aujourd’hui, nous faisons toujours les matelas à la main."
"Notre entreprise familiale a été fondée en 1907. Aujourd’hui, nous faisons toujours les matelas à la main."
©Lisa Swarna Khanna

Avez-vous fait une boulette?

"En essayant de manger une glace par 35 °C avec un doigt cassé."

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Qu’est-ce qui vous empêche de dormir?

"Comment faire pour que les choses restent simples dans un monde de plus en plus complexe. Les gens savent de moins en moins comment sont fabriqués les objets. Nous avons perdu le lien avec la production artisanale et il y a trop d’intermédiaires dans la chaîne de production. Combien de fois avez-vous eu un échange direct avec un fabricant? Nous sommes une espèce en voie de disparition: en Europe, il ne reste plus que quelques fabricants traditionnels de matelas en crin de cheval et la plupart d’entre eux ont plus de soixante ans. Ces dernières années, on a tendance à un peu trop fétichiser les artisans. C’est agaçant: nous ne sommes pas des héros qui sauvent des vies ou résolvent des problèmes. Tout ce que je fais, c’est fabriquer un bon matelas."

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"Un seul matelas nécessite le crin de 43 chevaux."
Daniel Heer

Qu’est-ce qui fait votre journée?

"Une bonne nuit de sommeil. Heureusement, je peux dormir presque partout. Dormir semble naturel, mais c’est très difficile en réalité. La nuit est un moment actif, pas passif. Les gens cherchent toutes sortes de moyens pour mieux dormir, mais le sommeil reste une affaire très personnelle. En fin de compte, c’est à chacun de trouver le sien."

Bienvenue dans l’atelier secret de Suber père et fils à Bruxelles
Il faut plus de cinq jours à Daniel Heer pour fabriquer un matelas. Il en produit environ quatre par mois dans son atelier berlinois. "Ce ne sera jamais une production de masse."
Il faut plus de cinq jours à Daniel Heer pour fabriquer un matelas. Il en produit environ quatre par mois dans son atelier berlinois. "Ce ne sera jamais une production de masse."
©Lisa Swarna Khanna

Comment faites-vous la différence?

"Dans notre atelier familial, chaque matelas est entièrement confectionné la main. Nous gérons tout, de A à Z. Il faut plus de cinq jours pour fabriquer un seul matelas, ce qui fait que nous en produisons environ quatre par mois. Produire en plus grande quantité serait impossible. Il n’y aura jamais de production de masse, car un seul matelas nécessite le crin filé de 43 chevaux. Ce crin provient d’une filature en Suisse, avec laquelle mon arrière-grand-père collaborait déjà. C’est un produit naturel exceptionnel, filé en fibres de 25 centimètres de long. Il respire, absorbe l’humidité et est antiseptique. Je n’ai pas encore trouvé d’autre matériau doté de propriétés supérieures."

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Que devez-vous faire de toute urgence?

"Apprendre à rester calme vu que j’ai un doigt cassé. L’art de se reposer est indissociable de l’art de travailler. Le repos, c’est notre métier. Nos matelas ne sont pas conçus pour être esthétiques, mais pour offrir une performance optimale: leur véritable test, c’est la nuit. C’est pourquoi nous ouvrons également des lieux de sommeil, où les clients peuvent tester nos matelas. À Berlin, nous avons une chambre d’hôtes à l’étage de l’atelier où nous fabriquons les matelas, la Schöneberger Zimmer. Les clients peuvent visiter l’atelier et découvrir notre processus de fabrication. Ils deviennent ainsi partie intégrante du processus. Plutôt que de simplement leur expliquer le produit, je leur donne l’opportunité d’assister à sa fabrication et de dormir dessus. À Paris, nous disposons également d’un petit appartement minimaliste d’une seule pièce, au sixième étage d’un immeuble, où l’on peut passer la nuit sur un de nos matelas. Nous envisageons d’ouvrir un lieu similaire à Anvers."

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©John H. Photo

Que faites-vous actuellement?

"Nous travaillons sur des coussins pour des daybeds destinés à une agence de création à Berlin. Nous allons les recouvrir avec un nouveau tissu, mais en réutilisant le rembourrage existant. Récemment, j’ai eu un appel de Markus Odermatt, le gérant de la Villa Feltrinelli, un hôtel cinq étoiles sur les rives du lac de Garde. Il se trouve que Markus Odermatt est originaire du même village suisse que moi. À l’époque, son grand-père avait commandé un matelas en crin de cheval à mon grand-père. Il m’a expliqué qu’il avait déjà testé tous les meilleurs matelas, mais qu’il souhaitait perpétuer l’histoire de nos deux familles dans son palace. Il a déjà commandé deux matelas, un pour lui et un pour son fils. Comme il souhaite réinventer son hôtel, nous avons réfléchi ensemble à une salle de repos équipée de nos matelas. Un peu comme une auberge de jeunesse, mais en version premium."

Qu’est-ce qui vous fait bondir?

"La série ‘Emily in Paris’ sur Netflix. Je n’aime pas les décors excessivement chargés. Je préfère une esthétique minimaliste et épurée. C’est probablement mon côté berlinois..."

©John H. Photo
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