L’ère des finitions mates et des éléments rustiques minimalistes toucherait-elle à sa fin? Le brillant, opère un retour en force, s’imposant comme la tendance incontournable du moment.
Il est des lois immuables: après la pluie vient le beau temps; après le skinny jeans vient le wide leg; après le minimalisme vient l’exubérance. Si l’Art nouveau se caractérisait par des courbes sinueuses et une inspiration naturaliste, l’Art déco, avec ses lignes géométriques, incarnait le progrès de la science. Après le design épuré du milieu du siècle dernier chez les familles bien rangées des années cinquante, les années 1970 ont tout chamboulé dans une explosion de couleurs et de formes expérimentales sur fond de musique disco.
La mode, à l’instar du design, n’est qu’un éternel retour. Ce n’était donc qu’une question de temps avant que le glamour et l’opulence finissent par détrôner le règne du grège dans les intérieurs belges, l’esthétique zen japonaise et la simplicité scandinave.
High gloss
En prêtant attention à notre environnement, force est de constater que le high gloss est déjà omniprésent. L’engouement a débuté par les sacs à main et le gloss à lèvres qui fit briller les lèvres – ce qui exige bien plus de retouches que les rouges à lèvres ultra mat d’antan. Souvenez-vous du défilé haute couture de Maison Margiela par John Galliano présenté l’année dernière. Au-delà des tenues corsetées inspirées des années 1930, c’est le teint diaphane et glossy que Pat McGrath avait créé pour l’occasion qui a marqué les esprits. L’effervescence autour de la réalisation de ce look a captivé la toile pendant des mois. Après une année de patience, l’annonce est enfin officielle: le ‘Skin Fetish, Glass 001 Artistry Mask’ de la make-up artist britannique entre en production et la liste de précommande est ouverte.
Dans l’univers de la mode également, le cuir verni – ou cuir en finition brillante – s’impose comme une valeur sûre. Qu’il s’agisse du ‘Ribbon Bag’ brillant d’Acne Studios, des bottes effet vinyle de Dries Van Noten, des imperméables déperlants de Kassl Editions et des pièces vintage de Courrèges, le brillant est partout. Décidément, il n’y a pas que l’or qui brille.
Changement de vibe
Que la tendance high gloss se soit fait une place dans les salles de bains et les garde-robes est une chose. Mais que le monde de la décoration d’intérieur, d’ordinaire moins rapide à la détente, succombe à son tour à cet attrait pourrait bien annoncer une révolution esthétique associée à un changement des mentalités. Certes, les teintes douces comme le beige et le marron gardent leurs aficionados, mais les finitions brillantes suscitent désormais un engouement croissant.
Le dernier Salone del Mobile à Milan en a apporté la preuve, avec des créations rendant hommage aux années 1970 hédonistes, foisonnantes de couleurs et de brillance. Des commodes de Hannes Peer pour Minotti aux tables ‘Allure O’Dot’ de Monica Armani pour B&B Italia, en passant par le langage formel presque exubérant chez Baxter; tous ces éléments convergent vers une même idée: place à l’éclat et à la splendeur!
Une couleur brillante dans la déco est un parti pris qui flashe.
Sur Pinterest, Instagram et TikTok, les images d’espaces à la brillance exacerbée abondent, bien qu’Élise Van Thuyne, architecte d’intérieur, émette quelques réserves quant à cet engouement. Depuis ses débuts, elle privilégie les techniques traditionnelles de laquage quand ses projets – en général de vastes rénovations – l’exigent et le processus de réflexion qui sous-tend ses choix est primordial.
Que penser du brillant purement décoratif, comme on en voit tant sur les réseaux sociaux? "On ne saisit pas l’essence de ce concept. Je suis parfois exaspérée par ces belles images qui sont, en réalité, dépourvues de sens." Elle adopte une approche beaucoup plus holistique: "Comment mes clients vivent-ils aujourd’hui et comment vivront-ils dans dix ans? Le brillant s’intègre parfaitement dans cette perspective, car c’est à la fois une technique ancestrale et intemporelle."
"Le vernis brillant est fonctionnel", poursuit-elle. "Il permet de jouer de manière fascinante avec la lumière. Dans un bâtiment où la lumière naturelle est rare, on peut presque doubler, que dis-je, centupler la luminosité ambiante. Ce n’est pas simplement décoratif: ça optimise la lumière existante et enrichit l’expérience globale, et tout cela sans se limiter à une belle lampe."
De plus, les surfaces brillantes, qu’il s’agisse de murs ou de carrelages, permettent d’interagir avec les autres éléments de la pièce. Van Thuyne précise: "Si l’on place un tapis vert dans une pièce aux murs blancs laqués, ces murs vont prendre une teinte verte. Mais si on laque tous les murs et plafonds, comme je l’ai fait dans les bureaux de la maison d’édition Luster, on obtient l’effet inverse. Ce n’est qu’en s’asseyant que l’on remarque à quel point il est singulier que non seulement les murs, mais aussi le plafond reflètent l’espace. C’est extrêmement captivant."
Facilité d’entretien
Autrefois, le brillant était omniprésent, des écoles aux cages d’escalier des hôpitaux, souvent pour sa facilité d’entretien. "Le laquage traditionnel à la peinture à l’huile formait une pellicule tendue sur le mur. Résultat? Il était non seulement parfaitement lavable et résistant à l’usure, mais aussi plus robuste, ce qui prolongeait considérablement sa durée de vie." Le regain du brillant sur Pinterest et autres fait craindre les faux pas. Van Thuyne: "Appliquer une laque n’est pas aisé ni à prendre à la légère. Ce qui donne à cette finition son aspect luxueux, c’est le savoir-faire, car la moindre imperfection se voit comme le nez au milieu du visage. La laque brillante ne révèle toute sa splendeur que lorsqu’elle est appliquée par un expert."
Jeu de lumière
"Vingt pour cent du travail de laquage consiste à peindre. Le reste, c’est de la préparation", lance Vincent Perbal de Studio Penelope. Il est bien placé pour le savoir. Cet artisan est l’un des derniers peintres de notre pays à maîtriser les techniques traditionnelles de laquage à l’huile. "J’ai eu la chance de rencontrer un maître", confie-t-il. Après avoir appris auprès d’un peintre retraité, lui-même héritier d’une longue tradition, il est capable de peindre des murs dont la brillance rappelle celle d’un lac par temps calme.
"Il n ’y a rien de plus beau que la lumière du jour qui pénètre et se diffuse dans l’espace, créant un jeu de lumière magique", déclare Perbal. "Surtout sur les murs anciens, où les courbes poncées donnent l’impression d’une surface liquide."
La préparation, étape cruciale, consiste à enduire et à poncer minutieusement les surfaces. Perbal travaille aussi bien sur les meubles que sur les murs et les plafonds. "Aujourd’hui, on utilise des machines spécifiques, mais à mes débuts, tout se faisait encore à la main. Aucune machine ne pouvait poncer aussi délicatement. On utilisait du papier de verre et de l’eau, souvent jusqu’à se blesser", dit-il en riant.
Bien que les machines soient plus performantes aujourd’hui, cela reste un travail exigeant, surtout lorsqu’on utilise, comme Perbal, des peintures à séchage rapide. "Impossible de faire une pause-café. Dès que la peinture sèche, on ne peut plus raccorder la section suivante sans laisser de trace. C’est stressant du début à la fin, jusqu’à ce que tout soit parfait en une seule fois. Mais quand on y parvient, c’est magnifique."
Joa Studholme observe également le retour en grâce des finitions brillantes. En tant que responsable des couleurs chez Farrow & Ball, elle sélectionne les nouvelles teintes de la marque britannique. Elle entrevoit notamment de nouvelles possibilités pour les boiseries: "L’interprétation moderne consiste à peindre les murs d’une seule couleur, mais à appliquer une finition ultra brillante sur la partie inférieure, alors que la partie supérieure est peinte en mat", explique-t-elle. "Les couleurs les plus efficaces sont souvent intenses et théâtrales, mais même une peinture blanche ultra brillante convient si l’on souhaite maximiser la luminosité de la pièce."
On peut également opter pour une approche plus ludique, par exemple en peignant le plafond d’une couleur brillante audacieuse. "Ainsi, une pièce peut devenir incroyablement attrayante. C’est une intervention simple et percutante qui apporte une touche de gaieté à l’intérieur."
Solution ludique
Si le laquage professionnel des murs n’est pas envisageable, les meubles peuvent offrir une solution intéressante. En 2014, Muller Van Severen expérimente pour la première fois une finition brillante, lors d’une exposition chez Valerie Traan où ils opposent le métal rouillé au laquage. "Face à ce matériau brut se trouvait le chic du brillant que nous avons – avec beaucoup de difficulté – appliqué nous-mêmes, au pinceau." Depuis, c’est devenu un élément récurrent de leur signature, dont leur dernière création, ‘Bridges’, soit des formes géométriques colorées pour BD Barcelona, à mi-chemin entre l’armoire et la sculpture, recouvertes d’une laque ultra-lisse qui confère à l’objet une présence autonome. "Une finition brillante intensifie la profondeur des couleurs et permet de souligner à la fois la forme et la couleur. Ces ‘Bridges’ étaient les objets parfaits pour cet effet."
Le point commun entre ces créations à la brillance intense réside avant tout dans l’histoire d’un savoir-faire exceptionnel. Pour Teun Zwets, jeune designer diplômé de l’Académie de Design d’Eindhoven, c’est cet aspect qui l’a attiré vers ce type de finition. "Je me suis passionné pour la technique de la pulvérisation de peinture, et je voulais l’explorer à fond. Le laquage est évidemment la technique la plus complexe et on aspire à la maîtriser."
Lors de la dernière Dutch Design Week, il a présenté des pièces de sa collection ‘Splitted’, fabriquées à partir de bois fendu à la hache qu’il a transformé en armoires, tables et chaises brutes et qu’il a ensuite laquées pour créer un contraste saisissant: un matériau ordinaire devient à la fois coloré et onirique, fascinant et précieux. "En travaillant avec le laquage, on met davantage l’accent sur la forme et la texture", explique Zwets. "Et cela donne plus de cachet à l’ensemble. J’ai déjà peint une chaise en mat, mais c’est beaucoup moins spectaculaire. Avec le laquage, tout semble plus appétissant."