À Londres, nous avons rendu visite à Paolo Moschino et Philip Vergeylen, un duo d'architectes qui ont décoré un palais en Sicile ou encore leur ferme de la campagne anglaise.
Tout a commencé par une lampe d’Alberto Giacometti, il y a 26 ans. Philip Vergeylen, un Alostois qui vivait à Londres et travaillait en tant que "global head of marketing" chez American Express, entre chez l’antiquaire Paolo Moschino et tombe amoureux d’une lampe. Philip retourne à trois reprises dans la boutique avant d’enfin se décider à l’acheter. "Je lui ai proposé de venir la lui livrer personnellement et je ne suis plus jamais reparti!", s’exclame en riant Paolo Moschino qui, avec Philip Vergeylen, m’accueille chez eux. Le style de l’appartement à deux pas de Victoria Station est chic et vivant. On y trouve de la symétrie et des antiquités, des accents dorés et des canapés blancs, mais aussi une bibliothèque colorée, une collection de dessins de Jean Cocteau au mur et un immense tapis léopard.
Ce couple italo-belge d’"extraordinary gentlemen" forme également un tandem professionnel: il dirige Paolo Moschino Limited, un nom respecté dans la décoration d’intérieur de luxe internationale. Paolo Moschino Ltd. a ainsi réalisé l’aménagement de la Villa Igiea à Palerme, en Sicile, un hôtel du groupe Rocco Forte où ont été tournées certaines scènes de la série HBO "The White Lotus". Vergeylen: "Quand j’ai vu la scène où le personnage de Jennifer Coolidge va dîner au restaurant avec son mari, j’ai immédiatement reconnu mon bar."
La répartition des tâches au sein de Paolo Moschino Ltd. est stricte: Vergeylen dirige le studio de design composé de 18 architectes d’intérieur, tandis que Moschino supervise les showrooms. Le flagship store est toujours à Pimlico, mais il y a aussi des showrooms en Europe (Norvège, Madrid et Paris), aux États-Unis, au Canada et dans le reste du monde (notamment en Afrique du Sud). Ces showrooms proposent des antiquités et leurs propres collections de mobilier, luminaires, textiles et tapisseries. Le style de Paolo Moschino Ltd est "classic with a twist". Moschino: "Tous nos intérieurs sont classiques, accueillants et pleins de surprises."
"Dans ‘Le Lotus blanc’, le personnage de Jennifer Coolidge va dîner au restaurant avec son mari: j’ai tout de suite reconnu le bar que j’avais décoré."
Cole Porter
Cet appartement du quartier londonien de Belgravia est un harmonieux mélange de styles et d’époques: des fauteuils italiens années 60 de Paolo Buffa, un paravent coréen XVIIIe en laque de Coromandel et une peau de léopard sur le sol. Vergeylen: "Ma mère m’a pris pour un fou: les gens vont te prendre pour un dictateur africain! Mais le léopard est un élément avec lequel jouait Yves Saint Laurent, le grand maître du chic français: les canapés blancs dans lesquels nous sommes installés en ce moment sont des copies des canapés de l’appartement d’Yves Saint Laurent, rue de Babylone à Paris."
Moschino: "Tous les quatre à six ans, nous changeons notre intérieur. Nous sommes des collectionneurs d’antiquités – mobilier, objets ou porcelaines." Ils collectionnent aussi des objets chargés d’histoire: les étagères dorées du designer américain Billy Baldwin se trouvaient dans la bibliothèque du musicien de jazz Cole Porter. En me resservant de l’eau minérale dans un verre "Gondole" du Val Saint Lambert, Vergeylen se lance dans une digression sur son obsession pour un autre produit d’exportation belge, la porcelaine de Tournai. "Je l’ai découverte grâce à un ami brugeois. Il avait mis la table avec cette porcelaine de Tournai bleue et blanche: c’était ultra-chic. Nous l’utilisons dans notre maison de campagne. Par manque de place, nous devons en ranger des valises entières sous les lits des invités."
"L’art d’accueillir des invités fait partie de notre mode de vie et cela se reflète dans nos intérieurs: ils sont chaleureux."
Une visite qui a du chien
Cette maison de campagne se trouve dans le West Sussex. Le vendredi soir, Vergeylen et Moschino prennent le train à 19h05 tapantes pour rallier leur ferme de style Tudor. Moschino: "Le week-end commence par un gin-tonic à la gare Victoria et à 20h05, nous sommes attablés à la maison. Ce timing est dû aux gens merveilleux qui s’occupent de notre maison de campagne et de Jack, notre bouledogue français." Vergeylen: "En fait, c’est la maison de Jack: nous venons lui rendre visite le week-end!" (rires)
Le duo Moschino-Vergeylen aime recevoir: les invités du week-end à la campagne sont les bienvenus de l’apéritif du samedi midi au café après le lunch du dimanche. Moschino: "L’art d’accueillir des invités fait partie de notre mode de vie et cela se reflète dans nos intérieurs: ils sont chaleureux. Par exemple, je ne mets pas de sous-verre sous un verre, je le dépose tout simplement sur la table. Dans notre ferme, cette ambiance décontractée est encore plus marquée. Nous n’achetons jamais de fleurs coupées: nous coupons des branches dans le jardin ou nous prenons un pot de dahlias dans la serre."
Pour ceux qui souhaitent se plonger dans leur univers, le duo a publié le magnifique livre "An Entertaining Life - Designing Town and Country". On y trouve également l’apéritif offert à chaque visiteur du week-end: des œufs durs de caille avec du sel de céleri et un Bloody Mary. Vergeylen: "Mais le dimanche, les invités ne doivent pas s’attendre à ce que la table du petit-déjeuner soit dressée, je ne fais cet effort que pour ma mère! (rires) Chacun prend son petit-déjeuner à son aise."
Rock stars
Comment ce duo est-il tombé sous le charme des antiquités et de la décoration d’intérieur? Aucun des deux n’a suivi de formation formelle. Moschino fait partie de la famille de Franco Moschino, fondateur de la célèbre marque de mode italienne. Après des études de sciences politiques à Florence, il travaille dans le monde de la mode, pour la marque Joseph à Londres. C’est là qu’il rencontre Nicky Haslam, le king de la décoration britannique. Cet aristocrate (sa mère était la filleule de la reine Victoria), est devenu, dans les années 70 et 80, l’architecte d’intérieur de Bryan Ferry et Mick Jagger. Dès 1996, il reprend la boutique d’antiquités de Haslam à Pimlico, avant de continuer sous son propre nom.
Alors que le style Haslam était et reste très anglais (cottage meets rock’n roll), Paolo Moschino Ltd affiche un chic plus européen. A-t-il pour cela fallu commettre un "parricide"? Paolo: "Nicky a été un mentor. Au début des années 90, c’était une époque fantastique à Londres: David Bowie et Iman se rendaient chaque semaine dans la boutique d’antiquités de Nicky. J’ai beaucoup appris de Nicky: comment utiliser les couleurs d’un tableau comme base pour tout un intérieur par exemple. J’ai aussi dû désapprendre certaines choses, par exemple, il trouvait que le jaune était une couleur vulgaire. Il m’a fallu des années pour apprendre à l’apprécier!" (rires)
Vergeylen affirme ne pas avoir eu de maîtres à penser spécifiques. "L’amour de la beauté et des antiquités était très présent dans la famille. Ma grand-mère était abonnée au magazine Connaissance des Arts, que je feuilletais dès l’âge de douze ans. J’ai également grandi entouré de belles choses dans la maison de mes parents à Alost. Quand j’étudiais à Bruxelles, j’allais place du Jeu de balle dès six heures du matin pour chiner des antiquités."
"Axel Vervoordt, Jacques Wirtz: voilà qui, à mon avis, représente le vrai chic belge."
Projet toscan
Après toutes ces années passées au Royaume-Uni, ces gentlemen belgo-italiens sont-ils devenus des gentlemen britanniques? Vergeylen acquiesce: "Quand j’étais jeune, à Alost, je brûlais d’impatience d’aller dans une grande ville et New York était mon rêve. En Belgique, le week-end, on ne va pas à la campagne, mais à la mer – j’ai d’ailleurs passé toutes les vacances de ma jeunesse à Knokke. Mais aujourd’hui, je ne pourrais plus me passer de ces week-ends au vert."
Cependant, ils s’apprêtent à découvrir la campagne italienne: le couple vient d’acheter une maison au milieu des collines et des cyprès de Toscane. L’appel des racines italiennes de Moschino? "Nous voulions surtout une maison dans le Sud. Et un nouveau projet. Une rénovation totale nous attend, mais nous achetons déjà beaucoup d’antiquités et de porcelaine."
En Sicile, Vergeylen va bientôt se lancer dans une autre mission prestigieuse: la décoration de l’hôtel Palazzo Castelluccio à Noto, une petite ville baroque de la région de Syracuse. De son côté, Moschino a fort à faire avec l’expansion de ses showrooms, principalement aux États-Unis et au Canada. En effet, Paolo Moschino Limited connaît une croissance plus forte que jamais.
Malgré cette renommée internationale, l’entreprise est toujours un secret bien gardé en Belgique. Dans quelle mesure le duo est-il influencé par les Belges? Philip: "Je suis plus orienté vers la France, même s’il y a une influence. La boutique que Gert Voorjans a conçue pour Dries Van Noten est magnifique. Les premiers travaux d’Axel Vervoordt, les jardins de Jacques Wirtz: voilà ce qui représente pour moi le vrai chic belge."
Moschino: "De plus, nous sommes des habitués des antiquaires du Sablon: Costermans, la Galerie des Minimes, etc. Et nous sommes fans de (il pointe les mocassins qu’il porte) Belgian Shoes."
Ce qui nous amène à ces mocassins exclusifs vendus par la boutique de Paolo Moschino à Londres, et fabriqués à Izeghem. Vergeylen: "Lorsque je travaillais pour American Express, j’ai vécu quelque temps à New York. Là-bas, le label Belgian Shoes était vendu exclusivement sur Madison Avenue. Ces mocassins sont nés dans le cadre du plan Marshall: ils ont été créés dans les années 50 par un Américain qui les faisait fabriquer à la main à Izeghem. À New York, Belgian Shoes est un produit de luxe, c’est la chaussure des Hamptons.» Moschino: "Je n’oublierai jamais notre première rencontre avec la famille Vanacker, qui dirige la fabrique de chaussures Mareno à Izeghem: ils venaient de refuser une collaboration avec Ralph Lauren, à trop grande échelle pour eux. Par contre, ils nous ont dit oui! C’est pratique: nous n’avons plus besoin d’aller à New York pour acheter une nouvelle paire!" (rires)
Il est temps de prendre congé, Moschino et Vergeylen doivent se remettre au travail, droits dans leurs Belgian Shoes. Quelque chose me dit que ce n’est qu’une question de temps avant que tout ce que la Belgique compte d’amateurs de belles choses ne découvre Paolo Moschino Limited.
| Le showroom londonien de Paolo Moschino Limited se trouve au 202 Ebury Street. www.paolomoschino.com |
| "An Entertaining Life - Designing Town and Country", de Paolo Moschino et Philip Vergeylen, est publié chez Vendome Press, 55 euros. |