Il aura fallu la pandémie pour que Pierre Yovanovitch lance une collection de mobilier. Sa clientèle sera-t-elle séduite par des produits en série alors qu’il l’a habituée à du sur-mesure?
il y a tellement d’architectes d’intérieur qui lancent une collection de mobilier que l’on peut se demander si cela intéresse encore quelqu’un. Mais lorsqu’une pointure comme Pierre Yovanovitch (55 ans) s’y met, nous sommes un peu surpris. Et curieux de voir ce que le Français peut encore ajouter comme cordes à son arc. Outre des résidences privées, des châteaux et des chalets, Yovanovitch a également conçu l’hôtel Marignan à Paris, l’hôtel Le Coucou à Méribel, la galerie Kamel Mennour et le siège du groupe Kering, tous deux à Paris.
À Bruxelles, il a signé deux résidences privées et la galerie La Patinoire Royale. Pour quelqu’un qui réalise à ce niveau des intérieurs complets uniques, se lancer dans une collection de mobilier peut sembler être un pas en arrière. En effet, il créait déjà des pièces uniques pour ses clients. Par ailleurs, en 2017 et 2019 il a présenté "Oops" et "Love", deux lignes en édition limitée, à la galerie new-yorkaise R & Company.
"Un peu d’humour ne nuit pas; nous avons tous eu une année difficile!"Pierre Yovanovitch
Alors? Que va apporter PYMO -Pierre Yovanovitch Mobilier? "Ce n’est pas un projet accessoire", nous assure l’architecte d’intérieur. En effet, s’il emploie 45 personnes à New York et Paris, il a nommé un CEO distinct pour PYMO: Cédric Morisset, qui a fait ses armes à la maison de vente Piasa, à la galerie de design Carpenters Workshop et au magazine AD France. Après un pop-up place des Vosges à Paris, PYMO va occuper un showroom permanent dans ses bureaux parisiens. "Dès que la pandémie le permettra, nous ferons de même à New York. Nous envisageons également de créer un showroom dans une grande métropole comme Londres", ajoute Yovanovitch.
PYMO est-il un "projet covid"?
Pierre Yovanovitch: "À aucun moment, le covid n’a mis notre travail à l’arrêt. Par contre, j’ai moins voyagé, ce qui m’a permis de me consacrer à cette ligne de mobilier, un projet de longue date. Elle n’aurait jamais vu le jour sans le covid ni l’énergie débridée de Cédric Morisset, qui a grandement contribué à la concrétiser. Nous avons beaucoup travaillé pour créer une collection cohérente de 45 pièces, que nous présenterons à Paris comme une collection de mode."
PYMO serait le "prêt-à-porter" de Pierre Yovanovitch?
"En effet: les meubles uniques que je conçois pour des intérieurs sont ma haute couture, adaptée au lieu et au client. PYMO est toute autre chose: en vingt ans, j’ai appris à connaitre le type de meubles que nécessite un intérieur. Je peux les imaginer hors contexte: je suis comme un créateur de souliers qui ne sait pas quel pied va porter ses créations. Ce caractère ouvert est très présent."
Est-ce que vous y parvenez, vous qui êtes habitué à exercer un contrôle total?
"Grâce aux réseaux sociaux, je vois mes meubles ici et là. Ça me flatte et ça m’amuse de les voir dans des environnements que je n’ai pas conçus. Ça fait du bien de laisser faire."
Considérez-vous PYMO comme une collection de mode qui change chaque saison ou comme une famille qui s’agrandit?
"Comme dans une famille, chaque année, des pièces viendront s’ajouter pendant que d’autres disparaitront. Nous sommes encore en train de tâter le terrain. C’est une nouvelle aventure, je n’ai aucune idée de la façon dont elle va évoluer. Pour l’instant, les meubles sont disponibles en édition illimitée, mais nous pourrions par la suite initier des collaborations limitées avec des artistes."
Si la collection est une famille, qui sont Daniel, Hopper et Lexie, les prénoms que vous avez donnés à un canapé, une chaise et une suspension?
"Nous prenons notre ambition et notre savoir-faire au sérieux: nous travaillons avec des artisans au tour de main incroyable. Mais je voulais aussi donner à la collection un peu d’humour, de légèreté et un caractère humain. D’où ces prénoms fictifs. Dans le passé, j’ai déjà baptisé des meubles Catherine (pour Catherine Deneuve), Gérard (pour Gérard Depardieu) et James & Marsha, des personnages du film "Mars Attacks!". Un peu d’humour ne nuit pas; nous avons tous eu une année difficile!"
Allez-vous changer votre façon de vivre ou de travailler après la crise sanitaire?
"J’ai continué à voyager en Europe pendant la pandémie, mais pas aux États-Unis. Je pense que nous allons travailler et voyager autrement. Ce qui m’a le plus manqué, c’est le contact humain. Pouvoir montrer et toucher les matériaux est essentiel dans nos contacts avec la clientèle, ce que Zoom ne peut pas remplacer!"
Arne Jacobsen est devenu mondialement célèbre seulement après avoir conçu du mobilier. Est-ce l’ambition de PYMO?
"Mon objectif n’est pas de devenir un designer de mondialement célèbre. Avoir ma ligne de mobilier n’est qu’une nouvelle étape dans ma carrière. Je suis un homme impatient et ambitieux, je ne ressens pas le besoin de me limiter à la niche que sont les projets d’intérieur. Avec PYMO, j’ai voulu créer un univers un peu différent, avec des formes nouvelles et les matériaux naturels qui me sont chers. Je considère la collection comme un enrichissement personnel."
La collection comprend-elle des répliques de vos pièces haute couture?
"Je ne recycle jamais les créations de mes projets sur mesure. J’avais déjà conçu un banc en bois massif, mais jamais sous la forme du Daniel qui fait partie de la collection. Par contre, je travaille avec les mêmes artisans français et suisses, spécialisés dans le bois, la céramique, la ferronnerie et le verre, rien que des matériaux issus de la nature et très simples."
Votre collection est-elle un terrain de jeu pour l’expérimentation, comme celle de votre collègue italien Vincenzo De Cotiis? L’utilisez-vous pour réaliser des idées que vous ne parvenez pas à vendre?
"Tout comme mes intérieurs, mes meubles oscillent entre sophistication et simplicité. L’inattendu réside principalement dans les formes et l’utilisation de la couleur. Je continue à travailler avec mes matériaux habituels. Par contre, c’est la première fois que j’utilise du bronze doré."
Dans quelle mesure ces matériaux sont-ils durables et écologiques? Vous y travaillez?
"Nous n’utilisons que du bois massif local -du chêne, du noyer ou du mélèze-, issu de forêts écocertifiées et abattu de manière durable. Je n’utilise pas non plus de matériaux non écologiques, comme le plastique ou le corian. Pour moi, la durabilité consiste également à concevoir des meubles qui dureront toute une vie. Un canapé intemporel en bois massif ne s’usera pratiquement pas. Je ne conçois rien qui ne doive être remplacé après une saison."
À partir de la fin du mois de mai, la collection PYMO sera exposée en permanence, sur rendez-vous, dans les bureaux de Pierre Yovanovitch, 6 rue Beauregard à Paris. www.pierreyovanovitch.com