En mai, Saint-Paul-de-Vence comptera une nouvelle adresse incontournable. Les artistes Arik Levy et Zoé Ouvrier y ouvriront les grilles de leur domaine de 12.000 m² sur rendez-vous. Un rêve pour les amateurs de jardins et d’art...
"Imaginez une visite guidée privée du jardin de sculptures d’Henry Moore ou de Barbara Hepworth. Ce serait inoubliable, non? Et bien, c’est le sentiment que nous voulons donner à nos visiteurs", sourit Arik Levy. Non que l’artiste-designer israélien se compare à ces grands sculpteurs, mais nous comprenons son raisonnement: la visite de sa maison-atelier et son parc à Saint-Paul-de-Vence, guidée par l’artiste en personne, est plus mémorable qu’avec un jeune étudiant engagé à cet effet.
Au XXe siècle, de nombreux artistes ont vécu, séjourné ou laissé leur empreinte à Saint-Paul-de-Vence. Si l’on n’y croise plus Picasso, Matisse, Braque ou Chagall, on peut y rencontrer Arik Levy et Zoé Ouvrier. Levy est connu pour ses "totems" et ses sculptures cristalloïdes, entre homme et nature, entre technologie et émotion. Le travail d’Ouvrier est, quant à lui, plus délicat. Elle expose dans le monde entier des gravures sur bois figuratives et des peintures inspirées par la nature. À partir du mois de mai, ceux qui souhaitent les voir à l’œuvre pourront désormais visiter leur maison-atelier et leur parc de sculptures qui s’étend sur 12.000 m², sur rendez-vous.
"Comme nous ne pouvons pas recevoir tout le monde, nous ne laisserons pas entrer ceux qui ne nous auront pas envoyé une demande", prévient Levy. "Et ce ne sera pas ouvert tous les jours, vu que nous travaillons et assurons les visites. Se promener librement dans notre domaine n’est pas non plus notre objectif: seul le chat est autorisé à le faire. Nous voulons qu’il reste cosy et secret."
Une Ballerine à la main verte
Le couple vit depuis trois ans dans l’ancienne maison de Sylvie Guillem. Danseuse étoile à l’Opéra de Paris et au Royal Ballet de Londres, la Française a travaillé avec Maurice Béjart et Rudolf Noureev. "Sur YouTube, on trouve des vidéos d’il y a 25 ans où elle danse dans notre jardin", précise Levy. "Elle et son époux ont planté tous les arbres et créé ce petit paradis. C’est pour cela qu’elle ne voulait vendre qu’à quelqu’un qui avait des affinités pour la danse."
Et Arik Levy connaît d’ailleurs for bien le monde de la danse. En plus d’être product designer, professeur et artiste, il est scénographe de spectacles de danse. Il a travaillé notamment pour le Grand Théâtre de Genève, le Ballet national de Finlande et même le Nederlands Dans Theater de La Haye. "C’est là que j’ai appris le mot néerlandais ‘gezellig’! Il est intraduisible. Il ne correspond pas au terme anglais ‘cosy’, et il n’a pas d’équivalent en français."
"Autrefois, les retraités venaient se reposer sur la Côte d’Azur alors qu’aujourd’hui, elle attire les touristes venus du monde entier avec un programme chargé: chaque jour, ils veulent visiter un espace consacré à l’art."Arik Levy
En tout cas, la maison de Levy et Ouvrier est "gezellig". Ici et là, nous remarquons des objets design que Levy a conçus au cours des dernières décennies pour Vitra, Desalto, Emu et Molteni. Sa planche de surf est déposée dans un coin du salon. Et dans le double atelier (avec une piste de danse sur ressorts de l’époque de Guillem), la sérénité provençale afflue par les fenêtres cintrées. Rien ne laisse supposer que le couple a vécu 17 ans dans l’agitation parisienne. "Nous entendions souvent des gens déclarer: ‘On revient du Sud’ ou ‘On part au Sud’. Tout le monde semblait toujours être en route ou de retour de ce Sud. Alors, autant y vivre, non? Et puis, nous sommes tombés sur cette maison par hasard, alors que nous avions fait étape à Saint-Paul-de-Vence en revenant de Monaco. Je suis convaincu que ce n’est pas nous qui avons trouvé cette maison, mais que c’est elle qui nous a trouvés", avoue Levy. "Dès que nous sommes entrés, Zoé et moi avons su que ce serait chez nous. Même si c’était trop cher pour nous."
Rendez-vous international
Quelques mois après leur déménagement, la pandémie éclate, les confinant dans leur nouvelle résidence. Mais, avec 500 arbres, une oliveraie, un potager et des ruches, c’était loin d’être une punition. "Être confinés ici a été un privilège. Nous avons abondamment profité de l’énergie et des fruits de notre jardin. Nous pouvions manger quelque chose de différent chaque jour. Nous sommes progressivement passés du statut de citadins à celui d’hommes des bois. Lorsque nous sommes arrivés ici, nous ne connaissions rien ni personne. Maintenant, nous avons réalisé que c’est un véritable rendez-vous international. Le paysage artistique entre Monaco et Marseille a énormément changé au cours de ces dix dernières années. Bien sûr, vous avez le Mucem à Marseille et la Fondation Luma à Arles, mais il y a aussi la Fondation Carmignac, le Domaine du Muy, le Château La Coste, la Fondation Bernar Venet, la Fondation Maeght et la Fondation CAB. Autrefois, les retraités venaient se reposer sur la Côte d’Azur. Alors qu’aujourd’hui, les touristes internationaux ont un programme chargé: chaque jour, ils veulent visiter un espace consacré à l’art."
Changement d’échelle
Ainsi qu’en témoignent les œuvres de Georges Braque, Jean Cocteau, Pablo Picasso ou Marc Chagall, le climat provençal et la nature de la région de Saint-Paul-de-Vence ont considérablement influencé le travail des artistes. Et il n’en va pas autrement pour Arik Levy et Zoé Ouvrier: "Ici, la lumière est magique. Les parfums méditerranéens me rappellent mon enfance à Tel-Aviv. Le pouvoir de la nature est omniprésent. Et la voile ou le ski ne sont qu’à 20 minutes", explique-t-il. "Le lieu a changé mon échelle de travail. Lorsque je réalisais une sculpture de quatre mètres de haut à Paris, c’était complexe en termes de production, de transport et de stockage, car elle était bien trop grande pour mon atelier. Par contre, ici, dans mon jardin, à côté des cyprès, cette même sculpture ressemble à un cure-dent: pour avoir de l’allure, elle devrait faire au moins dix mètres de haut!"
Pour l’instant, le Sud a peu d’influence sur son choix de matériaux. Pour ses sculptures, Levy utilise toujours principalement le bois, l’acier, l’inox ou le bronze. "Si vous fabriquez un objet en bronze, il a d’emblée une valeur éternelle parce qu’il évoque l’âge du bronze ou les découvertes archéologiques de la Grèce antique. Un matériau change notre notion du temps. Quand je réalise une sculpture en bois, les gens me demandent souvent si elle va durer un siècle. Je leur montre alors la lance africaine de 200 ans parfaitement conservée qui se trouve dans ma collection privée, puis je réponds: pensez-vous que votre voiture à 500.000 euros sera toujours utilisable dans vingt ans?"
Explosion des cristaux
Pour Zoé Ouvrier, vivre à Saint-Paul-de-Vence est un retour à son enfance à la campagne, elle qui a grandi dans un village des environs de Montpellier, où elle "jouait avec des grenouilles dans le rivière". Pour Levy, le déménagement est plus radical. "Je suis un citadin, mais après 17 ans passés à Paris, nous étouffions. Nous avons d’abord loué une maison en dehors de Paris, où nous allions pour échapper à la foule et à la pollution pendant le week-end. C’est là-bas que nous avons réalisé que nous avions besoin de ce genre d’endroit. À Saint-Paul-de-Vence, pour la première fois de ma vie, je peux vivre parmi mes œuvres. Ici, je cultive l’art d’être moi-même. Je peux créer et placer mes sculptures dans leur habitat naturel. De même, les personnes qui viennent ici peuvent s’imaginer plus facilement comment une telle sculpture fonctionnerait chez elles."
Dans le jardin luxuriant, ses sculptures technopoétiques nouent une relation intime avec le paysage et la nature. Les sculptures en acier Corten ont leur propre "peau" et semblent introverties. En revanche, les totems glossy en inox poli miroir paraissent très extravertis. "Ces totems accrochent le regard, mais, en même temps, ils se fondent dans leur environnement grâce à ce matériau réfléchissant. Ça leur confère une qualité cinétique: ils semblent différents à chaque seconde. Comme un aimant, ils vous aspirent dans un autre monde", explique Levy.
La sculpture en acier Corten qui se trouve à côté de la piscine est un cas particulier. Non seulement parce qu’elle ressemble à une explosion de cristaux, mais aussi parce qu’elle semble être la version réduite de "RockGrowth Hermitage", une sculpture de 20 mètres de haut et de 140 tonnes qui devait être érigée cet été en face du musée de l’Ermitage à Moscou. En fait, elle devait y être installée il y a deux ans déjà, mais la pandémie et maintenant, le conflit avec l’Ukraine ont mis ce projet sur pause.
Pourtant, étrangement, Levy n’a pas l’intention d’annuler le projet. "Pourquoi le ferais-je? J’ai des amis russes, ukrainiens, palestiniens et américains. Indépendamment du contexte politique, ce sont tous des gens que j’apprécie. Je suis moi-même originaire d’Israël. Dans ma courte vie, j’ai déjà vécu trois guerres. Je sais ce que c’est que d’entendre des bombes voler au-dessus de sa tête. Mais je ne suis pas un politicien, et je ne veux pas faire de déclarations politiques avec mon art. Je vois l’art comme un bâtisseur de ponts. Quelque chose qui va au-delà des décisions politiques du moment."