20.000 roses par jour en Bulgarie

Le succès de Flower by Kenzo dure depuis 15 ans. Sabato s'est rendu en Bulgarie pour cueillir des roses avec Alberto Morillas, l'un des nez les plus reconnus dans le milieu. "La rose de Damas est iconique, c'est le grand classique."


Quand on pense à la Bulgarie, on ne songe sans doute pas à l'huile de rose, ni à l'essence de lavande ni au foie gras de qualité. Pourtant, ce pays très verdoyant est un grand producteur de ces articles de luxe. On y fabrique d'ailleurs plus d'huile de lavande qu'en France. Et 85 % de la production mondiale d'huile de rose provient de la Vallée des Roses ou, comme l'appellent les Bulgares, de la 'Rozova Dolina'. Toutes les grandes maisons de parfums viennent s'y approvisionner. C'est aussi le cas de Kenzo, qui fête cette année le quinzième anniversaire de son succès, Flower by Kenzo. Un jubilé qui sera célébré par une version réactualisée de cette célèbre senteur, Flower by Kenzo L'eau Originelle.

Bien que le coquelicot soit son logo, ce parfum est essentiellement composé de roses. "Le coquelicot a une belle image: il est fragile, féminin, sensuel et éphémère. Mais il n'est pas très odorant", avoue Alberto Morillas, créateur de Flower (1999). "En tant que nez, j'avais le luxe de pouvoir inventer un parfum de coquelicot. Pour sa création, Kenzo m'a donné carte blanche, mais ce n'était pas si simple: la pression était énorme étant donné que le label avait connu plusieurs flops en la matière. C'était un peu le parfum de la dernière chance. J'ai relevé le pari et Flower est devenu un succès et c'est heureux."

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Alberto Morillas est très sollicité: on lui doit notamment les indémodables CK One de Calvin Klein, Acqua Di Giò de Giorgio Armani et L'Eau d'Issey de Issey Miyake.
Alberto Morillas est très sollicité: on lui doit notamment les indémodables CK One de Calvin Klein, Acqua Di Giò de Giorgio Armani et L'Eau d'Issey de Issey Miyake.
©Stanislas Liban

Alberto Morillas a grandi à Séville et travaille depuis 1970 pour l'un des plus grands producteurs de parfums du monde, Firmenich. Cette société crée chaque année des dizaines de parfums, des jus couture les plus exclusifs aux flacons des stars de la pop. Ainsi, ce célèbre nez a signé, entre autres, CK One de Calvin Klein, Acqua di Giò de Giorgio Armani, L'eau d'Issey d'Issey Miyake et Daisy de Marc Jacobs. Il est devenu une légende de la parfumerie tout en restant quasi inconnu du grand public.

Bottes en caoutchouc
Alberto Morillas passe la plus grande partie de ses journées dans son laboratoire de Genève où il concocte ses recettes qu'il note à la main. Aujourd'hui, il est avec nous sur le terrain. Costume cintré, panama et bottes en caoutchouc, il arpente les champs verts et roses. C'est la première fois qu'il se rend dans la Vallée des Roses et il est très impressionné. "J'ai déjà visité des plantations de roses au Maroc et en Turquie, mais je n'avais jamais vu des champs aussi étendus", s'émerveille-t-il alors que nous observons les cueilleurs de roses en plein travail.

Il n'est que 8 heures du matin, mais les ouvriers ont déjà une demi-journée de travail derrière eux. Dès 5 heures, ils sont au milieu des rosiers pour cueillir les fleurs quand elle sont parfaites: ni en boutons, ni ouvertes. "La rosée du matin conserve leur huile et, donc, leur parfum, à l'intérieur des pétales. Si on entame la cueillette à la mi-journée, la fleur s'est ouverte au soleil et la plus grande partie de l'huile s'est évaporée. Voilà pourquoi nous ne récoltons que le matin. Quand les journées sont très chaudes, on limite la cueillette", explique le propriétaire de la distillerie Enio Bonchev, Filip Lissicharov.

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L’huile de rose, c’est de l’or liquide. Chaque kilo d’huile représente 3.000 à 3.500 kilos de pétales, soit la récolte d’un hectare de rosiers.
L’huile de rose, c’est de l’or liquide. Chaque kilo d’huile représente 3.000 à 3.500 kilos de pétales, soit la récolte d’un hectare de rosiers.
©BelgaImage / Dimitar Dilkoff

Cueillette à la main
L'huile de rose qu'il produit est l'une des meilleures de Bulgarie. Grâce à cette réputation, il est aujourd'hui le fournisseur principal de Kenzo, mais aussi des cosmétiques Aveda. Son arrière-grand-père, Enio Bonchev, a créé la distillerie en 1909. Dans les années quarante, elle est nationalisée par le gouvernement bulgare. Ce n'est que 45 ans plus tard, après la chute du régime communiste en 1992, que la famille Bonchev peut enfin récupérer son bien. La société cultive biologiquement les 60 hectares de roses et les 100 hectares de lavande qu'elle possède.

La lavande est récoltée mécaniquement, mais les roses doivent être cueillies à la main, et une par une. Pour accomplir cette tâche, les horticulteurs font appel depuis des années aux Tziganes. "Pendant la récolte, la vallée accueille 3.000 cueilleurs, essentiellement des Tziganes et quelques Bulgares musulmans, des minorités qui ne sont pas bien acceptées par la plupart des Bulgares. Nous donnons du travail à des familles entières: les femmes et les enfants cueillent les fleurs, les hommes portent les sacs remplis jusqu'à la balance. En effet, ils sont payés au kilo récolté."

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©Stanislas Liban

Confiance et compréhension
"Un bon ouvrier cueille environ 60 kilos par jour, ce qui fait 20.000 roses environ" explique Filip Lissicharov. "La cueillette est une des étapes les plus délicates du processus car la qualité finale dépend de l'habileté des ouvriers. Nous travaillons depuis au moins vingt ans avec les mêmes familles de Tziganes des villages environnants. Nous n'avons besoin d'eux qu'un mois par an, mais leur travail est crucial pour notre activité. Nous faisons le maximum pour qu'ils reviennent d'année en année. Si nous ne les payons pas assez, ils iront cueillir des cerises ou des champignons. Deux produits qui ont l'avantage d'être comestibles, ce qui n'est pas le cas des roses."

"À Pâques et à Noël, nous nous rendons dans leurs villages pour leur apporter de l'alcool et de la nourriture, une cargaison que nous leur offrons. Ils nous attendent chaque année avec impatience. Nous leur accordons aussi des avances sur salaire avant même qu'ils entament la cueillette, bien que ce soit un peu risqué. Notre collaboration repose sur la confiance et la compréhension. Malheureusement, les relations complexes entre les Bulgares et les Tziganes ne facilitent pas toujours nos relations professionnelles."

Or liquide
Vers 8 heures, une fois que le premier chargement a été cueilli, les pétales partent à la distillerie. Toutes les roses doivent être traitées le jour même de leur cueillette. Durant la récolte, en mai et en juin, il n'y a ici ni week-end, ni jour férié: la distillerie fonctionne 24 heures sur 24. Distiller un chargement prend environ deux heures et demie. En principe, l'huile est alors prête à l'emploi, mais pour améliorer sa qualité, elle doit encore reposer pendant deux semaines.

La cueillette est une des étapes les plus délicates de la production. tout dépend de l'habileté des ouvriers.

Étonnamment, la quantité d'huile n'est pas exprimée en litres mais en kilos. Chaque année, la distillerie Enio Bonchev produit 250 kilos d'huile de rose qui sont exclusivement destinés à l'exportation.

En plus de sa production, la distillerie achète également des roses à 80 horticulteurs de la vallée. Ici, l'huile de rose est de l'or liquide. Pour un kilo de cette huile, les maisons de parfums sont prêtes à débourser 7.000 euros. Par comparaison, l'huile d'eucalyptus se vend à 10 euros le kilo. Ce sont surtout les coûts de la main-d'oeuvre qui rendent cette huile aussi onéreuse. Chaque kilo d'huile nécessite 3.000 à 3.500 kilos de pétales de roses, soit la récolte effectuée sur un hectare de rosiers. L'huile véritable étant si chère, les contrefaçons sont légion. "Parfois, il s'agit d'un mélange d'huiles de bonne et de moins bonne qualité; parfois de produits purement synthétiques", explique Lissicharov. "Il n'existe pas de tests de qualité pour l'huile de rose car c'est un mélange de 300 ingrédients différents. Le meilleur label de qualité est la confiance entre le producteur et la maison de parfums."

Un savoir-faire bulgare
La Vallée des Roses bulgare produit principalement des roses de Damas (ou Rosa Damascena), une variété dont le parfum est particulièrement intense. Cette rose est originaire de Shiraz, en Iran, mais a essaimé un peu partout grâce via la route de la soie: aujourd'hui, elle pousse en Inde, au Maroc, en Turquie et en Bulgarie, où le climat est idéal.

Le nouveau parfum Kenzo: 'Flower in the Air'.
Le nouveau parfum Kenzo: 'Flower in the Air'.
©RV

"Jusqu'au XVIIème siècle, on ne produisait que de l'eau de rose, à partir de la vapeur refroidie d'un bain de pétales de roses à 100 degrés. Les Bulgares ont alors inventé une méthode pour extraire de l'huile de rose de l'eau. D'un point de vue qualitatif, l'huile est nettement supérieure et, surtout, nettement plus parfumée que l'eau. Grâce à leur double technique de distillation, les Bulgares sont devenus les meilleurs et c'est d'ailleurs encore le cas. "La Turquie produit aussi de l'huile de rose, mais de moindre qualité. L'huile de rose bulgare est inégalée en raison des éléments suivants: sol adéquat, climat parfait et situation de rêve - entre deux collines la rosée dure longtemps", souligne Dominique Roques, responsable des composants naturels chez Firmenich.

Le parfumeur Alberto Morillas est lui aussi un inconditionnel. "Les roses sont incroyables. La rose de Damas est iconique, c'est le grand classique. Sa senteur est plus poivrée et plus piquante que la Centifolia, la rose de Grasse. Firmenich y possède aussi une roseraie, mais là, les coûts de la main-d'oeuvre sont nettement plus élevés."

Nouveau parfum de Kenzo, à partir de 51 euros les 30 ml. www.kenzoparfums.com

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